Ces derniers jours, la tension est montée d’un cran entre les faucons du Cap pour le Changement (CACH) et ceux du Front Commun pour le Congo (FCC), les deux composantes de la coalition de la majorité parlementaire après les élections législatives de fin décembre 2018. Cause initiale : la destruction par le feu des affiches à l’effigie de Joseph Kabila Kabange, président sortant de la République et chef de file du FCC dans la capitale Kinshasa par une bande de jeunes présentés comme des ‘’combattants’’ de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), principale force du CACH. Aussitôt, comme en représailles, on a assisté à l’incendie des effigies du président de la République Félix-Antoine Tshisekedi, autorité morale de l’UDPS, et du CACH, à Kolwezi, chef-lieu de la province du Lualaba dans le Sud-Est du pays (Grand Katanga) par des pyromanes se revendiquant, eux, du FCC. A la suite de cette agitation « à la base », certains ténors de ces deux grandes plateformes qui gouvernent ensemble le pays depuis à peine quelques mois sont montés au créneau avec échanges de déclarations aigres-douces à la clé. Se regardant à nouveau comme des chiens de faïences, des responsables au plus haut niveau de ces deux familles politiques ont embouché les trompettes soit pour s’accuser mutuellement de se sous-estimer ou se mépriser, soit pour se menacer le plus sérieusement du monde d’exil (sic !) ; soit encore pour dénoncer l’immaturité politique de leurs vis-à-vis accusés de vouloir plonger le pays dans une grave crise politique et institutionnelle aux conséquences incalculables. Mépris, menaces et dénonciations L’Association pour l’accès à la justice (ACAJ), une structure théoriquement vouée à la promotion et à la défense des Droits de l’Homme mais connue pour son hostilité affichée à l’égard de Joseph Kabila en a rajouté une couche. Intervenant comme un cheveu dans la soupe dans ce FCC-CACH Fatshi et JKK sauvent leur coalition débat de politique politicienne, son président, Me Kapiamba a, en effet, déclaré que « la coalition FCC-CACH ne fonctionne plus pour le bien du peuple congolais » avant de recommander au président Félix-Antoine Tshisekedi d’envisager « la convocation des élections législatives nationales anticipées », pour mettre fin à prédominance du camp de son prédécesseur, largement majoritaire dans les assemblées nationales et provinciales, ce qui lui confère une influence considérable dans la marche des institutions. Il n’est pas le seul avocat d’une solution « radicale » dans cette dispute. Le député national Jean-Marc Kabund a Kabund, président national intérimaire de l’UDPS et négociateur en chef du CACH dans les contacts avec le FCC a, lui aussi, mis de l’huile sur le feu. En fulminant le 10 novembre contre « ceux qui ont porté atteinte à la personne du chef de l’Etat qui est inviolable aux termes de la constitution », annonçant dans la foulée qu’il suspendait les discussions entre le CACH et son partenaire dans la majorité parlementaire et la coalition gouvernementale, le FCC « jusqu’à ce que les responsabilités soient établies ». Une solution radicale Quelques jours après, le 12 novembre, s’adressant à une audience chauffée à blanc de militants du parti présidentiel à Kinshasa-Limete à l’occasion de la journée dédiée à la base, Jean-Marc Kabund a «sévèrement» mis en garde le FCC qu’il a appelé « pour la dernière fois » à respecter le chef de l’État ainsi que la coalition Cap pour le Changement (CACH), avant d’insinuer que le président sortant et ses proches pourraient connaître le sort de quelques anciens chefs d’Etats africains comme l’Angolais José Eduardo Dos Santos, dont la famille a fait l’objet d’une chasse aux sorcières après qu’il ait quitté le pouvoir… Ces propos violents et irrévérencieux de Jean Marc Kabund ont fait bondir les membres de la conférence des présidents des regroupements et partis membres du FCC qui y ont consacré une de leurs réunions. Et