Ça s’agite furieusement à L’Union pour la nation congolaise (UNC), le parti de Vital Kamerhe, directeur du cabinet présidentiel, où l’on semble avoir mis sous le boisseau les grands principes comme ceux de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice clamés à cor et à cris lors des différentes campagnes électorales ou des communications politiques bruyantes et colorées.
L’interpellation et la mise en examen depuis mardi du chef de l’administration présidentielle par le parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa – Matete semble avoir altéré les convictions républicaines de ses amis qui réclamaient naguère à tue-tête des poursuites judiciaires à l’encontre des proches de Joseph Kabila, ancien président de la RDC après que Kamerhe ait rompu avec ce dernier. « L’enfer c’est les autres », comme dirait le philosophe français Jean Paul Sartre.
Cité par plusieurs dénonciateurs dans la scabreuse affaire de détournement de fonds publics alloués aux travaux du programme d’urgence de 100 jours du chef de l’État, Félix Tshisekedi, VK s’était livré par ses partisans interposés à une véritable entreprise de chantage sur les institutions de la République dès que le procureur général de Kinshasa-Matete l’avait invité à son office pour s’en expliquer. En rappelant notamment la centralité de son rôle dans la gestation de la plateforme politique Cap pour le changement (CACH), donc dans l’avènement au ‘’top job’’ de Fatshi. Puis en laissant entendre mezza voce que les ministres et députés de son parti allaient rendre leurs tabliers au cas où les magistrats auraient la main trop lourde sur lui. Avant de rétropédaler timidement dans la communication d’un porte-parole qui pariait sur les antennes de nos confrères de Télé 50 qu’une mesure de privation de liberté de l’ancien speaker de l’Assemblée nationale était «exclue».
On avait eu une illustration de la versatilité du numéro 1 de l’UNC en 2017, lorsque, après avoir co-présidé l’accord politique de la Cité de l’OUA facilité par l’ancien premier ministre Edem Kodjo, il avait décidé de participer à la coalition gouvernementale avant de s’en retirer du jour au lendemain, au grand dam du président Joseph Kabila. Une supercherie qui sonna le départ de sa formation politique d’un de ses plus proches lieutenants, l’économiste Pierre Kangudia alors ministre d’État en charge du Budget.
Calife à la place du Calife
Pour le meilleur élu aux législatives 2018 du Sud-Kivu et du pays, son interpellation ne serait qu’une manœuvre à peine voilée de son allié au sein du CACH, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS/Tshisekedi) qui essaye «une fois de plus» par ce biais de s’affranchir d’un accord circonstanciel conclu à Naïrobi (Kenya) prévoyant (i) la primature pour lui ou (ii) le soutien de CACH à sa candidature à la présidentielle de 2023.
On sait que face à l’impossibilité pour CACH de constituer seul une majorité parlementaire pour gouverner, il avait fallu aux deux signataires de l’Accord de Naïrobi s’adapter à la victoire du FCC de Joseph Kabila, le président sortant aux législatives et accepter de conclure avec ce dernier un accord de coalition en vertu duquel le strapontin de la primature échu à un partisan de Kabila, le professeur Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Obligé d’avaler cette couleuvre légale, Kamerhe est ainsi devenu directeur de cabinet du chef de l’Etat non sans exiger un rang protocolaire de… vice-premier ministre.
Seul acteur politique d’expérience dans le sérail du nouveau président, Kamerhe est soupçonné par plusieurs analystes d’avoir fait délibérément traîner la mise en place du gouvernement de coalition. C’est pendant ce long délai d’attente que le président Félix Tshisekedi, cornaqué par lui, a lancé le fameux projet des travaux de 100 jours sur lequel le tout puissant dircab va avoir la haute main, recrutant à tour de bras les exécutants en recourant au nez et à la barbe de l’exécutif sortant de Bruno Tshibala guère en odeur de sainteté auprès de Fatshi à des marchés de gré à gré « au nom de l’urgence et de la nécessité » (sic !). « M. Kamerhe a simplement oublié que les accords politiques n’immunisent nullement ceux qui les signent contre les poursuites judiciaires, pas plus que le rang purement protocolaire de vice premier ministre lui attribué par une ordonnance présidentielle, acte réglementaire ne pouvant modifier la liste des détenteurs d’immunités établie exhaustivement par une loi », estime un spécialiste de droit public s’exprimant sous couver t de l’anonymat.
Devant ses juges malgré lui
Un proche de Kamerhe témoigne que face à l’étau de la justice qui se resserrait autour de lui, le directeur du cabinet présidentiel aurait envisagé il y a quelques jours de quitter ses fonctions afin de retrouver son statut de député national pour bénéficier des immunités, ce que ses avocats lui auraient déconseillé. Une information plausible, à en croire les révélations fournies par les câbles diplomatiques publiées par WikiLeaks dans lesquelles William Garvelink, ancien ambassadeur des États-Unis à Kinshasa entre 2007 et 2010 a dépeint Vital Kamerhe comme « un personnage manipulateur dont l’ambition aveugle de devenir président altère le jugement ».
