Ce n’est plus qu’une question de jours. Une vaste offensive contre les forces négatives qui écument l’est rd congolais depuis une vingtaine d’années sera lancée dans les jours et semaines à venir. En séjour à Beni, le 11 octobre courant, le président de la République a réitéré sa volonté de rétablissement de la paix dans cette région particulièrement perturbée par les tueries des civils innocents ces dernières années. Félix Tshisekedi a, à cet effet, promis de doter les Forces Armées de la RDC (FARDC) de moyens conséquents pour éradiquer les forces négatives, ADF et mai-mai, qui malmènent les populations de Beni et alentours. Un jour plus tôt, le 10 octobre, le chef de l’Etat avait présidé une importante réunion du conseil provincial de sécurité qui, pense-t-on, lui a permis de se faire une dernière idée de la situation sécuritaire à Beni et Beni rural. Qui demeure un défi.
Dimanche 20 octobre encore, une nouvelle attaque des rebelles ADF sur la route Beni-Kasindi avait occasionné la mort d’un élément FARDC. L’incident faisait suite aux accrochages qui ont opposé les rebelles ougandais aux troupes loyalistes à Nyaleke, 10 km à l’est de Beni, lorsque les rebelles ont tenté de prendre d’assaut un convoi commerçant.
10 km, ce n’est guère loin de Beni, la capitale administrative du Grand Nord-Kivu. L’ennemi n’est donc pas bien loin et les FARDC en sont conscients et multiplient des opérations de bouclage à la fois pour mettre un terme à la criminalité urbaine qui a élu domicile dans la ville et pour préparer la grande offensive annoncée contre les forces négatives. Dimanche 20 octobre, au terme de la troisième opération du genre en quelques jours, 24 personnes, dont 7 militaires ont ainsi été appréhendés au quartier Malepe (commune de Beu) à Beni. Une arme de type AK47 et 410 munitions de guerre ont également été saisies. Le 8 octobre au quartier Mabakanga, un bouclage-surprise avait permis l’interpellation de 52 personnes, dont 16 militaires, et la saisie de 9 armes AK 47, des munitions, des effets militaires et de nombreux effets extorqués.
Opérations urgentes
L’urgence d’une opération d’envergure contre les forces négatives dans la région de Beni s’impose chaque jour davantage. Mais c’est sa mise en œuvre et les résultats escomptés, qui sont déterminants dans l’adhésion des populations aux opérations militaires à venir, qui posent problème. Depuis notamment que l’on sait que les armées des pays voisins de la RDC, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, et la Tanzanie seront plus qu’étroitement associées aux opérations. La pilule, puisque c’en est une en raison d’exploits de ces mêmes armées sur le territoire rd congolais dans un passé récent passe mal. Soucieux de mettre toutes les chances de réussite de son côté, Félix Tshisekedi a jugé opportun d’associer les Etats voisins également concernés par les problèmes sécuritaires de l’est du pays à l’opération d’envergure en vue. Selon les informations diffusées par la presse, le RDF rwandais, le FDNBU burundais, l’UDPF ougandais, le TFDF tanzanien apporteront un soutien en matière d’échanges d’informations et renseignements, d’appui en unités combattantes spéciales (+ un appui aérien et anti-aérien pour l’UPDF), et par un contrôle des frontières terrestres et lacustres (ou riveraines). Tandis que la MONUSCO sera chargée de la sécurisation des grandes agglomérations et des axes principales de circulation de la région de Beni-Butembo-Kasindi, de l’appui aux unités combattantes, d’évacuation des blessés, et d’appui en renseignements militaires. Même la force US en Afrique, AFRICOM, sera associée à la traque contre les forces négatives à travers l’appui en informations et renseignements et en opérations anti-terroristes.
Si le concours d’autant de forces armées étrangères donne une idée de l’envergure de la traque ADF version Fatshi, elle n’en recèle pas moins de sérieux écueils, notamment en raison du fait que les troupes étrangères annoncées devraient, selon des sources, également se charger de l’éradication des forces négatives de leurs propres pays qui se terrent en RDC. Chaque armée qui interviendra aurait indiqué ses objectifs et les zones d’action qu’elle investirait pour atteindre ces objectifs afin de nettoyer les régions de tout groupe armée, renseigne-t-on.
A chacun son rebelle
Le RDF rwandais pourchassera ainsi les FDLR, le RUD-Urunana, le CNRD, et le RNC dans la région de Beni-Lubero, de Rutshuru, Nyiragongo et de Masisi ; Le FDNBU profitera de la même offensive pour se débarrasser du FNL, du RED/TABARA et du FPB dans les régions de Kalehe, Uvira, Pfizi et Mwenga ; tandis que l’UPDF ougandais visera les ADF dans la région de Beni-Lubero. Une réunion de finalisation de ce plan opérationnel se tiendra à Goma les 24 et 25 octobre 2019, selon cette information publiée sur les réseaux sociaux. Et c’est ici que le bât blesse. En RDC, l’opinion n’est pas encore prête à oublier l’origine des problèmes sécuritaires qui endeuillent l’est du territoire nationale depuis deux décennies, voire plus : les invasions d’armées étrangères, du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda depuis le milieu de la décennie ’90. Particulièrement, la tristement célèbre « première guerre mondiale africaine », qui mit aux prises les armées de 9 pays voisins et une trentaine de groupes armés sur le territoire national de 1998 à 2002. En plus de la cohorte de viols et de massacres qu’elle charia, elle a entraîné la mort de 4 à 4,5 millions de personnes, selon l’International Rescue Committee, et des millions de déplacés. Plus près de nous, en janvier 2009, l’opération conjointe RDF-FARDC baptisée Umoja Wetu, autorisée par Joseph Kabila afin de neutraliser le CNDP de Laurent Kundabatware et Bosco Ntaganda et lutter contre les FDLR, n’avait abouti qu’à la subtile substitution du CNDP par le M23 qui faillit réussir la balkanisation du pays en s’emparant notamment de la ville de Goma au début du 2ème trimestre 2012.
