Tous les jours ne sont pas dimanche, dit-on. Mais dimanche 29 septembre a été à Bukavu un dimanche sans messe. En raison de sérieuses divergences entre la hiérarchie de l’Eglise catholique et les chrétiens. Ce qui est arrivé était impensable il y a quelques années encore : des fidèles réagissant violemment contre les princes de l’église en réponse à une grève déclenchée au milieu de la semaine dernière par les enseignants des écoles conventionnées catholiques de l’archidiocèse de Bukavu ont perturbé, et à certains endroits, carrément empêché le déroulement des offices. En brûlant des pneus devant les édifices paroissiaux, ces lieux de culte réputés inviolables que le clergé lui-même leur a appris à profaner pour des raisons politiques depuis quelques années.On a scandé dans le chef-lieu du Sud-Kivu des messages hostiles à l’église (!) et renvoyé à domicile les ouailles venus implorer le Seigneur à cause de la polémique autour de la gratuité de l’enseignement de base.
Séisme à Bukavu
A Bukavu, des témoins rapportent qu’à la cathédrale Notre Dame de la Paix, le portail est resté hermétiquement clos à l’heure de la messe. Quiconque s’en approchait était découragé par des affiches sans équivoques sur lesquelles on pouvait lire « pas d’école, pas de messe ! ». Idem dans les paroisses de Cimpunda et Ciriri où, devant les portails inhabituellement clos, des fidèles étaient agglutinés pour discuter, contester, relativiser ce qu’ils présentaient comme le nouveau parti-pris politique clérical.
Selon plusieurs sources, Mgr Marroy, l’ordinaire du lieu, aurait été carrément chassé par des manifestants en furie et n’aurait eu la vie sauve qu’en empruntant une sortie dérobée de la cathédrale.
A Notre Dame de la Miséricorde (Cimpunda), la deuxième messe dominicale n’a pu se tenir, des jeunes élèves en colère ayant empêché tout accès à l’église en brûlant des pneus sur la chaussée, comme dans une manifestation politique. Ils exigeaient à tue-tête la fin du régime de paiement d’une prime des parents aux enseignants et la reprise des cours sans condition.
Le calme n’est revenu autour des lieux cultuels catholiques (et même protestants) qu’en milieu de journée, lorsque les forces de police ont été déployées pour rétablir l’ordre.
Mi-figue, mi-raisain
Pourtant, Mgr Xavier Maroy, l’archevêque de Bukavu, avait fait état de la disponibilité de l’église catholique à accompagner la gratuité de l’enseignement de base décrétée et mise en œuvre par le gouvernement depuis le 2 septembre 2019. Reçu par les autorités provinciales à Bukavu en marge de la grève sèche déclenchée par les enseignants des écoles conventionnées, il avait assuré à ce sujet que « nous sommes disponibles, nous attendons maintenant que l’État nous dise ce que nous ferons, et ensemble nous allons le faire. Nous attendons que les parents nous disent ce que nous ferons et ensemble nous allons le faire. L’Eglise est vraiment disponible pour le bien».
Mais c’est l’idée même de cette « attente » qui semble énerver l’église d’en bas, à Bukavu comme un peu partout en RDC où on la perçoit de plus en plus comme une obstruction à la gratuité de l’enseignement de base de la part de certaines confessions religieuses. Dans une interview à la presse locale, Mgr Marroy avait expliqué que « si les enseignants font la grève, constitutionnellement, c’est permis, mais il faut le faire en ordre. S’ils le font en ordre, là ils ont le droit de réclamer auprès de qui de droit. Nous avons promis que nous allions progressivement, en collaboration très étroite avec les quatre composantes (…) en vue d’emmener l’enfant à la bonne destination … ». Ces atermoiements jésuistiques à forts relents politiciens partisans sont vertement reprochés à l’archevêque par divers mouvements dits citoyens de Bukavu qui parlent en l’espèce le même langage que les parents. Ils invitent les enseignants à reprendre les cours sans conditions « pour sauver l’éducation de nos enfants, cadres futurs de notre pays », selon Amos Bisimwa de OBAPG/RDC. « Nous avons compris qu’avec cette grève il y a des nostalgiques qui ne veulent pas lâcher la prime des parents payée aux enseignants et qui tirent les ficelles dans l’ombre», tranche-t-il, avant d’appeler les parents à ne pas se laisser intimider.
Hiérarchies confessionnelles vs enseignants
La gratuité de l’enseignement de base n’oppose pas seulement la hiérarchie de l’église catholique à sa base. Elle met également à rude épreuve l’unité du corps enseignant, désormais divisé entre les enseignants jadis mieux lotis des écoles conventionnées de la ville haute à Kinshasa par exemple, et ceux des parties périphériques de la capitale moins nanties. « Ce qui représente une perte pour un enseignant du collège Boboto à la Gombe est un gain considérable pour celui d’une école conventionnée de Maluku. Tous ne voient donc pas d’un même œil la mesure gouvernementale », explique au Maximum un fonctionnaire de la sous-division de l’EPSP de la Tshangu.
Il se dégage de la question de la gratuité de l’enseignement de base, comme d’autres questions vitales sur lesquelles l’église catholique est intervenue ces dernières années en RDC, comme une perte de repères au sommet. Devenue partisane à plus d’un égard, la hiérarchie de l’église catholique romaine en RDC semble chercher laborieusement à quel Saint se vouer. Et navigue trop souvent à contre-courant de l’intérêt des brebis dont elle a la charge.
J.N.