Exit Freddy Matungulu. Le président de Congo na Biso (CnB), un habitué des institutions de Bretton Woods où il a passé une partie importante de sa carrière d’expert ès finances, a été placé à la Banque Africaine de Développement (BAD) par le président Félix Tshisekedi. L’information, larguée par des sources officielles depuis plusieurs jours ressemblait à un canular jusqu’à sa confirmation le week-end dernier. Elle a provoqué une onde de choc dans le microcosme politique rd congolais: parce qu’ainsi, le candidat président «grugé» (ce sont les termes de Félix Tshisekedi lui-même) en novembre dernier à Genève au profit de Martin Fayulu prenait une retentissante revanche. Freddy Matungulu (ainsi que Martin Fayulu et Adolphe Muzito) est, en effet, compté parmi les principaux artisans de la désignation pour d’évidentes rasons de proximité «tribale» d’un candidat qualifié de souris naine pour le compte de l’opposition à la dernière présidentielle. En le «débauchant », Fatshi frappe un coup dans la termitière Lamuka et affaiblit autant qu’il oppose les principaux leaders de la composante Est de la plateforme créée à Genève.
Certes, ci et là, des voix se sont élevées au sein de la plateforme genevoise, qui prétendent que le départ d’un des leaders ne compromet pas la survie du groupe. Mais dans l’opinion et parmi les observateurs, peu croient à cette « rhétorique existentielle ».
Muzito, piqué au vif
Connu pour son franc-parler, du reste maladroit à certains égards, Adolphe Muzito, lui, ne s’en cache pas beaucoup. L’ancien premier ministre pour le compte du Palu, aujourd’hui un des leaders Lamuka, reproche au président de la République de recruter dans les rangs de son opposition. «Avant même de nommer ses compagnons de lutte au sein de la plateforme CACH, il commence à recruter à Lamuka, qui incarne la légitimité nationale et internationale que Tshisekedi recherche », se plaint-il à Jeune Afrique.
Mais l’argumentaire de l’ex-Palu ne tient pas la route. De légitimité nationale et internationale, le débauché n’en a guère jamais eue. Freddy Matungulu, c’est, certes, un ancien fonctionnaire des institutions financières internationales et un ancien ministre des finances sous … Joseph Kabila. Mais ces fonctions ne lui ont conféré aucune légitimité particulière nulle part dans le pays, puisque l’expert et son parti politique n’ont jamais obtenu le moindre mandat électif qui permette d’en attester. Pas plus d’ailleurs qu’au niveau international, parce que la RDC sous Fatshi paraît en passe de réussir la reprise des relations avec le FMI et la Banque Mondiale, malgré Matungulu et ses amis de Lamuka. «Ce sont les leaders de Lamuka qui sont en perte de vitesse, leur légitimité factice s’effrite au fil des jours, il n’en restera plus rien d’ici un an », prophétise un cadre CACH interrogé par Le Maximum le week-end dernier.
Bruxelles les bras ouverts
Difficile de ne pas le croire, alors que s’annonce une visite du nouveau chef de l’Etat rd congolais en Belgique (septembre) et en France (novembre). Le 11 juillet dernier, Didier Reynders, le ministre belge des Affaires étrangères a personnellement annoncé des entretiens avec le nouvel homme fort de Kinshasa à Bruxelles dès la prochaine rentrée dans le cadre d’une visite officielle. Un véritable retournement de la situation et des rapports entre Kinshasa et Bruxelles, qui remonte en réalité à plusieurs mois. Même si le 10 janvier dernier encore, le plénipotentiaire belge affichait une réserve de nature à entretenir le rêve de certains leaders Lamuka, dont Muzito. « Les élections ont été retardées de deux ans, beaucoup de candidats n’ont pas pu se présenter, des électeurs n’ont pas pu voter, le processus de dépouillement s’est fait dans une fermeture de l’espace public et de la communication, nous n’avons pas d’observateurs internationaux donc je ne peux pas me prononcer au nom de la Belgique ou de l’Union Européenne. Nous avons un certain nombre de doutes que nous devons vérifier et qui feront l’objet de débats ces prochains jours au Conseil de sécurité », déclarait Didier Reynders peu après l’annonce de la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors entre les deux capitales. Cela fait longtemps qu’on en est plus à ces conjectures pessimistes. En avril dernier, c’est le même Reynders qui affirmait sans ambages que son pays voulait « tourner la page » de l’élection et soutenait désormais le nouveau président de la République. Au grand dam d’Adolphe Muzito qui avait fait de l’axe Bruxelles – Lamuka la colonne vertébrale de la déstabilisation de Kinshasa.
Retournement de situation
En septembre 2018, trois mois avant les élections présidentielle, législatives nationales et régionales en RD Congo, Muzito avait révélé un vaste complot visant à compromettre la tenue des scrutins auxquels Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba et lui-même ne pouvaient plus prendre part. Il s’agissait de frapper durement Kinshasa à travers l’expulsion sauvage de centaines de milliers de ses ressortissants résidant en Angola, et ainsi susciter des remous sociaux suffisamment déstabilisateurs pour compromettre la tenue des scrutins. En même temps que s’accentueraient les pressions de certains Etats voisins prétextant des soucis sécuritaires à leurs frontières.
L’opération semble avoir été mise sur pied début septembre 2018 lors des rencontres secrètes entre Reynders et les trois invalidés à la présidentielle 2018, Katumbi, Muzito et Bemba. Les 10 et 11 septembre dernier, le ministre belge se lançait dans une nouvelle opération pour torpiller le processus électoral en cours en RD Congo avec le soutien du voisin angolais, en suggérant l’instauration d’une nouvelle période de transition avant l’organisation de tout scrutin électoral.
Acculé par la presse après ses rencontres avec les autorités belges, Adolphe Muzito en avait laissé transparaître un pan de ce complot en déclarant que « ce qui compte, c’est que nous puissions adopter un programme commun, que votre ministre des affaires étrangères évoquera ensuite lors de son prochain voyage en Angola et à Brazzaville ». De fait, ce programme commun n’avait rien d’un projet de gouvernance commune. C’était bien un plan de boycott des élections, à la faveur d’un chaos généralisé. Les manifestations publiques contre la machine à voter et les expulsions massives et sauvages des Congolais d’Angola faisaient partie de ce plan machiavélique, notent des analystes.
Même Luanda n’en veut plus
Maintenant, il n’en est plus question. Même Luanda n’est plus disposé à voler au secours de Muzito et ses amis. Félix Tshisekedi s’y est rendu plus d’une fois, et pèse sur les rapports entre les deux capitales. Les pressions angolaises sur la RDC, sous la forme d’expulsions sauvages des rd congolais s’atténuent. Aux termes du communiqué officiel publié après la quadripartite qui a réuni les présidents Museveni, Kagame, Tshisekedi et leur homologue angolais, il a ainsi été décidé de «donner la priorité à la résolution de toute sorte de différend entre les pays respectifs par des moyens pacifiques à travers des voies conventionnelles et dans l’esprit de fraternité et de solidarité africaines ». L’axe Luanda-Bruxelles reconquis par Fatshi, c’est le sol qui se dérobe sous les pieds d’Adolphe Muzito. Son accession au top job en dépendait.
J.N.