Initiateur de « Congolais Debout », l’une des multiples associations citoyennes qui squattent les réseaux sociaux et les colonnes des journaux depuis la fin de la deuxième, et dernière, mandature de Joseph Kabila, Sindika Dokolo s’est tellement agité qu’à un moment, d’aucuns le voyaient comme un des probables candidats au Top Job dans le Congo de son père. Collectionneur réputé d’œuvres artistiques, ce fils d’un banquier ruiné sous la 2ème République mobutiste et d’une Danoise a même bourlingué un moment dans l’humanitaire en livrant des tonnes d’aides alimentaires et médicales à des milliers de Congolais brutalement expulsés d’Angola pour séjour irrégulier. Une charité qu’il n’a jamais manifestée au cours des longues années au pouvoir de son beau-père José Eduardo Dos Santos dont il a épousé la fille, Isabel, que la presse mondiale présente comme la femme la plus riche du continent africain. Lundi 30 décembre dans la soirée, la justice angolaise a sonné le tocsin pour le couple en ordonnant la saisie préventive des comptes bancaires et le gel des actifs des entreprises d’Isabel. Son époux Sindika Dokolo et le Portugais Mario da Silva, l’un de leurs conseillers financiers et prête-nom, sont également visés par cette décision du tribunal de Luanda sur demande du service national de recouvrement des biens mal acquis.
L’Etat angolais accuse Isabel Dos Santos et Sindika Dokolo d’avoir détourné plus de 890 millions d’euros, soit 1 milliard USD. Parmi les entreprises concernées par les mesures judiciaires angolaises se trouvent le géant national des télécommunications, Unitel, mais aussi des banques importantes et la cimenterie Cimangola, créée récemment par Sindika. Sur Twitter, Isabel Dos Santos a adressé lundi soir à ses équipes « un message de tranquillité et de confiance (car) la route est longue mais la vérité l’emportera».
Sous le règne de son père, José Eduardo dos Santos (1979-2017), Isabel et son mari avaient fait main basse sur des pans entiers de l’économie de ce pays voisin de la RDC, deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, en usant de l’accès privilégié qu’ils avaient à des fonds publics en partie détournés, selon les soupçons des autorités angolaises. Télécoms, diamants, pétrole, banques, brasserie, immobilier, consulting, urbanisme, grande distribution, médias etc. font partie de leur empire économique tentaculaire, piloté à travers une multitude de sociétés offshore qui s’étend aussi au Portugal, où ils détiennent notamment des participations dans quelques banques.
La femme la plus riche d’Afrique
Agée de 46 ans, Isabel vit entre Lisbonne et Londres depuis qu’elle a été ciblée, comme plusieurs membres de la famille Dos Santos, par la spectaculaire lutte anticorruption lancée par le président Joao Lourenço. Depuis près de deux ans, elle n’est plus retournée en Angola et n’a pas souhaité coopérer avec la justice depuis l’ouverture, en mars 2018, d’une enquête sur un transfert jugé suspect de 38 millions USD versés d’un compte de l’entreprise pétrolière d’Etat Sonangol – qu’elle a dirigée de juin 2016 à novembre 2017 – vers une société écran à Dubaï. Après que son successeur à la tête de la Sonangol, Carlos Saturnino, se soit publiquement « étonné » de découvrir des dépenses de consultance de quelques 135 millions d’Euros, elle avait exprimé son « indignation totale » et dénoncé des « accusations et insinuations graves ».
Les enquêtes de la justice angolaise se sont poursuivies sans coup férir et ont mis en lumière d’importants détournements de fonds publics présumés. Selon les rapports du parquet dont notre correspondant à Luanda a pu prendre connaissance, « pour développer leur empire, Isabel Dos Santos et Sindika Dokolo avaient pris l’habitude de s’associer à des entreprises d’Etat et ainsi bénéficier d’argent public. La Sonangol en fait partie. Bien avant d’être nommée à la tête de la société pétrolière, ils s’étaient imposés comme partenaires d’affaires de la compagnie ».
Chasse aux sorcières ?
Au début des années 2000, le couple aurait obtenu un prêt de 75 millions d’Euros pour co-investir avec la Sonangol via l’une de leurs sociétés offshore. La joint-venture a acquis, grâce à des fonds de l’Etat, des parts de l’entreprise pétrolière portugaise Galp. Un investissement stratégique mais dont les dirigeants de Sonangol disent n’avoir jamais enregistré un dividende quelconque, selon le procureur général angolais. Autre victime du couple Isabel Dos Santos – Sindika Dokolo : la société diamantifère d’Etat, Sodiam. Là encore, c’est à travers une myriade de sociétés offshore dirigées par le Portugais Mario da Silva que le couple s’est associé à cette entreprise publique pour prendre le contrôle du joaillier genevois De Grisogono. « Sodiam a investi 146 millions USD suite à un crédit accordé par Banco BIC (une banque en partie contrôlée par Isabel) et garanti par l’Etat angolais, qui continue à payer sa dette sans jamais avoir reçu le moindre bénéfice à ce jour », note la justice angolaise.
