Evénement à Goma et dans le territoire voisin de Nyiragongo, mardi 13 août 2019. Deux des malades déclarés positifs à la MVE (maladie à virus Ebola), Espérance Fataki et son bébé de 12 mois, sont sortis guéris du centre de traitement d’Ebola (CTE) de la ville volcanique. A la grande joie des intéressés contaminés par leur époux et père qui avait contracté la maladie en Ituri, et en est décédé dans la nuit de mardi à mercredi 31 juillet 2019 au CTE de Kiziba. Il n’était arrivé au centre de traitement qu’au 11ème jour de sa maladie, c’était vraiment sans espoir car la maladie était déjà à un degré très avancé, avait expliqué l’équipe de riposte dirigée par le professeur Jean- Jacques Muyembe. 13 jours après ce deuxième décès des suites de la MVE à Goma, les contacts directs de la victime, pris en charge en temps utile, venaient ainsi à bout de cette affection virale déjà responsable de 1.838 décès (probables et confirmés) au 3 août 2018. De quoi pavoiser.
Mardi 13 août à Goma, les équipes de la riposte contre Ebola avaient mis les petits plats dans les grands pour fêter ces premières victoires du team Muyembe sur la mala¬die, une dizaine de jours seulement après que le célèbre virologue congolais dont le nom est étroitement associé à l’épidémie eût pris en main la direction du secrétariat technique mis en place par le président de la République en personne quelques semaines plus tôt : présentation de la patiente et de son bébé guéris au public et aux médias au milieu de discours circonstanciés, caravane motorisée pour raccompagner les héroïnes du jour jusqu’à Nyirangongo. Et, cerise sur le gâteau, révélation du secret de cette si prompte guérison, un an après l’apparition de la MVE à Beni : un traitement curatif à base de molécules dont au moins une, le mAb114, est une invention du professeur Muyembe !
Guérisons rapides
Les premières guérisons de la MVE à Goma, ville touristique de près de 2 millions d’âmes extrêmement ouverte où le premier cas positif déclaré le 14 juillet dernier a exacerbé les craintes de propagation dans les pays voisins, eurent une saveur particulière. Non seulement la situation épidémiologique de la ville semblait ainsi sous contrôle des équipes de riposte, mais en plus, la MVE s’avérait curable si on s’y prenait à temps. Accessoirement, il apparaissait que le changement intervenu dans la direction de la riposte était de fort bon augure. Tout autant donc que la déclaration de la fièvre hémorragique à virus Ebola au Nord-Kivu et en Ituri « urgence sanitaire de portée internationale » par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), peu après la mi-juillet 2019, à la suite de la découverte du premier cas positif de Goma.
Seulement, il apparaît aussi que les guérisons de Goma et toutes les célébrations qui les ont marquées ont occulté quelques réalités qu’il ne faut pas perdre de vue. Certes, Mme Fataki et son bébé ont survécu à la MVE et sont sorties du CTE le 13 août der¬nier. Mais leurs guérisons ne furent pas les seules dans la région parce que le même jour sortaient également des CTE 7 autres ‘‘vainqueurs de la MVE’’ à Katwa (4) et à Beni (3), selon le rapport du comité multisectoriel de la riposte du 14 août 2019. Qui, du reste, faisait état de 7 nouveaux décès parmi les cas confirmés au Nord-Kivu et en Ituri 2 et de 2 à Kalunguta et Komanda.
Guérisons oubliées
En fait de guérisons, 789 cas étaient enregistrés au 3 août 2019, lorsque le professeur Muyembe a pris effectivement les rennes de la coordination de la riposte à Goma. Selon le rapport du comité multisectoriel de la riposte du 12 août 2019, ce sont 833 malades d’Ebola qui étaient déclarés guéris au Nord-Kivu et en Ituri, contre 2.831 morts (confirmés et probables). Si donc on peut se réjouir de la découverte d’une molécule guérisseuse de la MVE par ce compatriote qui compte parmi les savants qui ont découvert le virus responsable de l’épidémie il y a une trentaine d’années, force est de constater qu’à l’étape actuelle, on doit le plus grand nombre de rémissions de la malade à d’autres contributions scientifiques. Depuis le début de l’épidémie d’Ebola au Nord- Kivu, trois autres molécules thérapeutiques sont en effet utilisées pour traiter les patients dans tous les centres de traitement d’Ebola (CTE) installés : le ZMapp, le Remde¬sivir et le Regeneron.
Le renfort de publicité autour de la mAb114 peut donc poser de sérieux pro¬blèmes d’éthique qui gênent aux entournures et suscitent des préoccupations légitimes exacerbées par l’extrême rapidité des conclusions qui ont rendu possibles des essais cliniques en RDC.
