L’économie de la RDC comme celle du monde entier est secouée à court terme par la pandémie du Covid-19. Il importe que le pays se prémunisse pour amortir les chocs probables de ce fléau qui révèle la vulnérabilité de l’humanité, avec un bouleversement notamment du système économique de la globalisation. Déjà sur tous les cinq continents, avec la Chine et l’Italie comme épicentres, des centaines de milliers de personnes sont infectées et quelques milliers sont décédées.
Si sur le plan sanitaire mondial, la crainte d’une immense dévastation de l’espèce humaine est réelle, les conséquences économiques du Covid-19 sont catastrophiques. Dans une chronique diffusée le 16 mars, Bloomberg projette une déflagration financière mondiale du fait d’un risque de non paiement de plus de 19.000 milliards USD de dettes des corporations manufacturières, pétrolières et de l’aviation. Le spectre des crises économico-financières du genre de celles de 1974 et 2008 dans une version plus apocalyptique, assortie d’une hécatombe sanitaire humaine, se profile déjà à l’horizon. Pour les Etats développés, cette situation révèle «l’Impuissance de la Puissance» (Bertrand Badie), tandis que s’agissant d’un Etat fragile comme la RDC, elle pourrait déboucher sur un délitement total, au-delà du dysfonctionnement du système sanitaire.
L’impuissance de la puissance
Les répercussions systémiques en RDC seront mêmes amplifiées par les contradictions politiques existantes combinées à la fragilité financière due au recul économique de 2019. Il importe dès lors d’imaginer les modalités et actions susceptibles de permettre au pays de juguler autant que possible les conséquences polygonales de cette pandémie. Contrairement à ce que les économistes ont proposé jusque-là comme schéma explicateur de l’émergence de la Chine comme usine du monde, ce phénomène n’est pas une stratégie exclusivement chinoise. C’est le capitalisme mondial dans sa faculté d’auto-préservation qui a produit et promu la Chine comme espace de réinvention de son système en asphyxie par le mode existentiel occidental moderniste-infinitiste. Une cogitation approfondie de la situation permet de discerner une stratégie d’auto ré-oxygénation du capitalisme dans son expansion mondialiste, par les multiples relocalisations des unités de production en Chine. Cette dynamique a été portée par la logique économiste classique essentielle de la maximisation du profit, exploitant la main d’œuvre abondante et peu onéreuse dans ce pays. Le transfert des technologies et des capitaux vers la Chine, avec d’immenses investissements, n’a fait qu’accompagner essentiellement la capitalisation du principal facteur de production attractif et compétitif : la main d’œuvre aux coûts porteurs d’optimisation de la profitabilité d’exploitation.
Vulnérabilité de la Chine, usine du monde
D’innombrables entreprises, fleurons de l’économie européenne et américaine (Coca-Cola, Apple, IBM, Lévi-Strauss, General Motors, Renault, Mercedes, Mac Donald, Tesla) ont installé des unités de production et de montage en Chine. Beaucoup d’entre elles ont fermé dans leurs pays des chaînes de production de plusieurs pièces, produits chimiques, habits, chaussures, appareils électroniques, et machines pour importer ces biens à moindre prix des usines chinoises. La Chine est ainsi devenue un immense marché pour le capitalisme mondial permettant de maintenir l’augmentation des profits. Comme usine du monde, elle est donc un maillon intégré du système capitaliste mondial contrairement à la thèse manichéiste indexant la «Chine communiste» brandie contre le bastion capitaliste libéral. En fait, on peut même affirmer que la Chine a acquis par la force des choses le statut d’une extension incontournable du capitalisme libéral mondial qu’elle a ainsi sauvé en lui offrant un espace de ré-oxygénation sous couvert de la globalisation. Le grand Timonier Mao Tsé Toung doit se retourner dans sa tombe !
La globalisation et ses conséquences
Dans cette stratégie du capitalisme pour sa réinvention et son expansion mondiale, la Chine étant devenue l’usine du monde au profit des puissances financières internationales, est aussi, grâce à son poids démographique, la principale consommatrice des matières premières de la planète (pétrole, coton, sucre, produits forestiers et miniers). La pandémie du coronavirus ayant obligé les Chinois à fermer leurs usines, l’économie mondiale a entamé une irréversible pente descendante. C’est la récession. En effet, à en croire une évaluation de Julia Horowitz (CNN Business, 16 mars, 2020), au cours des deux derniers mois, le secteur du commerce en Chine a connu une décroissance de 20,5 %. La production industrielle a chuté de 13,5% et les investissements en actifs fixes ont dégringolé de 25%. Dans cette dynamique baissière, les compagnies européennes et américaines ayant leurs usines et sources d’approvisionnement en Chine, vont aussi connaître de sérieuses difficultés pouvant aller jusqu’à la cessation de leurs activités pendant une période plus ou moins longue, avec le risque de chutes vertigineuses de revenus. Déjà pour les USA, Goldman Sachs projette une contraction de l’économie américaine à 5% pour le deuxième trimestre selon le Business Insider du 17 Mars 2020. Cet impact induit quatre périls majeurs au plan géoéconomique et géostratégique général pour tous les continents. Primo : le non-paiement des dettes corporatives mondiales colossales, qui, de l’avis des analystes de Bloomberg et CNN, s’élèveraient à plus de 75.000 milliards USD. Tablant sur la simulation de la Banque mondiale pour tester la résilience des banques subséquemment au « melt-down » financier de 2008, il est établi que le Coronavirus entraînera le non-paiement de plus de 19.000 milliards USD de dettes des compagnies pétrolières, aériennes, et des industries. Secundo : la chute de revenus causera une érosion ou le non-paiement des rémunérations. Il y aura donc contraction dramatique de la demande avec un effet boomerang sur les entreprises de services et manufacturières dont les ventes vont péricliter. L’épargne et les investissements en seront fortement affectés, de même que le tourisme. Tertio: la trésorerie des Etats souffrira de la chute susmentionnée des revenus des grandes entreprises qui vont afficher des pertes énormes, à moins qu’elles ne se déclarent simplement en faillite. Quarto: au plan politique et sécuritaire, les citoyens dont les rémunérations s’amenuiseront sensiblement ne seront pas en mesure d’acheter biens et services, seront sérieusement tentés de s’en prendre à leurs gouvernements respectifs. Aux USA, si la récession continue jusqu’au troisième trimestre, le président Donald Trump risque de perdre les élections.
Pareille situation est susceptible d’aggraver le nationalisme des extrémistes de droite, tout en amplifiant la pauvreté dans les pays déjà assiégés par le terrorisme, poussant de nombreux jeunes laissés pour compte à intégrer diverses organisations radicales. Au plan militaire, il sera difficile pour les pays en guerre ou les puissances qui les assistent de réaliser leurs dépenses militaires dans les proportions initialement calibrées pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Le coronavirus doit à cet égard être considéré par les décideurs congolais comme un péril géostratégique planétaire polygonale d’une ampleur jamais connue dans toute l’histoire de l’humanité et nécessitant une capacité d’anticipation allant au-delà des intérêts partisans des uns et des autres.
Hubert Kabasubabo K. avec Le Maximum