L’insécurité récurrente à l’Est de la RD Congo, notamment celle entretenue par les rebelles Ougandais de l’ADF, s’est enrichie d’une nouvelle-ancienne donne depuis une semaine. L’Etat Islamique, via Amaq, a revendiqué l’attaque de mardi 16 avril 2019 contre un campement FARDC à Boyata en chefferie de Watalinga (Beni Territoire), non loin de la frontière ougandaise. Deux éléments FARDC ont été tués au cours de cet assaut et un civil grièvement blessé, selon des sources dans la société civile locale qui ont fait état d’importants déplacements de populations civiles vers les localités voisines, dont Kamango.
Mais à Beni, ces attaques contre les positions FARDC, qui visent de plus en plus des paisibles civils sont monnaie courante depuis plusieurs années. Et n’étonnent plus. Rien que dans cette région plutôt éloignée de la capitale administrative de la partie nord de la province du Nord Kivu, 7 civils avaient été tués par des ADF à Kyanimbe, un village de la même chefferie de Watalinga à quelques 100 km de Beni-Ville.
Attaque revendiquée à Boyata
Le fait nouveau, c’est cette revendication de l’exploit terroriste par l’Etat Islamique, ainsi que ses répercussions dans l’opinion internationale surtout. La quasi-totalité des médias globaux ont relayé et commenté l’assaut, pourtant d’envergure mineure, des ADF-EI à Boyata. Et certains dans l’opinion en RD Congo s’interrogent sur ce soudain intérêt sécuritaire de la presse internationale à propos d’offensives terroristes pourtant dénoncées depuis près de 5 ans.
Rita Katz, directrice d’un site internet spécialisé sur les djihadistes, voit dans l’attaque de mardi dernier « une évolution majeure compte tenu de la croissance de l’Etat Islamique dans certaines parties du continent ». Recoupant la revendication de l’attaque par une vidéo diffusée sur des médias liés à l’EI, cette directrice de « Intelligence Group » estime que l’appel officiel de l’EI pour attaquer la RD Congo annonce la création de la province de l’Afrique Centrale. « En établissant une ‘‘province’’, l’Etat Islamique vise à projeter une infrastructure solide dans la région (…) visera probablement à montrer un regain d’activité à cet endroit au cours des prochains mois », avance-t-elle.
Pourtant, c’est depuis 2014 qu’une opération militaire FARDC dénommée « Sukola » révélait les liens entre rebelles Ougandais ADF et djihadistes. Les troupes conduites par feu le général Bauma ayant notamment démantelé de «Madina», un important centre d’endoctrinement et de formation des ADF-EI.
Par la suite, les autorités de la RD Congo n’ont eu de cesse d’alerter l’opinion de la présence djihadiste à l’Est du territoire national et d’appeler à une solution internationale pour mettre fin aux tueries récurrentes dans cette partie du pays.
Une menace attestée depuis 2014
Au cours d’un point de presse, jeudi 25 octobre 2018, le nouveau commandant de l’opération Sukola 2 dans la région de Beni déclarait que les ADF visaient la création d’un Etat Islamique. Le général Marcel Mbangu Mashita s’exprimait devant une audience publique et la presse à l’occasion de la présentation d’un groupe de rebelles ADF capturés au front quelques jours plus tôt. « Les rebelles ADF veulent créer un Etat Islamique, c’est leur objectif », avait dit en substance l’officier général congolais, après beaucoup d’autres responsables politiques. Mais rien n’y a fait.
Dans la bienpensante communauté internationale, comme dans une certaine opinion interne, la menace terroriste incarnée par l’ADF elle-même était souvent contestée. Certains allant jusqu’à accuser Kinshasa d’entretenir ses propres tueurs, en quelque sorte. Ce point de vue subversif était largement diffusé dans l’opinion et parmi les populations civiles de la région, que l’on persuadait ainsi que les tueries et les exactions dont elles étaient victimes étaient l’œuvre du ‘‘pouvoir de Kinshasa’’.
Un acteur politique local, Antipas Mbusa Nyamwisi, a été pour beaucoup dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une vaste opération d’intox. Il a récemment accusé le président de la République sortant, Joseph Kabila, d’être «de mèche avec les rebelles ADF». Puisqu’il aurait, selon Mbusa, «hébergé Jamil Mukulu (leur chef aujourd’hui en détention à Kampala) dans une de ses résidences dans la capitale il y a quelques années» sans en apporter la moindre preuve.
Jusqu’à la revendication djihadiste de la semaine dernière, la tendance générale au sein de la communauté internationale sur cette menace en RD Congo consistait à tout démentir. Et à ne pas soutenir le pouvoir en place à Kinshasa.