A travers leur lacis de circuits financiers offshore, Isabel et son mari seraient ainsi parvenus à détourner puis à dissimuler à l’étranger des montants astronomiques puisés sur des fonds publics angolais. «Presque tout leur patrimoine est logé à l’extérieur de l’Angola. Ils ont laissé au pays principalement des participations sociales dans quelques entreprises », peut-on lire dans l’ordonnance du tribunal de Luanda, datée du 23 décembre. Ce document de 16 pages révèle également que « la police judiciaire portugaise a intercepté un transfert d’une valeur de 10 millions d’Euros en Russie ».
Virements suspects vers Moscou
Isabel, se sachant traquée par les autorités angolaises, tentait de la sorte de transférer une partie de sa fortune vers la Russie, pays d’origine de sa mère, où elle-même, née à Bakou et russophone, a établi de solides relations avec divers oligarques et personnalités politiques influentes. Pour ce faire, elle aurait recouru aux services d’un richissime homme d’affaires, Leopoldino Fragoso do Nascimento, alias « général Dino », l’un des piliers du régime de l’ancien président Dos Santos, également actionnaire d’Unitel. C’est de l’un des comptes de ce dernier au Portugal que le virement devait être effectué vers celui d’une société, Woromin Finance, ouvert dans une banque de Moscou.
Cette décision de la justice angolaise accentue la pression sur les responsables de crimes économiques commis sous Dos Santos. Dans un contexte de crise, Joao Lourenço entend poursuivre ses efforts de lutte contre la corruption et de traque des avoirs détournés, qui ont d’ores et déjà permis de rapatrier 5 milliards USD en Angola cette année. Isabel Dos Santos dénonce ce qu’elle qualifie de « chasse aux sorcières ». Son époux Sindika, lui, parle d’une «cabale » et contre-attaque face à Sodiam, à qui il reproche de lui avoir fait perdre 120 millions USD par sa gestion « politique» de Ieurs relations commerciales. Il vient de déposer un recours auprès de la Cour d’arbitrage international de Londres.
Repli de Sindika à Kinshasa
C’est à Luanda, capitale de l’Angola où son beau-père venait de quitter la présidence que Sindika a porté sur les fonts baptismaux l’organisation « Les Congolais debout » en 2017. Une de ses premières actions fut de se porter au secours des réfugiés kasaïens très nombreux dans son pays d’adoption à cause du phénomène Kamwina Nsapu au Kasaï. Avec tambours et trompettes. Le correspondant du Maximum s’était alors étonné de ce brusque intérêt pour la chose politique du fils d’Augustin Dokolo et dans une analyse que les faits confirment aujourd’hui, avait conclu qu’il n’était certainement pas motivé par des convictions politiques. « Ce n’est ni l’altruisme, ni le patriotisme qui guide ce golden boy congolo-danois. Il est plutôt en quête d’un espace de repli et de redéploiement sûr de son empire financier au Congo-Kinshasa, dans la perspective des poursuites que les nouvelles autorités angolaises pourraient déclencher contre certains proches du président sortant Dos Santos dont on sait que le régime a brillé par le népotisme et les prévarications », écrivait-il. Moins de deux ans après, Sindika et sa femme, accusés de détournements massifs de deniers publics, sont au banc des accusés et ont quitté leur nid douillet de Luanda.
« Au-delà des rumeurs de mégestion et de la clameur publique mettant en cause la gestion de la société pétrolière d’Etat Sonangol par Isabel Dos Santos, son ancienne PDG et son époux, le procureur général de Luanda se montre très sévère », note aujourd’hui notre correspondant. Au sujet de la conversion en acteur sociopolitique congolais du fils Dokolo, il signale que «des années durant, Sindika, héritier de nationalité danoise d’un banquier congolais mis en faillite par la dictature mobutiste et qui ne s’était refait une santé financière florissante qu’en épousant la fille de l’ex-président angolais, n’avait jamais levé le plus petit doigt contre les expulsions brutales des millions de Congolais d’Angola». Pour se donner une crédibilité dans le rôle d’opposant qu’il entendait jouer en RDC, il avait écrit une lettre ouverte à Antonio Guterres, le SG des Nations-Unies, pour dénoncer le refus des autorités rd congolaises à participer à la conférence des donateurs prévue le 13 avril 2017 à Genève (Suisse). « Nous dénonçons l’attitude de non-assistance à peuple en danger manifestée par les autorités congolaises », soutenait-il. Sans élaborer.
