Les nouvelles d’avant la découverte du cas de Goma, relatives à la propagation de la fièvre hémorragique à virus Ebola dans la province du Nord-Kivu et dans une partie de l’Ituri, étaient pourtant relativement bonnes. Ci et là, des signes de maîtrise de la situation se faisaient jour, stabilisant relativement le tableau alarmant jusqu’à il y a quelques semaines des victimes autant que des nouveaux sujets atteints. Il en était ainsi le week-end dernier encore.
Dimanche 14 juillet, le nombre de décès se chiffrait à 1.665, contre 698 guérisons. 12 nouveaux cas de maladie étaient confirmés à Mabalako (6), Beni (4), Katwa (1) et Butembo (1). 4 guérisons étaient enregistrées dans les CTE à Butembo (3) et à Beni (1).
Un jour plus tôt, samedi 13 juillet donc, on comptait toujours 1665 contre 694 guérisons ; 15 nouveaux cas étaient confirmés à Beni (9), Katwa (3), Alimbongo (1), Manguredjipa (1) et Mandina (1). Mais également 7 nouveaux décès à Beni, Manguredjipa et Alimbongo. De Mabalako (8) et Butembo (3) étaient sorties des CTE 11 personnes guéries d’Ebola, confirmant ainsi la tendance à la maîtrise de l’épidémie dans la capitale économique du Grand Nord Kivu ainsi que son retour vers la zone de santé de Beni, la capitale administrative située à 50 km plus loin.
Il faut certes ajouter à ces statistiques des cas signalés dans les zones de santé très éloignées du Grand Nord Kivu où l’épidémie s’était déclarée il y a un an. Malgré toutes les mesures prises pour surveiller, notamment, les voyageurs qui subissent un contrôle strict des équipes de la riposte.
Urgence sanitaire internationale
Même mercredi 17 juillet 2019, lorsque l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclarait l’épidémie nord-kivutienne «urgence sanitaire de portée internationale», le nombre de décès dus à Ebola tournait encore autour de 1700. 374 cas suspects étaient en cours d’investigation ; 10 nouveaux cas étaient apparus à Beni (6) à Mabalako (2) à Katwa (1) et à Mangurejipa (1). 10 décès étaient signalés à Beni, 7 à Mabalako, 1 à Mangurejipa et 1 à Katwa. Du Centre de Traitement d’Ebola (CTE) de Mabalako 7 personnes guéries ont été libérées.
Néanmoins, la riposte à Ebola au Nord-Kivu et en Ituri faisait dramatiquement face à l’indiscipline caractéristique des populations locales réfractaires aux précautions édictées par les autorités sanitaires. Et la propagation de l’épidémie à des zones de santé jusque-là épargnées s’en est trouvée aggravée.
Le 11 juillet dernier, le ministère congolais de la Santé a annoncé qu’une nouvelle zone de santé, Mambassa dans la province de l’Ituri, avait été touchée par l’épidémie : un garçon de 8 ans qui avait séjourné auprès de sa mère décédée d’Ebola à Beni le 19 juin de l’année en cours. 37 personnes avaient ainsi été listées comme contacts, vaccinées et suivies durant 21 jours. Quelques jours plus tôt, le 2 juillet dernier, Ariwara à la frontière ougandaise dans la même province de l’Ituri, était touchée par Ebola à travers une mère de 5 enfants dont 2 étaient décédés de la maladie à Beni les 18 et 22 juin 2019. La porteuse du virus avait quitté clandestinement Beni le 26 pour fuir les équipes de la riposte.
Réfractaires
A ces cas éloignés de l’épicentre de la nouvelle épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola, il faut ajouter depuis dimanche 14 juillet celui de ce pasteur d’une église de réveil confirmé positif à Goma. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe au chef-lieu du Nord-Kivu jusque-là épargné par Ebola. Elle a été traitée comme une aubaine par les partenaires de la RDC, notamment des Ongs internationales et même l’OMS. Selon le ministère rd congolais de la Santé, on doit, en effet, le cas de Goma «à certains groupes de personnes dans la communauté (qui) continuent à adopter un comportement irresponsable qui cause la prolongation géographique du virus». A l’instar de cet «homme de Dieu » de Bukavu qui s’est rendu à Butembo le 4 juillet dernier, et a manifesté des signes de la maladie dès le 9 juillet, 5 jours après son arrivée dans la ville. Dédaignant les centres de santé spécialisés, le pasteur s’est fait soigner à domicile par une infirmière de l’hôpital général de Butembo, avant de prendre un bus pour Goma le 12 juillet et de gagner la ville le 14 juillet courant à 8 h 30.
Oly Ilunga, le ministre de la Santé, ne décolère pas sur le sujet: «il est important de rappeler que pour les cas de Goma et d’Ouganda, les patients savaient qu’ils étaient à risque mais ont refusé de respecter les recommandations sanitaires et ont délibérément voyagé vers une autre zone», assurait-il mercredi 17 juillet courant. Promettant des mesures gouvernementales « pour éviter que ces groupes à haut risque continuent à propager l’épidémie dans la région ». Péril oui, urgence, pas plus qu’avant Pour les autorités sanitaires rd congolaises, il n’y avait donc pas plus péril en la demeure que quelques mois plus tôt. Dès le 15 juillet, après l’annonce du décès en cours de rapatriement vers Butembo du pasteur fuyard, tous ces contacts à Goma étaient identifiés et vaccinés au centre de santé Afia-Himbi « en ce compris le chauffeur de taxi-moto que le pasteur avait utilisé pour se rendre au centre de santé ». Tandis qu’à Beni et à Butembo, les équipes de la riposte s’étaient lancées dans une véritable chasse aux contacts de l’homme de Dieu. Mais rien n’y a fait.