Après avoir boudé la première invitation du parquet pour des raisons formelles, Vital Kamehre s’est finalement présenté volontairement mercredi à Limete.
Les charges sur lesquelles portent ses premiers échanges avec le ministère public sont lourdes. Elles ressortent de trois procès-verbaux de personnalités interpellées auparavant dans l’affaire de présomption de détournements de fonds publics en rapport avec le programme des 100 jours qui le citent comme auteur desdits détournements. Il s’agit du Belge Thierry Taeymans, le désormais ex-directeur général de Rawbank qui aurait justifié les mouvements suspects de fonds des comptes du Trésor public lui reprochés par une instruction formelle du dircab.
L’Américain Eric Blattner aurait en ce qui le concerne remis à la justice des documents comptables accablant suffisamment Kamerhe, de même que l’octogénaire libanais Jammal Samih impliqué dans un dossier de prévarication présumée des fonds prévus pour la construction de maisons préfabriquées.
Une chute vertigineuse
Devant cet épais faisceau d’indices, le parquet a résolu après sept heurs de comparution de placer Vital Kamerhe sous mandat d’arrêt provisoire (MAP) et de l’incarcérer à la prison centrale de Makala en attendant une confrontation avec ces différentes sources. Une première en RDC où la justice n’est jamais allée jusque-là, s’agissant d’un dignitaire de ce rang pour une cause autre que «politique».
Ayant dispersé plus tôt les partisans de Kamerhe qui s’étaient agglutinés autour des installations du parquet général de Matete à Limete au mépris des règles d’hygiène contre le Covid-19, le général Sylvano Kasongo, chef de la police de Kinshasa, a été chargé de la mission de convoyer l’illustre prévenu jusqu’à son lieu de détention en début de soirée.
Nombreux sont les Congolais qui n’en croient pas leurs oreilles, habitués qu’ils sont à voir des dignitaires, ministres, parlementaires ou gouverneurs cités dans des affaires du genre s’en sortir par le recours à la vieille formule « nuit et brouillard » appliquée régulièrement par les plus hautes instances judiciaires. En l’espèce, les magistrats du parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa-Matete font école en restant droits dans leurs bottes de gardiens du temple malgré les pressions des militants et partisans de l’UNC, venus exercer une pression sur eux.
Lundi, au lieu de répondre à l’invitation des magistrats, Kamerhe s’était rendu à la Cité de l’Union africaine où il a rencontré le président Tshisekedi pour un échange dont les détails n’ont pas filtré mais dans le sillage de l’UNC, il aurait été question « de calmer la situation en harmonisant les choses».
Pour une fois, le président de la République aurait, selon les confidences d’un de ses collaborateurs, «refusé d’être impliqué de près ou de loin dans une procédure au nom du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire ».
Mercredi, le directeur de cabinet du chef de l’Etat, lâché par ce dernier, était arrivé au siège du parquet général de Kinshasa-Matete gonflé à bloc par les ovations de ses partisans qui avaient manifestement une toute autre conception du principe de l’indépendance de la magistrature. Arborant un complet bleu, coupée d’une cravate de même couleur et d’un cache-nez, covid-19 oblige, il était entouré de sa garde rapprochée et de quelques partisans parmi lesquels des conseillers à la présidence aux côtés d’une armada d’avocats. C’est l’avocat général Sylvain Muana qui l’a reçu. Vers 18h00, le magistrat Muana avait pris sa décision. Un mandat d’arrêt provisoire est alors présenté à Vital Kamerhe en présence de ses avocats assomés. « C’est incroyable. Monsieur Vital Kamerhe est venu ici de lui-même, en tant que renseignant. Pourquoi en fait-on un détenur? Qui peut penser qu’il y a à craindre qu’il puisse fuir le pays ? », s’étrangle d’indignation l’un d’entre eux. Peine perdue. Quelques instants plus tard, un convoi de véhicules hautement sécurisés arrive au Centre pénitentiaire de rééducation de Kinshasa (Makala) avec le prévenu Vital Kamerhe qui sera aussitôt remis aux responsables de l’établissement.
C’est le désarroi dans son parti. Des ministres qui n’avaient pas hésité à signer dimanche une déclaration défiant la justice et fustigeant la procédure, semblent être rentrés dans leurs petits souliers après avoir pris connaissances des éléments du dossier. Plusieurs autres hauts cadres de l’UNC ont entamé une réunion de crise dès mercredi soir pour préparer «la riposte».
Nouveau mercato politique ?
L’ arrestation de Kamerhe pourrait augurer selon certaines sources un bouleversement au sein de la coalition FCC-CACH qui pourrait connaître de sérieuses mutations en cas d’implosion de la plate-forme CACH. En effet, liant son sort personnel à celui de tous les membres de son parti politique, Vital Kamerhe aurait demandé à ses lieutenants de démissionner des postes de responsabilité qu’ils occupent à divers niveaux des institutions en guise de solidarité avec lui. Reste à savoir comment ils vont réagir.
Les jours qui viennent risquent d’être riches en rebondissements.
AM