Dans le diocèse de Tshumbe, en province du Sankuru, contrée du Héros national Patrice-Emery Lumumba, la fin d’un mandat, même divin et clérical, ressemble souvent à l’apocalypse. Mgr Nicolas Djomo Lola, évêque du lieu, docteur en psychologie, ancien président de la CENCO … en prend pour son grade. Sur les réseaux sociaux et dans certains médias, il n’en est plus, parmi ses ouailles qui semblaient béats d’admiration de son œuvre à la tête de l’entité épiscopale, qui ne lui exigent des comptes.
Mi-juillet courant, l’évêque du diocèse de Tshumbe croit indiqué de faire lire au cours d’une célébration eucharistique solennelle la lettre de démission qu’il vient d’adresser à sa Sainteté le Pape François. Parce qu’il a atteint l’âge canonique requis pour ce faire, explique-t-il onctueusement. L’assistance, toute pieuse, accuse le coup. Tshumbe, après tout, c’est un vaste village à plus d’une centaine de km de Lodja, la capitale économique de la province. S’il en est qui ont quelque reproche ravalé contre le prélat, nul ne lève le plus petit doigt. Nul, non plus ne s’y plaint de cet évêque qui est là depuis 22 ans.
Impossible de filer comme ça
Mais, au-delà du périmètre clérical immédiat, l’annonce est saisie au bond. En commençant par un certain Albert Difumba, qui se fend d’un courrier de 5 pages soigneusement dactylographiées en forme de « Lettre ouverte à Mgr Nicolas Djomo », entièrement consacrées à diagnostiquer les 22 ans d’épiscopat du prélat. Elles n’ont rien de tendre et révèlent des monstruosités dignes des Borgia. « Certains de vos aînés d’âge comme l’ancien archevêque de Kinshasa le cardinal Laurent Monsengwo ont vu leur bail prolongé de plus de 3 ans après son âge de retraite canonique. Il en est de même de l’évêque de Lwebo, Mgr Mulumba, qui a quitté son poste déjà octogénaire. Votre empressement à annoncer avec faste votre retraite canonique au cours d’une célébration épiscopale aux allures d’adieu en a intrigué plus d’un. De deux choses l’une. Soit votre éviction était déjà actée par le Saint Siège qui n’a pas voulu dramatiser votre sortie et a préféré se débarrasser de vous dès l’âge de retraite canonique, soit que vous seriez vous même pressé de partir pour vivre enfin la retraite dorée que vous vous êtes soigneusement préparée en mettant en moule le diocèse que vous avez dirigé pendant 22 longues années. Dans un cas comme dans l’autre il est devenu quasi impossible pour un humain d’administrer à nouveau une juridiction épiscopale fantomatique comme Tshumbe qui n’a de diocèse que le nom», écrit ce chrétien sankurois. Sévère diagnostic, qui tranche par sa maîtrise des arcanes de la théologie, et indiquerait l’appartenance de l’auteur au clergé catholique, n’eût été cette erreur criante sur l’ancien diocèse de Mgr Mulumba, qui est Mweka et non Luebo.
Démission auto-accusatrice ?
