C’est en invoquant une instruction du président de la République que le vice-ministre de la justice, Bernard Takaishe a justifié sa visite aux responsables d’entreprises de construction détenus provisoirement à la prison centrale de Makala en l’absence de son titulaire en déplacement à l’étranger. «Le vice-ministre qui a agi dans le cadre de son intérim, est allé constater les conditions de détention de ces cadres des entreprises qui exécutent les travaux du programme d’urgence de 100 jours incarcérés par le parquet, selon les recommandations du dernier conseil des ministres auquel son titulaire, Célestin Tunda Yakasende n’avait pas pris part », a confié à nos rédactions une source proche du dossier. Problème : très à cheval sur les principes qui exigent que le pouvoir d’injonction du ministère de la Justice ne lui permet pas d’interférer dans la procédure déclenchée par le parquet, Maître Tunda ya Kasende, le patron du département, a sèchement recadré son adjoint. Depuis Dubaï où il séjourne, le vice-premier ministre, ministre de la Justice et Garde des sceaux a exprimé son « étonnement » face à cette visite d’un membre du gouvernement à des prévenus. « Le droit judiciaire et la pratique consacrée en la matière excluent pareil comportement de la part d’un membre de l’exécutif sauf s’il s’agit d’une initiative générique coordonnée avec le ministère public (parquet) par exemple pour une question concernant tous les pensionnaires d’un établissement pénitentiaire. Aller ainsi s’enquérir de la situation de personnes particulières en instance de poursuites est considéré comme une interférence portant atteinte à la bonne administration de la justice », fait observer un expert attaché au cabinet du ministre. D’où la mise au point rendue publique le 2 mars 2020 par la cellule de communication du ministère dans laquelle on pouvait lire ce qui suit : « Le Vice-Premier Ministre, Ministre de la Justice, son Excellence Célestin Tunda Ya Kasende, présentement en mission de service à l’étranger, informe l’opinion nationale et internationale que contrairement aux allégations des médias et des réseaux sociaux depuis ce matin, qu’il n’a jamais conduit une visite auprès de certains prisonniers de manière particulière, ni mandater une tierce personne pour le faire», précise le communiqué.
Lors du conseil des ministres de vendredi 03 mars dernier, le chef de l’Etat Félix Tshisekedi avait déploré dans sa communication l’implication dénoncée par les cours et tribunaux de certains acteurs politiques qui était « susceptible d’étouffer l’aboutissement des enquêtes en cours. S’agissant des enquêtes judiciaires qui sont à la base des arrestations et détentions à titre provisoire de plusieurs directeurs généraux des entreprises qui exécutent les travaux, le chef de l’Etat a insisté sur le fait que celles-ci doivent se dérouler dans le strict respect de la constitution et des lois de la République. Il a, en effet, déploré que certains magistrats en charge des dossiers soient l’objet de menaces et de manipulations », a déclaré David-Jolino Makelele, porte-parole du gouvernement lors de la lecture du compte rendu de la 23ème réunion du conseil des ministres. « De même, il a été relevé que certaines personnes interpellées sont victimes de mauvais traitement dans l’unique but d’extorquer des aveux », avait-il ajouté. C’est ce qui aurait poussé le vice ministre Takaishe à en avoir le cœur net.
Certes, le président de la République a eu raison de s’inquiéter de ces présomptions de dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Toutefois, dans son interprétation de ses directives, le vice-ministre de la justice semble s’être éloigné des usages consacrés en la matière. Croyant sans doute bien faire, il a de toute évidence commis un impair attentatoire au principe élémentaire de séparation des pouvoirs que même le pouvoir d’injonction du ministre de la Justice ne saurait en aucune manière justifier. « Le pouvoir d’injonction que détient le membre du Gouvernement ayant la Justice dans ses attributions sur le Parquet est exercé selon une méthodologie très encadrée. Il s’agit seulement de s’assurer que l’organe judiciaire en charge de poursuivre les auteurs des faits réputés délictueux ou criminels ne s’écarte pas par omission de la politique criminelle de l’exécutif. Une fois l’injonction donnée, le ministre n’a plus à intervenir dans la procédure car la plénitude de l’action judiciaire revient au seul magistrat qui instruit à charge et à décharge, n’étant soumis qu’à la Loi et à la vérité », rappelle ce professeur émérite de procédure pénale de l’Unikin contacté par nos rédactions. Il ajoute que « tout se qui se passe entre la mise en branle de l’action publique et le verdict relève exclusivement du pouvoir judiciaire, même si les services relevant du gouvernement interviennent dans la gestion des établissements pénitentiaires ». En se rendant à la prison de Makala pour s’entretenir avec des prévenus en pleine instruction pré-juridictionnelle voulue secrète par le législateur, le vice-ministre a enfreint ces normes sur lesquelles repose le système judiciaire rd congolais. C’est manifestement ce que son titulaire, bien que hors du pays a tenu à ramener à la surface même si il ne l’a pas dit « expressis verbis ». Le vice-ministre Takaishe a tenté de contredire le numéro 1 du ministère en affirmant s’être rendu à la prison de Makala sur instruction du chef de l’État pour s’assurer que les détenus jouissent de leurs droits de défense et sont bien traités comme si dans son entendement le président de la République était au-dessus des lois du pays. S’exprimant au sujet de cette controverse, l’Association congolaise d’accès à la Justice (ACAJ) s’est fendu d’un communiqué pour condamner sa démarche. Sur son compte Twitter, le président de l’ACAJ, Me Georges Kapiamba, a en effet vivement déploré son initiative. « C’est une ingérence inacceptable dans l’instruction d’un dossier judiciaire en cours » a-t-il dénoncé donnant raison aux réserves de Tunda.
J.N.