En octobre 2018, un comité ad hoc avait été chargé par l’OMS de faire des recommandations sur les essais cliniques de traitements « compassionnels » de la maladie à virus Ebola. Sur l’ensemble des experts sollicités, quatre avaient été considérés comme étant en « conflit d’intérêts ». Parmi eux, Jean-Jacques Muyembe-Tamfum et Sabue Mulangu de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB), « répertoriés comme inventeurs » de l’utilisation du mAb114 dans le traite-ment d’Ebola, apprend-on. Or, si la molécule curative d’Ebola est une découverte du professeur Muyembe, l’invention elle-même est une propriété américaine, selon des sources de l’OMS et du ministère de la santé citées par la presse. Elles assurent que « la molécule thérapeutique a été développée par un laboratoire américain. C’est pour ça que c’est le gouverne¬ment américain qui en détient la propriété ».
Problèmes éthiques
Il en va de la riposte curative à la MVE au Nord-Kivu et en Ituri autant que de la riposte préventive dont la mise en oeuvre a subi une internationalisation depuis que l’épidémie a été déclarée urgence sanitaire de portée internationale par l’OMS en juillet dernier. Depuis le remplacement du ministre rd congolais de la santé, le docteur Oly Ilunga, par le patron de l’INRB, la gestion de la crise ne relève plus des seules autorités gouverne¬mentales. Faisant des provinces orientales de la RDC le théâtre d’un nouveau type de compétition capitaliste : la lutte pour l’expérimentation des différents vaccins en quête d’homologation. Toutes les puissances financières de la planète en possèdent ou veulent en posséder un : Chinois, Russes, Américains, Français … Depuis la terrible épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, avec la perspective d’une contagion étendue à d’autres pays ou continents, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont tous développé des vaccins et des traitements expérimentaux contre la souche Zaïre du virus. C’est donc la course à l’homologation avec comme nouveau champ de bataille commerciale la RDC.
Priorité de recherches
Le Dr Paul Stoffels, un ancien de Janssens Pharmaceutica rachetée par l’américain J and J explique les dessous des cartes de la recherche anti- Ebola à Colette Braeckman : « c’est après les attentats du 11 septembre que les autorités américaines, prenant en compte la menace du bio terrorisme, ont demandé aux sociétés pharmaceutiques de mener des recherches sur des vaccins à large spectre, capables de neutraliser ces divers virus, 14 au total. En cas de réussite, ces vaccins pourraient être stockés par les gouvernements occidentaux afin de protéger leurs populations ou leurs armées contre d’éventuelles menaces de guerre biologique… ». Nommé à la tête du département « recherche » de J an J, Stoffels a travaillé pendant 15 ans sur les vaccins capables de neutraliser les maladies à virus, dont Ebola, et est à l’origine d’un vaccin déjà testé sur des primates qui attend d’être testé sur l’homme pour être validé. J and J joue des pieds et des mains pour introduire son sésame sanitaire en RDC, mais se heurte à la résistance des autorités sanitaires nationales. Jusqu’à la démission du ministre de la Santé, Oly Ilunga, mi-juillet dernier, qui s’en va en dénonçant les pressions d’un lobby malveillant sur lui pour imposer un vaccin en¬core expérimental. Derrière semble se tenir le nouveau patron de la riposte, le professeur Muyembe, à en juger par les déclarations de Peter Piot, le directeur de la faculté d’hygiène et de médecine tropicale de Londres après la nomination de l’expert rd congolais, qui a affirmé le 4 août 2019 selon RFI que « durant ces derniers mois, nous avons travaillé avec les autorités locales et nationales en RDC, notamment le ministère de la Santé, pour soutenir le déploiement d’un second vaccin expérimental fabriqué par Johnson & Johnson », avant de saluer notamment le rôle du professeur Muyembe et le fait que les protocoles expérimentaux de ce deuxième vaccin aient déjà été soumis au comité d’éthique et à d’autres institutions chargées d’autoriser l’utilisation de nouveaux médicaments. « La RDC devrait rester à la pointe de la recherche et de l’innovation dans ce domaine », souligne ce co-découvreur d’Ebola.
Nouvelles thérapies, probables nouveaux vaccins, la riposte à l’épidémie d’Ebola dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri a indubitablement muté en s’amplifiant. Au risque de reléguer au second plan les malades et leurs contacts des régions affectées, au nom de la recherche et de l’innovation dans le domaine, comme le craint Peter Piot. Cela aussi est éthiquement questionnable.
J.N.