publié le jour même dans la soirée un communiqué signé de leur coordonnateur Néhémie Mwilanya, selon lequel le FCC était prêt à « répondre de façon active et militante à toutes les provocations ». Projets de chasse aux sorcières Les sociétaires du FCC qui avaient reçu pendant leurs délibérations un message d’apaisement de leur autorité morale, Joseph Kabila ont certes non seulement « désapprouvé et condamné les propos désobligeants, outranciers, provocateurs, irresponsables diffamatoires et injurieux de l’Honorable Jean Marc Kabund » mais aussi affirmé que « la République Démocratique du Congo ne peut se passer de l’unité de son peuple incarné par la coalition entre le FCC et le CACH ». Ce ton modéré de la réaction de la plus haute instance du FCC a été aussi adopté par le chef de l’Etat qui a pris le parti de refroidir les ardeurs belliqueuses de ses lieutenants. En effet, mercredi 13 novembre 2019, Félix-Antoine Tshisekedi s’est prononcé depuis Paris où il était de passage sur ses relations avec son prédécesseur Joseph Kabila. Alors que les médias globaux se déchaînaient sur cette chronique d’une rupture annoncée de la coalition FCC-CACH, le nouveau numéro 1 congolais a affirmé qu’il n’y avait pas de dualisme du pouvoir en République Démocratique du Congo. Recadrage par Fatshi« Mon prédécesseur ne me gêne en rien ! Le Congo est inscrit dans le cycle de l’alternance. La dictature, les mandats indéfinis, c’est fini! », a déclaré le président Tshisekedi qui a dit qu’il restait optimiste sur l’avenir de la coalition CACH-FCC. Le chef de l’Etat a fait observer qu’il était normal que de telles situations arrivent car, il y a peu, les deux plateformes coalisées étaient belligérantes. « Nous sommes maintenant en alliance, en coalition comme on dit. Ça se passe bien, évidemment il y a des hauts et des bas. Il ne faut pas oublier que nous étions il y a encore très peu de temps des belligérants. Aujourd’hui, c’est le peuple congolais qui a décidé de nous mettre ensemble par les résultats des élections. Nous sommes donc obligés de composer pour la République Démocratique du Congo et sereinement, dans l’intérêt de notre peuple. Moi je reste très optimiste quant à l’avenir de notre coalition, mais en même temps ces soubresauts ne peuvent qu’arriver. Ils sont inhérents à toute organisation. C’est normal », a dit le président de la République. La mise au point valait son pesant d’or face à l’avalanche d’interprétations pessimistes des faits les plus anodins de la vie institutionnelle. Ainsi, lorsque l’ancienne ministre du Portefeuille, la juriste Wivine Mumba Matipa, invoquant des irrégularités de procédure s’était abstenu de notifier – donc de mettre en possession de leurs fonctions – des cadres nommés à la Gécamines et à la SNCC par le chef de l’Etat, d’aucuns parmi les plus ardents défenseurs du « respect des textes » ont aussitôt crié aux « caprices d’un partenaire qui devient de plus en plus encombrant ». Médias occidentaux à la manoeuvre Dans le même registre, le délai de quelques sept mois enregistrés dans la formation du gouvernement a été chahuté par des chroniqueurs belges qui y ont vu « une chape de plomb à l’action du chef de l’Etat ». Oubliant (ou faisant semblant d’oublier) que leur propre pays avait battu tous les records en la matière il n’y a pas si longtemps avec un délai de deux à trois fois plus long… Des questions sans grande importance comme la controverse entre le vicepremier ministre, ministre de l’Intérieur, le CACH Gilbert Kankonde et certains gouverneurs qui ont désignés des bourgmestres à titre intérimaire ou des commissaires provinciaux pour gérer quelques secteurs de leurs administrations sur pied de la loi sur la libre administration des provinces sont montées en épingle comme révélatrices d’une impossible convivialité entre FCC et CACH. Des commentateurs passionnés y ont décelé «bras de fer (qui) fournit la preuve que la mise en garde du patron