Mais cela n’enlève rien à la percussion des arguments assénés à Mgr Djomo. Le lecteur de ce courrier abondamment partagé sur les réseaux sociaux d’internet – c’est dans l’air du temps – apprend ainsi que l’évêque serait, ni plus ni moins le « … prototype parfait de ces calottes sacrées qui auront réussi à déraciner en un temps record plus d’un siècle d’évangélisation. Avec toute la bonne foi qui caractérise ma démarche j’ai cherché en vain des hauts faits qui pouvaient être mis à l’actif de votre règne ». Le pourfendeur accuse l‘évêque de Tshumbe de laisser «un diocèse exsangue où la foi catholique a été vidée de sa substance. À cause de votre inclinaison viscérale au mal, les sectes ont délogé le catholicisme dans votre diocèse. À titre illustratif, l’Église branhamiste est devenue la première religion dans votre diocèse et vous-même ne pouvez plus vous permettre de nier sa suprématie parce qu’elle fait salle comble y compris à quelques encablures de votre évêché de plus en plus déserté ». Ce n’est pas tout. Sur la gestion des finances diocésaines aussi, sieur Difumba Albert croit en savoir un bout. «Contraste déplaisant, malgré le marécage économique dans lequel s’enlise votre diocèse, votre patrimoine privé ne s’en est jamais mieux porté. Vous êtes un véritable Prince de l’Église au propre comme au figuré. Votre train de vie princier n’est un secret pour personne. Une villa aux États-Unis, une résidence en France dans laquelle vivent votre épouse et vos enfants connus, une dizaine de villas à Kinshasa dont la principale dans la commune de Limete acquise pour quelques millions de dollars, voilà la partie visible de l’iceberg patrimonial d’un Évêque dont le diocèse est en faillite. Il m’est en effet impossible d’exhumer vos différents comptes bancaires dont certains sont dissimulés sous des prête-noms des enfants et autres concubines. Bref, vous avez appauvri le diocèse de Tshumbe en emportant dans votre retraite tout ce qui faisait son prestige. À vous voir à l’œuvre, c’est comme si vous n’avez eu pour vrai inspirateur que le Maréchal Mobutu avec sa devise ‘‘après moi c’est le déluge’’ », assure-t-il.
Révérends dans la danse
Il n’existe pas d’œuvre humaine parfaite, fut-elle celle d’un prélat. Et l’on aurait pu ranger ces récriminations extrêmement amères sur l’évêque de Tshumbe si des nouvelles révélations du même ton n’avaient surgi, perturbant la quiétude des fidèles catholiques sankurois. Le 14 juillet courant, c’est monsieur l’abbé Ndjadi Jean de Dieu, un prêtre connu de Tshumbe manifestement « exilé » en Europe, qui en rajoutait une couche. En s’interrogeant sur le ‘‘miracle’’ grâce auquel des prêtres du diocèse en conflit avec les lois du pays ont obtenu les autorisations requises pour se rendre à Kinshasa ou à l’étranger pour se soustraire aux poursuites légales: « Le premier, l’abbé Elonge Franklin, a fait avorter la religieuse Wombe Véronique, ce qui a soulevé la population d’Olemba contre les ecclésiastiques de la place. Ayant refusé son affectation à la paroisse de Ndjeka, il vient de rendre enceinte une des nièces de l’abbé Onawembo Daniel. Le second, l’abbé Ngungawoyi Berthold, vient d’obtenir sur intervention épiscopale une liberté provisoire après une condamnation par le tribunal de grande instance pour avoir fait avorter Mlle Awuyi Cécile, une élève mineure qui en est morte », rapporte ce prêtre. Qui demande à Mgr Djomo s’il n’aurait pas « autorisé leur sortie car ils ne sont pas partis d’eux-mêmes. Puisque par le passé, vous avez organisé la fuite vers l’Europe de certains de nos confrères condamnés par la justice civile pour abus sur mineures, les gens vous soupçonnent d’orchestrer leur évasion hors du pays et du continent africain ». Le bon révérend ne s’arrête pas en si bon chemin. Sur la destination des dons destinés au diocèse et à ses œuvres en faveur des fidèles catholiques, l’abbé Ndjadi trouve également à redire. « Nous sommes au courant d’une ONG ‘‘Marie Catherine Center’’, bénéficiaire de dons en faveur de 800 mères qui y seraient encadrées sous la direction de l’abbé Albert Shuyaka résidant aux Etats-Unis et de la révérende soeur Takotshe Cathérine, supérieure des soeurs franciscaines de Tshumbe, et qui dispenserait des enseignements à 50 filles mères (…) alors que personne ne sait localiser ce centre ni ses élèves. Voudriez-vous éclairer notre lanterne sur ce sujet ? … » dénonce-t-il dans un style propre à ces hommes de Dieu policés jusqu’à la moelle.
Autant de dénonciations sur la personne d’un évêque catholique et sa gestion du patrimoine clérical, cela ne s’était jamais vu auparavant ici. Pour l’avenir de l’église catholique dans le diocèse de Tshumbe en particulier et en RD Congo en général, il vaudrait mieux, en effet, que la lanterne soit éclairée.
J.N