Mécène et acteur politique
Lorsque, quelques mois avant les élections de décembre 2018, Joseph Kabila adouba Emmanuel Ramazani Shadary comme candidat de sa famille politique à l’élection présidentielle, Sindika qui avait fait chorus avec l’opposition congolaise contre la candidature annoncée ‘‘avec certitude’’ du président sortant à un troisième mandat consécutif donna de la voix toute honte bue pour, à partir de Luanda, se féliciter du fait que « la non-candidature de Kabila respecte la Constitution et renforce la démocratie » tout en dénonçant « l’exclusion de certains candidats qui doit être considérée par la Communauté internationale comme une des urgences à résoudre ». Le manteau de « mécène des arts » uniquement préoccupé par la détresse de ses ‘‘frères’’ congolais de Sindika n’aura pas tenu bien longtemps. Son aversion affichée contre le pouvoir de Kabila n’était qu’un leurre pour appâter quelques naïfs dans l’arène politique et le monde éclectique de la très politisée société civile de la RDC. Son anti-kabilisme avait déjà attiré l’attention du nouveau président de la RDC Félix Tshisekedi qui le recevra en audience le plus officiellement du monde à Kinshasa.
Depuis que le tribunal provincial de Luanda a annoncé le gel provisoire de tous les comptes bancaires et actions dans plusieurs banques et holdings de la fille et du gendre de l’ex-président Dos Santos, accusés de les avoir acquis avec des fonds de Sonangol, on comprend que l’agitation ‘’politico-citoyenne’’ du fils Dokolo procédait plus d’une recherche fébrile d’un recyclage des fonds détournés en Angola. Rafael Marques, activiste anti-corruption angolais estime que l’achat par le couple de parts de l’opérateur téléphonique Unitel, ou de la société pétrolière portugaise Galp avait été « frauduleux ». Dans le communiqué du procureur de la République de Luanda, l’Etat angolais s’est déclaré « lésé de plus d’un milliard de dollars à la suite d’un prêt contracté Par Madame Isabel Dos Santos et son mari avec une garantie souveraine non remboursé ». Un de leurs principaux associés, l’homme d’affaires Mario Filipe Moreira Leite da Silva, a lui aussi fait l’objet d’une décision judiciaire de blocage provisoire de ses avoirs par la justice.
Le nouveau président angolais Joao Lourenço ne lésine pas sur la lutte contre la corruption dont il a fait son cheval de bataille pour tirer son pays hors du gouffre de la récession dans laquelle la dégringolade des cours de l’or noir l’a précipité. Isabel et son mari Sindika ne sont pas les premiers membres de la famille Dos Santos à être poursuivis. Son frère, José Filomino Dos Santos, ancien patron du Fonds d’investissement souverain angolais, devait être aussi jugé à Luanda en décembre pour détournement de fonds et blanchiment de capitaux.
Mouvement citoyen opportuniste
C’est depuis que son beau-père, malade, avait annoncé son intention de passer la main que Sindika s’est découvert une opportune ambition de «faire de la politique » dans le pays de son père.
Indirectement d’abord par le canal de son ami Olivier Kamitatu dont il aurait financé la création du parti ARC, puis de manière directe à travers la création le 11 août 2017 à Londres, d’un mouvement citoyen et ‘’apolitique’’ baptisé « Congolais lèves-toi » qui va devenir « Congolais Debout ». «Nous avons décidé de créer Congolais Debout afin de diffuser massivement une juste pensée et soutenir toute action citoyenne, patriotique et pacifique dans le but du respect strict et sans condition de notre constitution en son article 64 dans l’intérêt national et dont le peuple est le seul bénéficiaire», avançait-il. Ce nouveau mouvement « citoyen » se voulait proche de la nébuleuse religieuse animée par le bouillant Cardinal Laurent Monsengwo Pansinya qui attirait alors beaucoup d’intellectuels.Parce qu’elle s’inspirait du dernier appel au djihad lancé par ce prince de l’Eglise catholique romaine début juin 2017 au terme d’une assemblée cléricale.
Mais ils ne sont pas des masses au Congo-Kinshasa à croire en la « citoyenneté » et l’apolitisme de l’initiative du businessman congolo-suédois-angolais, tant il est malaisé de le distinguer des partis politiques qui hantent l’arène politique kinoise. Ses accointances avec Kamitatu et son patron Moïse Katumbi, le richissime ancien gouverneur du Katanga, deux politiciens de l’opposition congolaise sont plus qu’évidentes.