Sur recommandation de ses « experts », l’OMS a déclaré Ebola au Nord-Kivu « urgence sanitaire mondiale » mercredi 17 juillet 2019. Sans vraiment justifier l’élargissement de la mesure suggérée puis annulée en avril dernier, lorsqu’un cas de l’épidémie avait été signalé en Ouganda voisin où il était fait état d’au moins 5 cas probables au moment où Le Maximum mettait sous presse jeudi 18 juillet. Les seules justifications, du reste assez vagues, sont l’œuvre de ces «experts».
Interrogé par l’AFP mercredi dernier, MSF explique « dans un contexte où la recherche des contacts n’est pas totalement efficace et où toutes les personnes affectées ne sont pas atteintes, une approche de plus grande envergure est indispensable pour la prévention de l’épidémie ». Pour des décaissements de fonds plus importants aussi, sans doute, mais cela, l’ONG ne le dit pas. «Nous devons changer de méthode », se contente-t-elle d’avancer, faisant également état de pénurie du vaccin, le RVSVZEBOV, fabriqué par Merck.
Motivations insuffisantes
Les motivations évoquées par l’OMS à l’appui de sa décision de mercredi dernier ne convainquent pas tout le monde en RD Congo. Sans doute conscient de leur faiblesse, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, s’est gardé d’ordonner la fermeture des frontières et des routes dans cette région très commerciale. « Il est essentiel d’éviter les conséquences économiques punitives avec des restrictions sur les voyages et le commerce pour les communautés affectées », a-t-il expliqué. « Le risque de dissémination d’Ebola dans la région est élevé, mais il reste faible en dehors », estime donc Adhanom. Sans réussir à lever les doutes chez les intervenants dans l’éradication de la 10ème épidémie du genre en RD Congo. Probablement parce qu’en fait d’urgence sanitaire de portée internationale, l’OMS n’en avait jamais activé auparavant qu’à 3 reprises depuis 2009. La dernière fois, en 2014, la grande épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest avait été déclarée urgence sanitaire de portée internationale, parce qu’elle avait fait 11.000 morts, entre autres.
Car, une urgence sanitaire de portée internationale, cela veut dire que la situation est «grave, soudaine, inhabituelle ou inattendue », implique des conséquences sanitaires « au-delà des frontières nationales de l’Etat touché », et exige de ces faits « une action internationale immédiate », selon les critères du Règlement sanitaire international. Force est de constater que si le cas rd congolais est certes grave, l’épidémie d’Ebola au Nord Kivu, formellement déclarée le 1er août 2018, n’a rien de soudain. La fièvre hémorragique à virus Ebola n’est nullement inhabituelle dans la région, parce que la RD Congo en est à sa 10ème épreuve, et l’Ouganda voisin a déjà été touché par l’épidémie dans un passé plus ou moins récent.
Arnaque urgentiste
La décision prise par l’OMS mercredi 17 juillet 2019 peste l’arnaque urgentiste, et le plénipotentiaire rd congolais de la Santé, Dr Oly Ilunga, ne s’en est pas trop caché tout en se soumettant aux conclusions des experts internationaux. « J’espère que cette décision n’est pas le résultat des nombreuses pressions des différents groupes de parties prenantes qui voulaient utiliser cette déclaration comme une opportunité pour lever des fonds pour les acteurs humanitaires malgré les conséquences potentiellement néfastes et imprévues pour les communautés affectées qui dépendent grandement du commerce transfrontalier pour leur survie », a-t-il fait observer. Tirant la sonnette d’alarme sur cet aspect du problème d’Ebola au Nord-Kivu, le ministre de la Santé déclare que « alors que le gouvernement continue de partager ouvertement avec les partenaires et les bailleurs de fonds sur la manière dont il utilise les fonds reçus, nous espérons qu’il y aura une plus grande transparence et redevabilité des acteurs humanitaires par rapport à leur utilisation des fonds pour répondre à cette épidémie d’Ebola ».
Le pessimisme sur la déclaration de l’OMS semble également partagé dans la région. Selon un activiste de Vinyavwanga dans la zone de santé de Katwa, il n’existe que 3 solutions pour vaincre Ebola : « observer les mesures d’hygiène (dont la mesure recommandant de se laver régulièrement les mains) ; prendre volontiers son vaccin lorsqu’on est considéré comme contact direct ou indirect, ou lorsqu’on en a l’occasion) ; se rendre dans la structure de santé la plus proche quand on présente des signes suspects (maux de tête, diarrhée, vomissements, fortes fièvres)». «Qu’on tienne des multiples colloques, qu’on mobilise plus de 180 Etats du monde, qu’on remplace les équipes de la riposte, qu’on triple le budget de la riposte, qu’on engage 1000 avions ou 10.000 véhicules ; les stratégies pour enrayer l’épidémie se résume en ces trois actions principales. A Vinyazwanga (zone de santé de Katwa/Mutsanga) la population s’est décidée de manière autonome d’observer ces mesures, et aujourd’hui, on n’y enregistre plus de nouveaux cas », tranche-t-il. Mais cela n’arrêtera plus la levée de fonds tant rêvée sur la tête des rd congolais.
Le 13 avril 2018, l’ONU avait déjà programmé, en Suisse, une réunion des bailleurs de fonds pour résoudre ce qu’elle présentait comme « une très grave crise » en RD Congo. Le gouvernement s’y était opposé, arguant qu’il n’avait pas préalablement été associé à l’opération et contestait les statistiques des humanitaires pour justifier la gigantesque levée de fonds. Les difficultés de la riposte à Ebola au Nord-Kivu ouvrent la voie à la ruée vers l’Est des humanitaires.
J.N.
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