de l’Intérieur n’a eu aucun effet sur le terrain. Au lieu de se soumettre, les gouverneurs de province se sont plutôt coalisés autour d’une action pour narguer leur chef hiérarchique ». Ce que contestent les intérressés pour qui, s’appuyant sur la distinction établie par le droit administratif entre pouvoir de tutelle et pouvoir hiérarchique, estime que « cette interprétation est tendancieuse car les chambres administratives des Cours d’appel ou le Conseil d’Etat peuvent aisément être saisis et disposent de toute l’autorité pour statuer sur ces problèmes ». Une affaire, somme toute, des plus banales. Au-delà de ces couacs dans la territoriale et le portefeuille de l’Etat, les pourfendeurs de la coalition FCC-CACH y voient un sérieux handicap pour la visibilité de l’action du chef de l’Etat. Interrogé par nos confrères de Radio France Internationale, un politologue proche de CACH s’est fendu d’une explication de son cru : « la situation inconfortable dans lequel se trouve Félix Tshisekedi est dû au fait que Kabila s’impose, quand Tshisekedi négocie », a-t-il indiqué. Handicap ? Visibilité ? Confort ? Ce à quoi José Nawej du quotidien kinois Forum des As oppose une réflexion fondée sur la lecture des textes constitutionnels et légaux en vigueur en RDC. Il rappelle en effet qu’en s’adjugeant une majorité confortable dans les deux chambres du parlement et en raflant le contrôle de la quasi-totalité des assemblées provinciales, Joseph Kabila jouit par rapport à son partenaire de CACH, d’un avantage comparatif considérable. Les règles institutionnelles établies dans la Constitution du 18 février 2006, font que rien ne peut dans ces conditions être décidé sans l’avis de celui qui est le chef de la majorité à l’Assemblée nationale. Il est donc de bonne politique démocratique que pour les cas relatifs aux matières relevant des compétences du gouvernement, c’est à Joseph Kabila, autorité morale du FCC, que Félix Tshisekedi doit se référer pour toute décision touchant à la marche de l’Etat. Cela a été le cas pour la nomination des ministres. Si des observateurs reconnaissent que ce sont des contraintes dues aux lois et à la nature d’un exécutif de coalition. Il est à tout le moins curieux que certains analystes trouvent questionnable que le FCC rêve de revenir aux affaires en 2023, comme si un parti ou un regroupement de partis pouvait avoir un autre objectif que celui de conquérir ou conserver le pouvoir… Pour le chroniqueur politique Jean Kingulu, « on ne devrait pas perdre du temps en des débats sur de telles conjectures. Aussi bien le FCC que le CACH ou Lamuka n’ont été créé que dans le but de conquérir ou conserver le pouvoir. Gloser là-dessus revient à poser la question de savoir pourquoi un être vivant respire ou mange alors qu’on sait bien que privé d’oxygène et de nourriture, il cesserait de vivre… ». Le b.a.ba d’une organisation politique Et de rappeler que la situation n’a rien de nouveau ou d’exceptionnel en RDC : « En 2006, Joseph Kabila lui-même sortait d’une cohabitation de quatre ans avec des oppositions armées avec lesquelles son prédécesseur et lui-même avaient guerroyé depuis 1997. Sa situation de Jean-Pierre Bemba du Mouvement de Libération du Congo (MLC), arrivé 2ème à la présidentielle, ou d’Azarias Ruberwa du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma) était certainement plus inconfortable que celle de Félix-Antoine Tshiskedi. Ce sont les exigences de tout système démocratique » a-til noté. Il fait observer que « les poncifs selon lesquels l’omniprésence du président sortant Joseph Kabila sur la scène politique gênerait aux entournures Félix Tshisekedi car elle empêcherait le président Tshisekedi de travailler sont tout simplement anti-démocratiques. Une démocratie dans laquelle on ne tolérerait pas la présence ou l’expression d’un compétiteur n’en est plus une. Nul n’a le droit dans un pays démocratique d’exiger à un homme (ou une