Craintes justifiées
Sous la forme déjà usitée de « chacun contre ses forces négatives », la grande offensive militaire annoncée à l’est de la RDC suscite des appréhensions somme toute justifiées. Les observateurs relèvent ainsi que certains pays associés à l’opération rangent des objectifs considérés comme démocratiques ailleurs parmi les objectifs militaires de l’opération. Kigali entendrait ainsi profiter de sa énième intervention militaire chez son immense voisin pour démanteler le Rwanda National Congres (RNC), un parti politique de l’opposition créé par d’anciens proches de Paul Kagame. Les zones d’intervention choisies ou qui ont échu aux armées de certains Etats voisins représentent des intérêts économiques (zones minières) et non militaires (cas du Masisi pour le Rwanda). De même qu’il est craint la réédition d’affrontements entre armées étrangères sur le territoire rd congolais, dans la mesure où les groupes armés que le FDNBU burundais doit prendre en chasse sont notoirement entretenus par son voisin rwandais, qui ne devrait pas se laisser faire. De même, du reste, que nombre de groupuscules mai-mai et autres forces dites d’auto-défense en RDC, qui sont équipées par les Etats voisins appelés à la rescousse pour les neutraliser.
Conclusions hâtives
Dans ces conditions, de plus en plus de voix s’élèvent pour crier haro contre ce qu’ils appellent ‘une nouvelle invasion armée de la RDC’. Juvénal Munubo, un élu national UNC (coalition au pouvoir) de Walikale au Nord-Kivu déclarait aux médias le 20 octobre courant que « l’apport de nos voisins doit se limiter à l’échange des renseignements pour combattre les rebelles FDLR, ADF, et FNL. Et non des opérations militaires ». « Une bêtise qu’il faudra absolument éviter est celle d’autoriser l’entrée des troupes rwandaises, ougandaises et burundaises en RDC », explique-t-il dans un tweet abondamment exploité sur les réseaux sociaux.
Beaucoup moins nuancé comme à son habitude, Jean-Claude Katende qui se présente comme un activiste des droits de l’homme, estime que « la coalition entre la RD Congo, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda pour traquer les groupes rebelles posera problème ». Dans un posting daté du 15 octobre, cet acteur politique qui se surnomme « Gardien du Temple » pour la circonstance, se demande si l’appel gouvernemental aux troupes des Etats voisins n’est pas un désaveu de la présence des troupes onusiennes en RDC. Mais surtout, pourquoi le gouvernement n’a pas tenu compte de l’opinion des congolais des territoires de l’Est. Connu pour ses talents d’agitateur politique plutôt que pour ses exploits en matière de défense des droits humains, Jean-Claude Katende agite carrément le sceptre du débat parlementaire sur la question de l’engagement des troupes étrangères sur le territoire national en s’interrogeant si l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés de «l’accord sur la mise en place de la coalition avec les Etats étrangers voisins dont les armées viendront aider le Congo … ». Selon l’activiste, « tout compte fait, cette décision est malvenue. Le retour des troupes, en RDC, des pays qui ont toujours l’ambition d’avoir la main mise sur les ressources naturelles de notre pays n’est pas une bonne chose ».
Seulement des unités spéciales
Seulement, les détracteurs de l’initiative présidentielle semblent, presque tous, pêcher par des conclusions hâtives, voire, intéressées à plus d’un égard. Les renseignements disponibles sur la grande offensive annoncée contre les forces négatives en RDC n’indiquent nulle part que les armées du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et de la Tanzanie investiront le territoire de la RDC. L’appui militaire attendu des armées de ces Etats consistera en l’engagement « d’unités spéciales », qui ne constituent nullement de hordes de soldats, à première vue. Seul l’UPDF ougandais sera autorisé à déployer assauts aériens et anti-aériens, en plus des renseignements et informations militaires attendus de chaque armée associée à l’opération d’éradication des forces négatives. Des nuances s’imposent donc dans le dossier de l’intervention des forces armées des Etats voisins en RDC. Le gouvernement n’a sollicité que l’intervention d’unités spéciales de ces armées, dont la dimension reste à apprécier selon la difficulté de la tâche qui consiste, en ce qui concerne le Grand Nord-Kivu par exemple, à faire face à une guerre asymétrique, ainsi qu’on le crie sur tous les toits depuis plusieurs années.
J.N