Pessimisme de posture
Dans une note à l’intitulé évocateur (« L’Islam radical en République Démocratique du Congo : entre mythe et manipulation ») destinée au ministère français de la Défense, Thierry Vircoulon de l’IFRI assurait encore que « le seul groupe armé islamiste visible, les ADF, n’a plus de liens avec le groupement soudanais et n’a pas de lien démontré avec les shebab. Les ADF ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants et d’expansion d’un califat mais dans une logique de sanctuarisation et ce groupe présente une version très tropicalisée de l’islamisme radical ».
Pourtant, la découverte et le démantèlement du centre de formation de Madina dans la région de Beni avaient bien révélé que les ADF assuraient une solide formation mystico-religieuse à leurs adeptes. Mais l’air du temps ne se prêtait guère à cette vérité. « L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances occidentales », concluait doctement Vircoulon.
Même son de cloche chez Myrto Hatzigeorgopoulos qui soutenait dans un article intitulé « La menace islamiste dans la région des Grands Lacs : un enjeu sécuritaire utile ? » paru dans la revue spécialisée « Sécurité et Stratégies » (n° 133, janvier 2018) que « néanmoins, ce n’est pas pour autant que ce terrorisme islamique menacerait la population et les autorités mêmes du pays, bien que ce soit une telle menace qui soit brandie par le discours des autorités locales. Il ne serait donc pas aujourd’hui en mesure de constituer une menace sécuritaire pour l’État congolais même. Cette partie a tenté d’exposer la complexité profonde de la violence qui sévit à l’Est du pays, et qui a été, trop facilement, attribuée au terrorisme islamiste. Elle a par la même occasion mis en évidence les risques que représente une focalisation extrême sur la qualification des violences comme émanant d’une menace islamiste régionalisée, tandis qu’il apparaît de plus en plus clairement, que la violence implique plusieurs acteurs aussi bien locaux, que nationaux et régionaux ».
Soudain, le djihad en RDC crédible
La crédibilité soudaine de la menace islamiste étonne donc nombre d’observateurs. Qui ne peuvent pas ne pas ne pas constater qu’elle coïncide quasi-parfaitement avec la fin du mandat présidentiel de Joseph Kabila, dont les puissances occidentales ne voulaient plus. «Tout se passe comme si le djihadisme n’est condamnable et digne d’être combattu que s’il menace certains intérêts occidentaux», explique au Maximum ce professeur des relations internationales à l’université de Kinshasa. « Joseph Kabila avait beau alerter sur la menace djihadiste; du moment qu’elle contribuait à déstabili- ser son pouvoir aussi, il n’était pas question de lui faciliter la tâche », poursuit-il.
Le regain de foi sur la nouvelle-vieille menace islamiste intervient, en effet, après que le nouveau président de la RD Congo, Félix Tshisekedi, a sollicité l’aide américaine pour venir à bout d’un phénomène qui dure depuis des décennies en RDC. Une aubaine pour l’administration Trump, qui guettait manifestement une occasion pour marquer sa présence militaire dans cet immense pays de l’Afrique Centrale où les Chinois, notamment, ont déjà la haute main sur d’immenses ressources minières dont dépend l’avenir du monde.
Djihadisme utile
L’EI en RD Congo paraît donc d’une certaine utilité stratégique pour les Américains qui en ont besoin, «un peu comme ces pasteurs et hommes de Dieu de notre pays qui ont besoin des sorciers pour s’assurer que leurs adeptes recourent à leurs puissances occultes pour les combattre », explique encore l’interlocuteur du Maximum.
Ce point de vue, qui appelle à plus de circonspection et d’esprit critique sur la soudaine attention de la communauté internationale sur un fléau qui dure depuis des décennies est largement partagé. Ainsi, pour Jason Stearns, que l’on sait pourtant peu enclin à faire des cadeaux à la RDC où les autorités l’avaient déclaré naguère personna non grata, «l’ADF a effectivement des liens avec l’El. Dans les vidéos internes que nous avons ob- tenues, les membres de l’ADF présentent leurs revendications de la même manière que l’EI, ont un drapeau similaire et parlent de la création d’un État islamique en Afrique centrale. Plus concrètement, nous savons qu’il y a eu des contacts entre l’ADF et l’EI. En juillet dernier, un ressortissant kényan, Waleed Zein, a été arrêté à Nairobi pour son rôle d’intermédiaire financier entre l’EI en Syrie et divers groupes en Afrique, y compris les ADF. Nous avons pu corroborer cela avec les transfuges de l’ADF, et le gouvernement américain l’a condamné à des sanctions. Nous pensons qu’il y a eu d’autres contacts aussi entre les deux groupes. Cependant, affirmer qu’il existe des liens entre les deux groupes est très différent de dire qu’il existe une réelle collaboration opérationnelle», avancet-il prudemment. L’empressement à reconnaître un phénomène nié constamment durant 25 ans dissimule des desseins inavoués, estiment certains observateurs.
J.N