La construction annoncée récemment d’un pont gigantesque qui reliera Brazzaville, la capitale du Congo, à Kinshasa en RD Congo, financée par la Banque Africaine de Développement ne fait pas que des heureux à Kinshasa. De la province du Kongo-Central à quelques centaines de km de Kinshasa, qui abrite les ports de Matadi et de Boma dont dépendent la vie de nombreuses populations, de plus en plus de voix s’élèvent pour contester le projet. Après des notables Ne Kongo, des jeunes donnent de la voix et battent le pavé de rage, à l’instar de ceux qui, jeudi 20 juin 2019, ont marché jusqu’au cabinet présidentiel pour y déposer un mémo. Le document exigeait la construction préalable du port en eaux profondes de Banana avant l’érection de ce pont qui fait la part belle à l’autre port en eaux profondes de la région, situé à Pointe-Noire au Congo d’en face (de la RD Congo).
L’argument avancé à l’appui des revendications Centrales Kongolaises ne manquent pas de pertinence : une liaison routière-ferroviaire directe Pointe-Noire Kinshasa condamnera à la mort certaine les vieux ports de Matadi et de Boma, et compromettra ce faisant l’économie de la province qui dépend presqu’exclusivement des activités portuaires.
Le problème ne date pas d’aujourd’hui, pourtant. Des sources rapportent qu’il s’était déjà posé sous le défunt Maréchal Mobutu, mais le dictateur vieillissant s’était catégoriquement opposé au projet. « Pour ne pas perdre l’électorat de l’alors province du Bas-Zaïre », assure-t-on.
Une dizaine d’années après l’homme de Kawele, le projet funeste pour une partie de la RD Congo revient sur la table, de plus belle. L’érection de l’ouvrage est assortie de la construction d’une route transafricaine qui reliera Pointe-Noire – Brazzaville – Kinshasa à Ilebo, un important port d’où part le chemin de fer vers Kananga au Kasai Central et Lubumbashi dans le Haut-Katanga. Le projet qui démarrera en 2020 est rien moins que gigantesque et dépasse les limites de la RD Congo, ainsi qu’on peut s’en rendre compte. Ainsi que ses possibilités d’y résister durablement. Parce que quelque part, il a été décidé qu’il en serait ainsi. Et c’est ce qui dans ce type de projets non demandé par les bénéficiaires, gêne certains esprits.
Il faut assurer l’intégration économique du continent, de gré ou de force, un peu comme il avait fallu dessiner les nouvelles terres vierges découvertes à l’issue voyages d’explorateurs occidentaux, en 1884. Le pont Brazza – Kin, c’est comme une OPA (Opération d’Achat Publique) sur la RD Congo, qui s’il entraînera une kyrielle d’avantages économiques, n’en redessine pas moins la carte du pays de Kimpa Vita, Simon Kimbangu, Patrice-Emery Lumumba, Joseph Kasavubu, Mobutu Sese Seko, Mzee Laurent-Désiré Kabila. C’est une forme de balkanisation qui ne dit pas son nom, estiment certains en RD Congo.
En séjour à Kinshasa depuis le 17 juin 2019, le président de la Banque Africaine de Développement, Akwinumi Adesina, a abondamment loué les relations entre l’institution bancaire et la RD Congo. Un mariage qui remonte à 1973, et pèse 61 milliards USD : c’est le montant déjà investi par cette banque à laquelle participent les institutions financières internationale pourtant réputées pour leur échec à assurer le développement des pays de la planète, restés sous-développés.
L’ancien ministre nigérian de l’agriculture a dit et redit toute sa volonté de rompre le cycle de la pauvreté sur le continent, y compris et surtout en RD Congo. Mais il reste que son projet intégrateur n’est pas une priorité pour les rd congolais qui, eux, auraient préféré voir financé leur pont en eaux profondes à Banana.
J.N.