C’est Didier Reynders, le vice-premier ministre et ministre belge des Affaires étrangères en personne qui s’est chargé de livrer l’information, le weekend dernier. Une délégation constituée notamment du général-major Philippe Boucké, et de l’ambassadeur Renier Nijkens (envoyé spécial pour la région des Grands Lacs), sera à Kinshasa du 12 au 15 mai 2019. Les deux émissaires sont chargés de « nouer des contacts avec les nouvelles autorités et l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile, redynamiser les relations bilatérales et examiner ensemble comment la Belgique pourrait contribuer au mieux à accompagner la RDC vers les changements souhaités par la population congolaise », selon ce plénipotentiaire que le prédécesseur de Félix Tshisekedi avait totalement exclu de ses rapports avec les autorités belges, l’accusant d’inclinaison néocolonialiste avérée. Le séjour kinois de la délégation belge fait suite à la décision de Bruxelles de « tourner la page des élections rd congolaises». Elle a été communiquée au président Tshisekedi en avril dernier en marge de son séjour aux Etats-Unis. « Nous devons tourner la page des élections au Congo et regarder comment nous pouvons soutenir le changement (…). Ce que nous essayons de faire maintenant, c’est examiner comment nous pouvons contribuer à de réels changements et à des évolutions positives pour la population congolaise », avait déclaré Reynders, en l’espèce, arguant du fait que Félix Tshisekedi était demandeur de la coopération militaire pour accoler à cette «mission du changement » un officier général de l’armée de son pays.
Concert de visites occidentales
Presqu’au même moment s’annonçait également Jean-Yves Le Drian, le ministre Français des Affaires étrangères, qui avait naguère remis en cause les résultats de l’élection présidentielle ayant porté Fatshi au pouvoir. Le Drian, revenu de ses ‘‘doutes’’, débarquera à Kinshasa après un séjour au Tchad, chez Idriss Dheby le 20 mai 2019. Il ne se fait pas accompagner de militaires, mais c’est tout comme. Puisque ses entretiens avec les Tchadiens porteront sur les questions sécuritaires, notamment en Centrafrique, un pays voisin de la RDC en proie à l’insécurité depuis plusieurs années. La visite de la délégation française à Kinshasa, avait été décidée en marge du séjour de Félix Tshisekedi à Naïrobi (Kenya) en mars. Elle viserait à relancer la coopération bilatérale, notamment dans les domaines de la sécurité, de la santé et de l’éducation.
La Belgique et la France avaient en commun la contestation des résultats électoraux qui ont consacré la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle du 30 décembre 2018. A la suite de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) qui, prétendant avoir largué près 40.000 observateurs électoraux sur le terrain (en réalité seuls 17.000 observateurs avaient été accrédités par la CENI), donnait le pro-occidental Martin Fayulu vainqueur de la présidentielle, Didier Reynders avait «exigé» la publication des procès-verbaux et le recomptage des voix pour départager Tshisekedi et Fayulu. « La publication des PV est la première demande de la Belgique, un recomptage sera peut-être nécessaire par la suite », avait soutenu en substance le ministre belge des Affaires étrangères. Méprisant ainsi aussi bien les résultats de la CENI que l’indépendance de la Cour constitutionnelle de la RDC appelée à trancher le contentieux soulevé par Martin Fayulu.
Contestation méprisante des résultats électoraux
La réaction de la France à la proclamation de la victoire de Tshisekedi fut plus méprisante que celle de la Belgique. Jean-Yves Le Drian, son ministre des Affaires étrangères, dénonçant carrément ce qu’il n’avait pas hésité à qualifier avec dédain d’« un arrangement à l’africaine ». 4 mois après, l’un et l’autre rappliquent en RDC en clamant leur volonté de reprendre la coopération bilatérale, d’accompagner le changement (pourtant contesté il y a peu) voulu par le peuple congolais, ainsi que le prétendent les Belges. Sans que personne ne leur en ait pourtant fait la demande.
A l’occasion de la traditionnelle cérémonie de présentation des vœux au corps diplomatique accrédité à Kinshasa, le 15 février 2019, le nouveau président congolais avait annoncé les grandes lignes de sa politique étrangère. Félix Tshisekedi avait ainsi mis l’accent sur la nécessité des relations gagnant-gagnant, comme on aime à le dire de nos jours, entre son pays et le reste du monde. « Mon pays tient à sauvegarder son indépendance politique, acquise aux prix de multiples sacrifices, ainsi que son corollaire, la souveraineté du peuple congolais sur les richesses naturelles nationales ». Tout en affirmant la vocation de la RDC «à être toujours ouverte sans exclusive à une coopération naturellement avantageuse pour son plus grand bien à toute coopération qui devrait ainsi se fonder sur le respect et la considération mutuels, dans la logique d’un partenariat gagnant-gagnant». Aucune allusion au fameux accompagnement de la volonté de ses électeurs proposé par Reynders et Le Drian. Et même si volonté de changement il y avait eu le 30 décembre dernier, l’indépendance politique de la RD Congo, réitérée devant le corps diplomatique en février dernier, exclut toute ingérence extérieure dans sa mise en œuvre. « Personne n’a chargé la Belgique de s’immiscer dans la mise en œuvre de la volonté de changement exprimée par les Congolais. C’est cette ingérence dans les affaires intérieures du pays qui les avait déjà opposé à nos prédécesseurs», souffle au Maximum une source au Palais de la Nation. « Nous ne sommes pas dupes. Belges et Français ont soutenu la dictature de Mobutu sans se soucier du bien-être du plus grand nombre de nos compatriotes. Ils ne nous auront pas », ponctue-t-il.
Apôtres de la citoyenneté limitée
Dans l’ancienne colonie belge, l’opinion publique a, en effet, sensiblement évolué depuis quelques années. De plus en plus de Congolais ne sont plus prêts à gober n’importe quel ‘‘cadeau’’ de nostalgiques d’un passé révolu. « Les Belges semblent toujours porteurs d’un projet d’une citoyenneté limitée des Congolais telle qu’ils tentèrent de l’imposer avant la décolonisation en 1960 lorsqu’ils établissaient une distinction entre les Congolais dits « évolués », qui avaient droit à une citoyenneté supérieure proche de la leur et les autres considérés comme indigènes. Aujourd’hui encore, c’est la même discrimination qu’ils tentent de mettre en œuvre en opposant entre eux les ‘‘bons’’ et les ‘‘mauvais’’ Congolais », explique un cadre de l’UDPS/T, le parti du nouveau président, à des combattants toute ouïe à Limete. Le message passe. De plus en plus : Belges et Français viennent en parrains au nom des intérêts économiques et stratégiques de leurs Etats prédateurs.
J.N.