Pendant que l’UNIKIN se débattait dans la gestion des conséquences d’une agitation qui a entraîné la suspension ‘sine die’ de toutes les activités en son sein, l’Université pédagogique nationale (UPN) a organisé une semaine scientifique du mercredi 8 au samedi 11 janvier 2020. Selon le Prof. Simon Massamba N’Kazi Angani, recteur, son institution entendait par cette activité « booster la recherche scientifique au sein de l’alma mater, cultiver l’esprit scientifique dans la communauté de l’UPN, mener des reflexions scientifiques sur les questions cruciales du pays, proposer des solutions idoines et scientifiques aux problèmes du pays et créer un cadre d’échange entre les scientifiques congolais et étrangers ».
Intervenant jeudi 9 décembre 2020 à 11 heures dans une salle K2 pleine à craquer, le député national Lambert Mende Omalanga qui est en même temps chercheur au sein de cette université a planché sur le thème de « la démocratie congolaise et la politique comminatoire de la Belgique à l’égard de la RDC ». La question abordée dans sa communication était relative au droit de regard que l’ancienne puissance coloniale et les pays occidentaux en général ont tendance à s’octroyer sur la RDC ainsi qu’aux réponses à cette politique attentatoire au principe de l’égalité souveraine entre Etats. « Tout commence en 1483, lorsque le navigateur Diego Cao à la recherche des Indes s’est arrêté dans le golfe de Guinée, ébloui par le spectacle exotique et mystérieux de l’embouchure du fleuve Congo dans l’océan Atlantique. On lui attribue la ‘’découverte’’ de l’embouchure du fleuve Congo, comme si ce fleuve n’avait commencé à exister qu’à ce moment-là, un malentendu sémantique qui n’est pas innocent… En fait, ce n’était que l’un des premiers non africains connus à visiter le bassin du Congo jusque-là inconnu en Europe et à nouer des contacts avec les autochtones pour le compte de la couronne portugaise, prémisses d’une domination étrangère sur le Congo », a dit Lambert Mende. Avant d’ajouter que « depuis lors, cet espace a fait l’objet d’une véritable ruée d’explorateurs, colonisateurs, missionnaires, entrepreneurs, mercenaires, journalistes et ‘’humanitaires’’ européens et occidentaux qui s’y côtoient au mieux de leurs intérêts. L’institutionnalisation de la domination européenne sur le bassin du Congo interviendra par la suite et aura pour principaux acteurs le médecin écossais David Livingstone, le journaliste britannique Henry Morton Stanley et l’explorateur français Pierre Savorgan de Brazza, arrivé sur les lieux depuis de l’autre rive du fleuve. C’est donc bien longtemps avant la conférence de Berlin de 1885, que le Congo et ses potentialités est au centre de la géopolitique européenne ». Evoquant la Conférence de Berlin de 1884-1885, l’ancien porte-parole du gouvernement a signalé un deuxième ‘’malentendu’’ sémantique, révélé par l’embarras de l’historien congolais Mutombo à se faire indiquer en 2003 « le lieu où s’était tenue la Conférence de Berlin », embarras qui ne prit fin que lorsqu’un guide touristique lui fit préciser qu’il était en quête non pas du bâtiment ayant abrité la conférence de Berlin, une ville qui, aussi étendue que Paris, reçoit des centaines de conférences chaque année, mais « ‘’Die Berliner Kongo-Konferenz’’, c’est-à-dire la Conférence de Berlin sur le Congo ». Un ‘’malentendu‘’ visant à cacher le principal objectif qui était d’assurer le libre accès des puissances parties prenantes au bassin du fleuve du Congo. Après une brève historique de ces assises de 1884-1885 auxquelles la Belgique, « petit Etat créé en 1830 pour servir de tampon entre l’Europe française et l’Europe germanique » ne fut pas conviée, le conférencier a indiqué que le roi Léopold II y avait participé à titre personnel pour éclairer les plénipotentiaires représentant les puissances sur les activités scientifiques de son Association Indépendante du Congo. « Son entregent et l’activisme