C’est par des communications de ses avocats et ses collaborateurs que l’entrepreneur américain David Blattner, interpellé par le parquet pour présomption de détournements de fonds destinés à l’érection des viaducs (sauts-de-mouton) à divers carrefours de la ville-province de Kinshasa se défend. « Les responsabilités sont ailleurs, la place de David Blattner n’est pas derrière les barreaux mais sur le terrain des chantiers » a déclaré l’un d’entre eux du ton ferme et combatif qui laisse poindre des révélations en cascade à la faveur de la procédure engagée contre le patron de la société de construction Safricas qui a été interpellé mercredi 19 février 2020 puis écroué dans l’ex-prison centrale de Makala à Kinshasa. Placé sous mandat d’arrêt provisoire par un magistrat, officiellement pour « raisons d’enquête », le dirigeant de Safricas est l’une des premières personnalités à faire les frais du scandale financier qui secoue la capitale congolaise au sujet de la construction des sauts-de-mouton et suscite la clameur publique dans la capitale rd congolaise. Dans l’entourage de grand entrepreneur du secteur du BTP, on ne décolère pas: « Nous sommes choqués par la mesure de mise en détention d’un attributaire aussi connu, qui a pignon sur rue et dont personne ne peut craindre la fuite sans que des enquêtes n’aient été initiées avant une pareille décision », s’étrangle d’indignation un proche de David Blattner qui a souhaité garder l’anonymat. Blattner et sa société de construction avaient gagné une grosse part du marché d’érection des sauts-de-mouton destinés à désengorger la ville de Kinshasa. Sur les 9 ouvrages prévus pour la ville, Safricas avait été chargé d’en fournir 6. Du constat des différentes inspections descendues sur les lieux, il est ressorti que quatre chantiers seulement avaient été ouverts : les deux premiers, situés entre la cité de la RTNC et le rond-point Socimat et deux autres sur le boulevard Lumumba qui mène vers l’aéroport international de N’Djili. Les informations recueillies auprès de Safricas indiquent que cette entreprise n’aurait reçu que 40 % des fonds pour ces six chantiers alors que ses homologues chinois de CREC 7 auraient, eux, bénéficié jusqu’au-delà de 70% du financement pour les deux ouvrages dont la construction lui avait été attribué, notamment à Kinsuka. Les collaborateurs de Blattner estiment que Safricas aurait ouvert une ligne de crédit dans une banque commerciale de la place en vue de préfinancer jusqu’à 10 % des travaux qui lui avaient été confiés, ce qui porte à 50 % le coût total de fonds effectivement déboursés jusque-là dans le cadre de ces travaux. « Tous les rapports comptables ont été dûment déposés et ils ont été vérifiés par les magistrats instructeurs. Ces derniers n’ont signalé aucune anomalie. Ils n’ont fait état d’aucune trace de détournement de deniers publics à charge de Safricas. On a constaté seulement, que l’entreprise qui est sous-traitée par l’Office des Voieries et Drainage (OVD) avait dû payer une rétrocession de 11 % à un bureau de contrôle. Une pratique légale en République Démocratique du Congo », selon cette source qui, de ce fait, réclame la libération du patron de Safricas. La situation reste toujours incertaine. Sur les six sauts-de-mouton confiés à Safricas, deux qui devaient être érigés aux ronds point de l’Université Pédagogique Nationale (UPN) à Ngaliema et au pont Kasa Vubu à proximité du Stade des Martyrs, n’ont jamais connu un début des travaux. Les dirigeants de Safricas affirment avoir déjà à leur disposition tous les matériaux commandés en France et en Afrique du Sud. Ces informations n’ont toutefois pas emporté la conviction des magistrats instructeurs comme pouvant justifier les retards accumulés dans la livraison des sauts-de-mouton déjà en phase d’érection qui se fait attendre. Dans leur argumentaire, les avocats de Safricas on attiré l’attention sur l’impact qu’aurait pu avoir sur le calendrier de finalisation des sauts-de-mouton un élément dont la responsabilité ne saurait incomber à leur client. « A l’évidence, les vrais responsables de ce déplorable retard sont à chercher ailleurs que chez Safricas », allèguent-ils. Ils pointent du doigt un partenaire de l’OVD qui aurait exigé de cet établissement public impliqué dans les travaux une rétrocession de 11 %. Cette dénonciation a conduit le ministère public à convoquer le directeur général de cet office qui a été déjà entendu à deux reprises. « La place de David Blattner qui a fait de son mieux pour accomplir les engagements de Safricas dans le cadre de ce