Un étudiant en sciences politiques de l’Université de Kinshasa qui, après avoir assisté au premier message de son « compatriote » Sindika s’en était ému : « la citoyenneté peut aussi être positive, inciter les compatriotes à plus d’ardeur au travail, par exemple. Cela ne devrait pas exclusivement consister à s’opposer au pouvoir politique », avait-il déclaré, avant de se faire jetter comme un malpropre hors de la salle où se tenait la conférence de ‘’Congolais Debout’’.
Présenté dans les médias globaux comme un riche collectionneur d’œuvres d’art, Sindika n’était pas dépourvu d’atouts pour séduire une certaine classe politique congolaise prête à convoler avec le plus offrant. En ces temps de crise économique, beaucoup en RDC appellent de leurs vœux un « bon Samaritain » qui les sortirait miraculeusement de leur misère. « Ceux qui, en quête de gains faciles au Congo Démocratique, se sont délectés des dons en argent de Sindika Dokolo pourraient avoir bientôt à le regretter amèrement », estime à ce sujet Pineirho da Costa, un chroniqueur judiciaire angolais. « La justice angolaise lancera bientôt une demande d’entraide judiciaire auprès de la RDC pour plusieurs cas de recel d’abus de biens sociaux », croit-il savoir. Très bien informé, notre source rappelle les dépenses somptuaires de Sindika, notamment à Chantilly (France) lorsqu’il invita à ses frais « plusieurs activistes de la société civile, y compris des évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), pour un plan d’actions visant le renversement de Joseph Kabila et l’instauration d’une transition dite citoyenne qu’il s’était engagé à prendre en charge conjointement avec l’Open Society Foundation (OSF) de George Soros, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’égérie de Human Rights Watch (HRW) Ida Sawyer. Y avaient pris part, des activistes Ouest africains du Balai Citoyen Burkinabè ou Y’en a marre sénégalais dont les meneurs avaient été expulsés de Kinshasa par l’Agence nationale des renseignements (ANR) ». La FIDH avait lancé les invitations et une centaine d’ONG réelles ou fictives de l’intérieur et de la diaspora congolaise avaient accourru à Paris. Les « radicaux » de l’Eglise catholique romaine déjà présents à tous les rendez-vous anti-kabilistes (en Île de Gorée au Sénégal et à Genval en Belgique, même s’ils s’en étaient retirés au motif que les objectifs poursuivis « ne correspondaient pas avec l’objet mentionné dans les invitations» qui reprochaient à Kabila son « avarice » n’auraient pas craché sur les billets verts que faisait couler à flot le mari de la femme la plus riche d’Afrique.
Le blocage de ses comptes en Angola explique la fuite en avant de Sindika Dokolo qui a convoqué récemment des assises de son mouvement citoyen ‘’Congolais Debout’’ au Collège Boboto de Kinshasa-Gombe. Le but de cette rencontre très largement médiatisée était d’évaluer la marche du pays depuis l’alternance au sommet de l’État. Essayant tant bien que mal de s’adapter à la nouvelle dispensation politique du pays, le coordonnateur des ‘’Congolais Debout’’ qui fait désormais profil bas a insisté sur le caractère « non violent et non partisan » de sa structure. Finie la quête d’une «troisième transition ». Le discours plus policé est désormais axé sur la défense et la promotion d’un Etat de droit fondé sur les valeurs d’égalité, de solidarité et de justice. Il n’a pas résisté à la tentation d’embrayer sur les hurlements des extrémistes de la plateforme CACH du nouveau chef d’Etat Félix Tshisekedi auxquels il adresse des véritables appels du pied. « Il y a actuellement à la tête de notre pays, deux catégories de personnes. D’un côté, celles qui veulent le changement et de l’autre, celles qui remettent le pays dans son état d’avant les élections », a-t-il déclaré lors de ces premières assises de son mouvement. « Notre soutien au président Félix Tshisekedi n’est pas personnel. Aujourd’hui nous sommes dans une situation où on a d’un côté, une partie du pouvoir qui incarne ce désir de changement qui était le seul grand message clair qui est sorti de ces élections, et d’un autre côté, on sent la présence de résurgence des forces réactionnaires qui voudraient éventuellement revenir à l’état des choses qui étaient avant les élections », a déclaré le ‘‘révolutionnaire’’ Sindika qui ne craint pas de se contredire, lui qui, il n’y a pas longtemps ramait dans les mêmes eaux que les partisans de la « vérité des urnes » du duo Fayulu-Muzito. Selon un partisan de la plateforme Lamuka présent à la cérémonie de Boboto, « ce monsieur veut seulement obtenir de Félix Tshisekedi une attitude complaisante au cas où, comme on s’y attend, la justice angolaise envoyait à Kinshasa une commission rogatoire sur les présomptions de malversations financières qui pèsent sur lui.
JN