de lobbyistes comme le banquier américain d’origine allemande Gerson von Bleichroder, un ami du chancelier Bismarck, ont rendu possible le double ‘’miracle’’ du consensus, qualifié par Paul Leroy-Beaulieu de ‘’communisme colonial’’, lui attribuant la gestion en régence de cet immense territoire très riche en ressources naturelles et de l’intériorisation par les puissances occidentales de l’interventionnisme suprématiste belge et au Congo », a déclaré Mende pour qui, « au-delà des motivations mercantilistes emballées dans une rhétorique chrétienne et altruiste, les résolutions adoptées à Berlin étaient (1) la liberté du commerce dans le bassin du Congo, ses embouchures et pays circonvoisins (2) l’interdiction de la traite des esclaves et des opérations qui, sur terre ou sur mer, fournissent des esclaves à la traite et (3) un contrôle collégial du Congo par les puissances de l’époque avec comme trait d’union Léopold II, souverain d’un Etat- qui avait le profil idéal pour ne gêner aucune puissance ». Lambert Mende considère la redistribution des cartes consécutive aux deux guerres mondiales qui ont fragilisé l’Europe et le « vertige » d’une décadence prévisible comme les causes essentielles à la base du caractère comminatoire (c’est-à-dire comportant des menaces et une pression sur le ton du créancier s’adressant à son débiteur) de la relation entre la RDC, incarnation de l’Afrique utile, et les pays occidentaux représentés par la Belgique, « cette inclinaison vide de toute substance aussi bien les principes de la souveraineté et de l’autodétermination des peuples consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 que la vague des indépendances des années ’60 ». Lorsqu’il évoque la personnalité de Léopold II, c’est pour rappeler ses directives aux fonctionnaires de sa colonie, leur enjoignant d’être « à la fois prudents, habiles et prompts à agir pour nous procurer une part de ce magnifique gâteau africain». Il met en exergue l’alibi de « l’universalité des Droits de l’Homme et de la démocratie » dont usent les suprématistes européens pour justifier leur conquête-acquisition du Congo « un des maillons les plus intéressants de l’Afrique au regard de ses énormes ressources naturelles avec ses plus de 2.343.000 kilomètres carrés, sur lequel vivaient alors 11 millions d’habitants, dont quelques 50.000 blancs toutes nationalités européennes confondues avec des gisements miniers inouïs et incroyables (scandale géologique de Cornet), des potentialités sur lesquels le roi et son Association Internationale du Congo (AIC) fantasmaient après 3 tentatives vaines de son pays de disposer de débouchés économiques à l’extérieur par la colonisation de Santo Tomas au Guatemala (1840-1845), Rio Nunez en Guinée (1849-1856) par Léopold Ier et Egypte avec le Duc de Brabant (Léopold II) ». Et de décortiquer comment par d’habiles combinaisons juridiques, le souverain belge imposa son impérium et le paiement de royalties à quiconque voulait se déployer dans « son » désormais Etat Indépendant du Congo (EIC) avant de céder en 1908 ses droits à son pays; sur la remise aux USA, à un prix connu seulement de quelques rares initiés, de l’uranium de Shinkolobwe (Katanga) qui a permis à ce pays de se doter de la bombe atomique en 1945 puis sur l’indépendance piégée du Congo proclamée le 30 juin 1960 par le roi Baudouin Ier, un descendant de Léopold II. Il constate que l’acquisition par les populations autochtones de leur autodétermination qui s’inscrivait dans l’ère du temps ne semble pas avoir eu un impact sur les esprits de ceux qui, en occident, caressaient toujours le rêve de disposer d’une arrière-cour dans cette « propriété de tous » en Afrique noire. L’indépendance n’a pas éradiqué les fléaux de la colonisation : « Six décennies plus tard, les mentalités et les comportements observés parmi de nombreux membres des élites européennes et congolaises sont toujours marquées par une idéologie ‘’néocoloniale’’. La terreur coloniale révélée notamment par Adam Hochschild semble laisser de marbre nombre de Congolais pour qui c’est la coopération au développement car on ne peut pas vivre en autarcie. Cela est dû à une sorte de syndrome de la conférence de Berlin sur le Congo de 1885 qui imprègne leur univers mental tandis qu’en Europe, une élite habitée par des pulsions impériales s’évertue à les circonvenir pour garder la main sur ce pays. Les uns et les autres surfent sur ces archétypes culturels d’une ethnologie manichéenne vouée à l’encensement d’une idéologie fondée sur la théorie de la supériorité de la civilisation des Européens sur celle des noirs Africains que Patrice Lumumba a dénoncé dans son célèbre discours du 30 juin 1960 » selon lui. Cette idéologie révisionniste européo-centrée est entretenue longtemps après l’indépendance ainsi que l’indique l’accueil réservé en France en 2003 à l’ouvrage ‘‘Négrologie : pourquoi l’Afrique meurt’’ de l’Américain Stephen Smith, correspondant du journal Le Monde pour qui l’île de Gorée en rade de Dakar est un mythe car en réalité elle n’aurait jamais été impliquée dans le commerce esclavagiste. L’assassinat de Lumumba quelques semaines seulement après sa prise de fonctions de 1er Ministre révèle bien le peu de cas que les suprématistes belges attachent aux principes humanistes et démocratiques qu’ils brandissent pour justifier leurs multiples interférences dans les affaires congolaises. « Le torpillage de l’indépendance du Congo quelques jours seulement après que le roi Baudouin eut déclaré l’avoir octroyé en plein accord et amitié avec la Belgique est illustré par le sort réservé par la métropole aux autorités pro-belges qui en feront les frais elles aussi comme l’indiquent les échanges entre le Collège des commissaires généraux de Mobutu qui attendaient l’abandon par la Belgique de son appui à la sécession katangaise dont le leader Moïse Tshombe, sera malgré tout décoré fin 1960 par Bruxelles qui se justifia en affirmant que la visite du chef de la sécession en Belgique n’avait aucun caractère officiel et que la décoration lui attribuée n’était pas celle réservée aux chefs d’Etat » ! Par la suite, après le deuxième coup d’Etat de Mobutu qui a donné naissance à la deuxième République (1965), ces tentatives belges – et européennes – d’interférer dans la gouvernance politique et économique de la RDC se sont poursuivies. « Ce fut le cas lorsque Mobutu initia la politique de l’authenticité qui se traduisait par une rupture avec la culture occidentale. Une banale manifestation d’étudiants de l’Université de Lubumbashi sera l’élément déclencheur de la descente aux enfers de l’ex. ‘‘bon élève‘‘ accusé d’avoir massacré une centaine d’étudiants même si rien ne prouve qu’il eut plus qu’une seule victime de ces incidents», note Mende. Qui signale que, d’une manière générale, après l’élimination de Lumumba et la fin de la guerre froide, la prétention à un droit de regard de la Belgique et de l’Occident sur les affaires de la RDC est devenue plus subtile et utilise, entre autres méthodes, le recours systématique à des sanctions unilatérales ciblées contre les élites dirigeantes congolaises indociles. A ce sujet, il observe que « pour réprimer toute politique de développement économique décomplexé en RDC (contrats chinois, nouveau code minier etc.) les suprématistes européens ne s’embarrassent ni de logique, ni de principes légaux ». Et dénonce l’illégitimité de ces sanctions unilatérales de l’Union européenne et des Etats-Unis, attentatoires aux principes du contradictoire, des droits de la défense, de la présomption d’innocence, de la légalité des infractions et des peines ainsi qu’à celui de l’imputabilité (caractère individuelle de la responsabilité pénale) avant de convoquer à l’appui de leur illégalité les écrits de Mampuya Kanunk’a Tshiabo pour qui, « prises sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, ces