marché public n’est certainement pas en prison, mais sur le terrain des chantiers ouverts à cette fin pour suivre et diriger l’évolution des travaux qui se déroulent sans désemparer », ont conclu ses avocats. Quant au Libanais Jammal Samih, attributaire dans le cadre des travaux du programme de 100 jours, d’un marché de 57 millions USD destinés à la construction des logements sociaux, il a été également transféré à Makala pour présomption de détournement de deniers publics mardi 25 février 2020 après une brève détention la veille au parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa-Matete ou des magistrats l’avaient entendu sur ce dossier. L’interrogatoire avait duré 10 heures sous la coordination d’un avocat général, selon ses avocats. Pour un ancien cadre supérieur du ministère des Finances à la retraite, « il est tout simplement inacceptable que M. Jammal Samih qui est notoirement connu comme un attributaire problématique par la plupart des services impliqués dans les marchés publics au cours de ces dernières années se soient vu attribué un marché aussi important après une procédure assez questionnable ». Il faisait allusion aux rumeurs selon lesquelles les marchés du programme des 100 jours ont été presque tous attribués par une procédure de gré à gré. « Le recours à un marché de gré à gré n’est pas en elle-même une illégalité. Encore faut-il en respecter les mécanismes d’attribution, ce qui ne semble pas avoir été le cas », estime-t-il. Président de la communauté libanaise en République Démocratique du Congo, Jammal Samih a été selon le parquet général de Matete, « incapable de justifier certains montants affectés à la construction des logements sociaux, programme mis en place par le gouvernement pour répondre aux besoins de la population, toutes catégories sociales confondues ». Une source proche du dossier signale que dans le volet habitat du programme des 100 jours, la société Somibo Congo de Jammal Samih avait été chargée de la construction de 1.500 logements sociaux dans cinq grandes villes du pays : la capitale Kinshasa et les villes de Bukavu, Mbuji-Mayi, Kananga et Matadi, à raison de 300 maisons par ville. Coût total : 57,6 millions USD avec un premier acompte libéré de 17,35 millions USD, conformément au plan de décaissement du contrat. « C’est l’utilisation d’une partie de cette somme que Jammal Samih n’est pas parvenu à justifier », estime un magistrat. Samibo Congo est spécialisée notamment dans le domaine des opérations financières, commerciales, industrielles, immobilières et mobilières. Elle a été créée le 8 août 2018. Husmal, une deuxième société du groupe de Jammal Samih, créée le 25 avril 2019 s’est vue aussi confiée une part de ce marché. Lancé au mois de mars 2019, quelques 7 mois avant la publication du gouvernement FCC-CACH, le programme des 100 jours a été géré par les services de la présidence de la République sous la coordination du directeur du cabinet présidentiel, Vital Kamerhe dont un proche a indexé M. Nicolas Kazadi, coordonnateur du programme des 100 jours comme responsable de ce qui s’apparente à de la prévarication. Ce qui a provoqué une cinglante mise au point de l’intérressé (ci-dessous). « Les déboires actuels auraient pu être évités, voire limités si l’exécutif sortant alors en place (gouvernement Tshibala) avait été associé à l’élaboration de ce programme très ambitieux pour appliquer les règles d’usage dans l’attribution des marchés publics qui auraient pu permettre de limiter les dégâts ». Le ministre de la Justice Tunda ya Kasende a annoncé des enquêtes sur ce dossier : « Nous n’en sommes qu’au début, l’Etat de droit doit se consolider dans notre pays. On ne peut pas avoir ni développement ni démocratie là ou les gens ne respectent pas les textes », a-t-il dit. Les nombreux dysfonctionnements qui ont émaillé le programme des 100 jours avaient fait bondir plus d’un membre du gouvernement. Lors d’un récent conseil des ministres, il lui avait été demandé d’enjoindre le ministère public d’ouvrir une information judiciaire sur l’utilisation des fonds alloués à ces travaux publics. C’est cette injonction faite sans coup férir qui a amené les magistrats à procéder à l’interpellation de divers intervenants dans ces marchés publics relatifs au programme des 100 jours, parmi lesquels les patrons de Safricas, de Samibo-Husmal et de l’Office des Voiries et Drainage (OVD). Le gouvernement Ilunga n’est pas le seul à s’être ému de cette situation car le député national MLC Jacques Mamba a adressé une question écrite au dircab Kamerhe à ce sujet.
J.N