Les dénonciations et les interpellations se succèdent au sujet de la responsabilité des détournements présumés de fonds destinés aux grands travaux dans le cadre du programme des 100 jours lancés par le président Félix Tshisekedi en mars 2019. Alors que le DG de la société Safricas, David Blattner vient d’être interpellé par le parquet général près la cour d’appel de Kinshasa Gombe à ce sujet, le cabinet du président de la République, maître de l’ouvrage est sur la selette. Une mise au point de l’UNC du dircab du chef de l’Etat Vital Kamerhe, mis en cause comme ordonnateur des dépenses relatives à ces travaux pour avoir attribué la plupart des marchés de gré a indexé Nicolas Kazadi, un proche du président de la République, suscitant une avalanche de réactions.
Kamerhe questionné par le député national Mamba
Le député national MLC Jean-Jacques Mamba ayant adressé une question écrite au dircab du chef de l’Etat au sujet du financement des travaux de 100 jours, plusieurs analystes se sont posés la question de savoir s’il était soumis à ce contrôle parlementaire. Pour Eric Bilale, la réponse est oui car cette démarche qui vise toute forme d’autorité publique n’épargne que l’institution ‘‘président de la République’’ et non les services publics qui sont mis à sa disposition. Il insiste sur la nécessité du contrôle de l’activité des services publics car le droit constitutionnel reconnaît aux députés et sénateurs ce pouvoir à l’égard des services publics sans distinction aucune. Tout gestionnaire de tels services y est soumis aux fins de la transparence et de la redevabilité surtout lorsque ses actes ont touché aux finances publiques ou à des questions d’intérêt national, ce qui n’est pas à confondre avec la motion de censure ou de défiance contre le gouvernement ou l’un de ses membres. La présidence de la République (différente du président de la République) étant un service public d’Etat, ne peut donc échapper à ce moyen d’information du parlement qui ne vise qu’à assurer la meilleure exécution possible du service public.
Base juridique
Plusieurs raisons expliquent la nécessité du contrôle des services publics. Il faut en effet analyser leur activité pour en tirer des améliorations, c’est-à-dire les réformer, le cas échéant. Ils fonctionnent à l’aide des deniers publics. Il importe donc de veiller à la meilleure utilisation possible de ceux-ci étant donné qu’ils disposent d’importantes prérogatives de puissance publique (privilège du préalable, d’exécution d’office, pouvoir de réquisition, pouvoir d’expropriation, etc.) au nom de l’intérêt public. Il convient à cet égard d’éviter non seulement les prévarications mais aussi l’arbitraire ou les excès de pouvoir eu égard aux droits reconnus aux particuliers et aux compétences attribuées par ou en vertu des lois. La Constitution de 18 février 2006, dans ses articles 100 alinéa 2 et 138, confère au parlement un pouvoir de contrôle assorti de moyens d’informations et de contrôle politique sur le gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et les services publics. Ces dispositions, relayées par les articles 2 et 168 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale, sont complétées par les articles 169 et 170 du même Règlement qui stipulent que «les questions orales et écrites constituent des moyens d’information de l’Assemblée nationale dont le député use à titre strictement individuel» (al.1er). Le député qui désire poser une question orale ou écrite au gouvernement, à une entreprise publique, un établissement public ou un service public, dépose le texte au bureau de l’Assemblée nationale qui, après en avoir vérifié la recevabilité, la transmet à qui de droit dans le délai prévu.