sanctions violent le droit international et ne peuvent pas être regardées comme une nouvelle règle juridique acceptable». Après avoir stigmatisé le fait que la prégnance de l’impérialisme néocolonial au Congo bénéficie aussi du concours d’acteurs périphériques comme certains prélats catholiques englués dans de vieilles pratiques instaurées dans leur congrégation du temps de la colonisation et de quelques chefs d’Etats africains voisins enclins à instrumentaliser la RDC comme monnaie d’échange dans leurs rapports avec des puissances occidentales au mépris du principe de l’African ownership comme lorsque l’Union Africaine se permit d’enjoindre à la Cour constitutionnelle congolaise d’interrompre l’examen en cours du contentieux électoral après la victoire de Félix Tshisekedi en décembre 2018, l’orateur a révélé que c’est la gestion jugée trop souverainiste de Kabila qui était dans le collimateur des suprématistes occidentaux. En effet, à son avis, « s’il s’agissait réellement de défendre les Droits de l’Homme, la compétence universelle en vigueur dans la plupart des législations des Etats distributeurs de sanctions ciblées leur aurait permis d’y articuler des procédures en bonne et due forme contre tout individu ou groupe d’individus présumé coupable de leur violation massive ».Et d’expliquer que « pour le colonisateur belge et la plupart de ses partenaires occidentaux, le Congo n’était qu’un réservoir de potentialités économiques. Ce qui explique la politique consistant à orienter les programmes d’éducation des « indigènes » exclusivement vers les tâches manuelles (scierie, menuiserie, mécanique, couture et cordonnerie) ne nécessitant pas de compétences de conception ». Pour le lumumbiste, pris par une sorte de vertige à l’idée de ne plus être le continent le plus prospère de la planète, l’Europe semble trépigner. « Hormis l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni qui est en train de quitter l’Union européenne, aucun Etat de ce continent ne se retrouve à la pointe de l’innovation au niveau mondial. Ce continent ne peut pas fournir à lui seul aux Congolais les clés de leur émergence et ceux qui plaident pour une coopération paternaliste avec l’Europe et l’Occident se trompent. Pourtant des grands esprits comme Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop ou N’Krumah ont suffisamment dénoncé l’anthologie suprématiste européenne », a-t-il martelé en recommandant à son auditoire un essai iconoclaste de l’Ivoirien Venance Konan intitulé « Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber !» paru aux Editions Michel Lafon à Paris en 2018. Il a aussi vanté le mérite de Joseph Kabila, le président honoraire de la RDC pour avoir verrouillé les scrutins de 2018 par sa décision de les faire financer exclusivement par le Trésor public congolais. « Il a éliminé ainsi un des mécanismes de subjugation des Congolais qui banalise le néocolonialisme et contribue au formatage de leurs décideurs ainsi enferrés dans le carcan d’une sorte de dette de gratitude à l’égard des pourvoyeurs du développement et de la démocratie au lieu d’avoir le courage de ce ‘‘devoir d’ingratitude’’ dont la journaliste Colette Braeckman (Le Soir de Bruxelles) a parlé à bon escient », estime-t-il avant d’attribuer le remue-ménage autour des élections congolaises « qui révèle qu’à l’instar de Léopold II en 1885, des acteurs en Belgique et en Occident voudraient toujours étrenner leur ‘’expertise’’ au plus offrant, raison pour laquelle ils ont pris en grippe le très original accord de coalition entre Tshisekedi et son prédécesseur Kabila, vainqueur des législatives gêne les suprématistes occidentaux». En guise de conclusion, Mende a appelé les élites autochtones à se dresser contre la politique comminatoire de la Belgique et des occidentaux confortablement installés dans l’entreprise idéologique de dépossession des Congolais dans leur rivalité avec la Chine sur le continent noir.
B.E.