formation) politique ayant exercé des responsabilités dans un pays et ayant démocratiquement concédé sa défaite de s’effacer dans l’unique but de donner donner l’occasion à l’entrant d’asseoir leur emprise sur le pays». C’est manifestement l’avis de Fatshi qui n’a pas attendu de rentrer au pays pour calmer le jeu. « Je dois vous dire, les yeux dans les yeux, qu’à aucun moment, nous n’avons trahi ni notre engagement ni notre pays en faisant cette coalition (avec le FCC ndlr). Nous avons tout simplement appliqué la loi de notre pays », a déclaré le président de la République au cours de son meeting devant les Congolais de la diaspora à Paris. Prenant à rebroussepoil ceux qui tentaient de le pousser à donner un coup de pieds sur l’édifice institutionnel du pays pour des raisons de commodité politique particulière le chef de l’Etat a rappelé que « à partir du moment où j’ai été élu avec un regroupement politique qui n’est pas arrivé à constituer la majorité au Parlement, il fallait donc créer cette majorité pour participer au gouvernement (afin de) remplir mes promesses électorales ». Calmer les extrémistes Fatshi a regretté de ne pas avoir pu gagner les élections (législatives) « avec les amis avec lesquels nous avons cheminé un bout de temps dans l’Opposition parce que victime d’une haute trahison à Genève», en rappelant, honnêteté intellectuelle oblige, qu’avec seulement 10% des députés au parlement, sa coalition CACH a pu quand même se voir attribuer 35% de postes au sein du gouvernement central de la RDC. «Nous avons dit nous n’allions pas laisser le FCC diriger le gouvernement seul. Il fallait donc politiquement que nous nous mettions en coalition pour gouverner ensemble », a-t-il ajouté en précisant que c’est son programme que le premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba et son exécutif appliquent. Piquées au vif, certaines têtes couronnées du FCC ont critiqué cette lecture mais force est de reconnaître que selon le texte et l’esprit de la constitution, le gouvernement, c’est-à-dire la majorité parlementaire « élabore la politique de la Nation de concert avec le président de la République ». Rien donc ne saurait justifier l’interprétation selon laquelle le chef de l’Etat voudrait prendre en mains les affaires du pays comme un capitaine d’industrie conduirait celles d’une entreprise privée. Du reste, à ceux qui, aussi bien en RDC même qu’en Occident, lui suggéraient d’embastiller purement et simplement ses alliés devenus des partenaires encombrants, Tshisekedi a réservé une fin de non-recevoir : «La justice doit être faite, mais pas n’importe comment », a-til rétorqué. « J’ai mille et une raisons de me venger de tout ce que j’ai vécu dans ma vie. Et dans ce cas, je ne devrais pas commencer directement avec nos amis du FCC. Je devrais remonter jusqu’aux années du régime du maréchal Mobutu». Un rappel des mésaventures de son père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, fondateur de l’UDPS qui, après avoir travaillé avec l’ancien président Mobutu Sese Seko, fut une victime emblématique des persécutions du régime de ce dernier dont plusieurs des piliers nationaux et étrangers poussent aujourd’hui son héritier à devenir un dictateur du style de celui de la deuxième République. « Si je me lance dans une telle entreprise est-ce que je pourrais servir encore le Congo ? Je suis plutôt d’avis qu’il faut renforcer la justice, l’Etat de droit. Nous allons instaurer un jour un tribunal pour les crimes commis. Ce tribunal sera institué au Congo. Je ne veux pas un Congo où les fils de ce pays se lèvent contre d›autres. La haine… le tribalisme, je n›accepterai jamais cela tant que je serai à la tête de ce pays», a annoncé le chef de l’Etat alors qu’à l’extérieur de la salle, une poignée de gros bras nostalgiques de l’époque mobutiste (ils étaient vêtus aux couleurs du drapeau du Zaïre) manifestaient, empêchant certains de ses partisans d’accéder à la salle.
JN