Trois jours de grandioses obsèques. C’est ce à quoi a eu droit, du 30 mai au 1er juin 2019, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, l’intraitable opposant rd congolais au Maréchal Mobutu et aux Kabila Père et fils. Le lider maximo, ainsi qu’on le désignait dans son pays, avait succombé à une embolie pulmonaire le 1er février 2017 à Bruxelles, une trentaine de jours après avoir livré son dernier baroud dans le cadre des négociations dites du Centre interdiocésain de Kinshasa en vue de la préparation des 3èmes élections de l’après-Mobutu.
Unanimement désigné à la tête du Comité National de Suivi et de l’Application de l’accord conclu le 31 décembre 2016 par les acteurs politiques parties prenantes aux discussions confiées à la modération des évêques catholiques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), Etienne Tshisekedi s’en est allé les armes à la main, quasiment. Mais, comme l’accord arraché au forceps aux protagonistes des négociations du Centre interdiocésain, le corps de l’illustre disparu aura attendu de longs mois avant d’être inhumé dans un caveau familial à N’Sele, en périphérie de Kinshasa.
Le processus électoral enclenché 5 mois après le décès d’Etienne Tshisekedi à Bruxelles a abouti à l’organisation, fin décembre 2018, d’élections présidentielle, législatives nationales et provinciales qui ont porté son fils Félix à la magistrature suprême. Sans toutefois lui accorder la majorité parlementaire tant au niveau national que provincial, demeurée entre les mains de Joseph Kabila, le président sortant.
Demi-victoire
Demi-victoire donc, ou demi-défaite, c’est selon, pour l’héritier du combat politique du vieil et irréductible opposant rd congolais, l’alternance totale derrière laquelle le père a couru depuis une quarantaine d’années dans l’opposition politique n’aura pas été possible. Tout au moins pas dans l’immédiat. Félix Tshisekedi doit « faire avec » l’ancienne majorité au pouvoir pour diriger le pays. Un accord de coalition gouvernementale lie sa plateforme CACH au FCC de Joseph Kabila, largement majoritaire dans les assemblées parlementaires de la RD Congo. « Ainsi en a décidé le souverain primaire : “ni rupture, ni continuité absolue. Mais un bon dosage de l’ancien et du nouveau », explique au Maximum un politologue de l’université de Kinshasa, qui se satisfait de cette « sorte de solution de conciliation des extrêmes au nom de la realpolitik», selon ses propres mots. «Elle permet de faire l’économie de confrontations et luttes politiques qui distraient des priorités de développement dont le peuple a prioritairement besoin », de son point de vue.
4 mois et 6 jours après son investiture le 24 janvier dernier, Félix Tshisekedi a donc organisé le retour en grandes pompes de la dépouille mortelle de son mentor politique et géniteur biologique à Kinshasa. En présence de tout ce que la région de l’Afrique Centrale compte de chefs d’Etat influents, et même au-delà. Mais aussi de l’essentiel du gotha politique et sociétal national. Oubliées, les polémiques stériles sur le lieu d’inhumation de l’ancien 1er ministre Etienne Tshisekedi qui avaient opposé le pouvoir en place à l’époque à la famille biologique et politique du défunt. A N’Sele, à une quarantaine de km du centre-ville de la capitale, le président de la République a fait ériger un somptueux mausolée dans lequel reposera pour l’éternité Etienne Tshisekedi.
Reléguées à plus tard à la convenance du parlement conformément au droit positif congolais, les discussions, toutes aussi peu productives sur le titre posthume du défunt président de l’UDPS/T. Etienne Tshisekedi a été, en attendant, admis à la dignité de Grand Cordon dans l’Ordre National Héros Nationaux Kabila – Lumumba. C’est la plus grande distinction qui puisse être décernée en dehors de l’Assemblée nationale, seule habilitée à proclamer les héros nationaux en RD Congo.
7 chefs d’Etat pour Tshitshi
Pour les obsèques de celui que l’on surnommait affectueusement Ya Tshitshi, au moins 7 chefs d’Etat de la région et du continent ont effectué le déplacement de Kinshasa. A commencer par les voisins rwandais et angolais : Paul Kagame et Joao Lourenço se sont rendus dans la capitale de la RD Congo samedi 31 mai 2019 où ils ont non seulement honoré la mémoire de l’illustre disparu en s’inclinant devant son corps au stade des Martyrs, mais également conféré avec leur nouvel homologue sur les questions sécuritaires, particulièrement préoccupantes en RD Congo depuis plusieurs années.
Le Brazza-Congolais Denis Sassou Ngouesso a fait plus qu’honorer le combattant de la démocratie que fut Etienne Tshisekedi en séjournant à Kinshasa du 31 mai au 1er juin 2019, date de l’inhumation du défunt. Le Zambien Edgar Lungu et le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra ont également été aperçus au stade des Martyrs, où Yoweri Museveni et Alpha Condé étaient respectivement représentés par le vice-président de l’Ouganda et le président de l’Assemblée nationale guinéenne.
Au registre des personnalités nationales, quelques absences notables ont été enregistrées parmi les acteurs politiques de l’opposition, notamment, celle des leaders de la plateforme Lamuka, Martin Fayulu, Adolphe Muzito, Jean-Pierre Bemba. Mais cela n’a rien enlevé à la solennité de la cérémonie à laquelle ont activement pris part les prélats de l’église catholique, cette véritable seconde opposition politique en RD Congo, ainsi que le directoire du Front Commun pour le Congo représenté par Néhémie Mwilanya et Aubin Minaku, entre autres. Auxquels il faut ajouter les gouverneurs des 25 provinces du pays qui ont tous effectué le déplacement de Kinshasa à l’occasion des obsèques d’Etienne Tshisekedi.
Le mythe Fatshi est né
Inhumé samedi 1er juin dans l’intimité familiale à N’Sele, Etienne Tshisekedi wa Mulumba a donc définitivement passé le flambeau à son fils, Félix Tshisekedi, dont le cérémonial de 72 heures a définitivement consacré la carrure de président de la République. Le mythe du pouvoir Fatshi est ainsi né, qui enterre, tout au moins partiellement, le changement radical paternel, sérieusement malmené par les réalités. «Monsieur le président de la République, il vous revient désormais de parachever l’idéal sociopolitique de votre illustre père pour conduire le peuple congolais dans toute sa diversité vers la terre promise», a chaudement exhorté Mgr Fridolin Ambongo au cours de l’office religieux présidé avant la levée du corps, samedi 1er juin 2019. Les propos du successeur du Cardinal Monsengwo (également présent à la cérémonie) à la tête de l’archevêché de Kinshasa, rejoignaient ceux du FCC Aubin Minaku : « Ton fils Tshisekedi poursuivra ton œuvre comme président de la République. Quelle grâce pour toi », avait-il consigné dans le registre des condoléances ouvert à l’hôtel de ville de Kinshasa.
Tshitshi solennellement inhumé, l’ère Fatshi commence véritablement.
J.N