Recevabilité de la question au dircab du président
Les législatures passées ont transformé l’Assemblée nationale et le Sénat en chambres d’applaudisseurs. Aucun élu n’avait osé poser une seule question aux différents dircab du président de la République, alors qu’ils en avaient le droit. Pour être jugées recevables par le Bureau de l’Assemblée nationale, les questions écrites ou orales comme moyens d’informations et de contrôle, doivent être utilisées de manière strictement individuelle, pour contrôler ou chercher des informations quant à la gestion de la chose publique. La question écrite adressée spécialement au gestionnaire d’un service public constitutionnel qu’est la présidence de la République vise ce même objectif. Ici, il est important d’attirer l’attention sur le fait que le président de la République (Institution politique de la République) n’est pas à confondre avec la «présidence de la République», service public de l’Etat car pris en charge directement par l’Etat ou le pouvoir central, dont la gestion quotidienne relève d’un directeur de cabinet. Le président de la République, conformément à la Constitution et statuant par ordonnance, a le pouvoir de créer et organiser les services publics qui dépendent de son autorité. C’est le cas de son cabinet qui est un service public institué conformément à l’ordonnance n°09/003 du 30 janvier 2009 portant organisation et fonctionnement du cabinet du président de la République (Journal Officiel, n° spécial, 3 février 2009, col. 1-6). En tant que service public, il peut être contrôlé pour ses actes de gestion quotidienne conformément à l’article 138 de la Constitution et des dispositions des Règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le contrôle politique de cette administration déconcentrée d’Etat vise à rassurer la Nation que ladite administration, accomplit dans la transparence et l’intégrité, les objectifs qui lui sont assignés dans le cadre des moyens juridiques, humains et matériels (financiers) mis à sa disposition. Les actes comme la passation des marchés publics, ordres de missions, correspondances ou instructions aux autres administrations de la République, ordres de décaissement du Trésor public, destination des fonds décaissés…posés à ce titre sont concernés par ce moyen d’informations reconnu au parlement. Il ne s’agit pas ici du président de la République, mais d’un service public attaché à la présidence et géré au quotidien par un directeur de cabinet. En droit administratif, l’expression « contrôle politique» désigne des procédures allant de la mise en cause de la responsabilité d’un gestionnaire à la simple information des parlementaires ou élus locaux en passant par l’investigation et les enquêtes sur les services publics. Certes, l’institution président de la République n’est pas responsable devant le parlement, mais le contrôle parlementaire sur la présidence de la République ne doit pas être une question taboue, en dépit du fait que les législatures passées avaient été amorphes et inactives à cet égard. A l’instar des ambassades et consulats à l’étranger, la présidence est une administration déconcentrée de l’Etat à l’intérieur du pays. Gestionnaire d’un faisceau de services publics de l’Etat manipulant les finances publiques, le dircab du président de la République peut bel et bien faire l’objet du contrôle parlementaire. Car il ne participe pas au principe de la sacralité et de l’irresponsabilité devant le parlement de l’institution président de la République. Les autres membres du personnel de la présidence de la République, qu’il s’agisse de l’inspection générale des finances, du Journal Officiel, de l’ARPTC ou du FONER, n’échappent pas non plus au contrôle du parlement. Dans le système semiprésidentiel français, sur le modèle duquel est calqué le nôtre, chaque fois qu’il a été nécessaire, des questions orales ou écrites et auditions parlementaires ont été initiées pour entendre des responsables des services de la présidence de la République sans ne soit invoqué le privillège de l’irresponsabilité du chef de l’Etat devant le parlement (affaire Benalla au Sénat français). Les mesures d’urgence récentes prises par le dircab du président, en présence d’un gouvernement en affaires courantes et démissionnaire, avaient motivé l’interventionnisme du dircab du président allant jusqu’à attribuer des marchés publics ou suspendre des mandataires publics. Il est donc normal et justifié que le parlement puisse le questionner afin de lever tout équivoque et d’élaguer toute zone d’ombre à ce sujet. En tant qu’administration, la présidence de la République peut passer des marchés publics, contracter…, bref, assurer toutes les prérogatives de l’Administration et subséquemment être soumis au contrôle parlementaire, selon Eric Bilale. Dans notre prochaine édition, la mise au point de Nicolas Kazadi, coordonnateur du programme de 100 jours de la présidence de la République à ce sujet.