Dans la jeune province du Sankuru issue du démembrement du Kasai Oriental, l’élection des gouverneur et vice-gouverneur de province a été reportée pour la troisième fois dimanche 14 avril 2019. C’est le président de la République, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi qui aurait pris la décision, pour des raisons sécuritaires selon des informations fournies à la presse par le ministre intérimaire de l’Intérieur et Sécurité Basile Olongo Pongo. Il a été enjoint à la CENI de reporter ce vote sine die. Comme pour arrondir les angles, la centrale électorale a évoqué ‘‘des raisons techniques et logistiques’’, pour reporter le scrutin au samedi 13 avril. Mais 72 heures plus tard, le Conseil d’Etat s’en mêlait en exigeant une nouvelle suspension pour non-respect de son arrêt rendu sous REA 022 annulant l’arrêt de la cour d’appel du Sankuru invalidant la candidature d’un des protagonistes à cette élection, Joseph Mukumadi, pour double nationalité.
Un non quorum factice
Samedi dernier à Lusambo, ce n’est pas du fait de la CENI que l’élection du gouverneur de la province du Sankuru ne s’est pas tenue. La centrale électorale s’est heurtée au problème de quorum des électeurs, une partie des députés provinciaux ne s’étant pas présentés au siège de l’institution déliprovinciale, arguant notamment de problèmes sécuritaires.
En fait, vendredi 11 avril, le président de cet organe, le député PPRD élu du territoire de Katako-Kombe, Benoît Olamba Odimba, avait décidé de son propre chef de ne pas convoquer la plénière pour protester contre la non-application de l’arrêt du Conseil d’Etat en faveur de Joseph Mukumadi. «Nous ne pouvons pas prendre le risque de convoquer une élection du gouverneur avec un candidat unique parce que contestée par tous les sankurois», avait déclaré aux médias cet élu qui pèse 4.587 voix (le plus mauvais score de sa circonscription) sans indiquer quelle disposition interdisait une candidature unique. « Ce 13 avril 2019, il n’y aura pas d’élection sans exécution des décisions de la justice congolaise », soutenait Olamba, que des images qui ont fait le tour des réseaux sociaux ont présenté haranguant et violentant rageusement les préposés de la CENI, auxquels il avait carrément interdit l’accès au lieu du vote. Ce qui a fait bondir Corneille Nangaa, le président de la centrale électorale qui a promis de le traduire en justice. «D’après les éléments qui nous sont parvenus, il a été constaté qu’il y a eu obstruction manifeste à la tenue de cette élection par le président de l’Assemblée provinciale du Sankuru. La CENI se réserve le droit de saisir la justice contre l’intéressé pour cet acte qui viole la loi organique de la CENI en son article 26 », a déclaré Nangaa.
Electeurs divisés
En fait de « décisions de justice » à respecter, la centrale électorale se fondait sur l’une d’elles, prise par la cour d’appel du Sankuru, ainsi que sur la loi électorale pour justifier la présentation d’une liste électorale à candidat unique, comme cela s’est du reste vu dans d’autres circonscriptions électorales du pays. Sans s’attirer l’ire de tout ou partie d’élus provinciaux prétendument ‘‘vertueux’’. La sortie médiatique de Benoît Olamba le week-end dernier a eu le don de révéler que derrière la candidature annulée de Joseph Mukumadi se dissimilaient des acteurs politiques sankurois, hostiles au ticket Lambert Mende (Alliance CCU & Alliés) – Patrick Bekanga (PPRD) qui tiraient les ficelles dans l’ombre. « A Lusambo où nous nous trouvons, personne n’a vu ni entendu le président de l’Assemblée provinciale défendre la première décision de justice prise par la cour d’appel dans cette affaire. C’est seulement lorsqu’une décision favorable à Joseph Mukumadi a été prise qu’il est sorti de ses gongs et révélé cette détermination à aider la justice de son pays», explique au Maximum un juriste du chef-lieu du Sankuru interrogé au téléphone samedi dernier. Benoît Olamba aura menti à l’opinion en soutenant que la seule candidature valable retenue par la CENI était « contestée par tous les sankurois».
Samedi dernier, un groupe d’élus provinciaux (10 au total, selon des témoins) avait en effet effectué le déplacement de l’Assemblée provinciale, désavouant ainsi leur président. Il était emmené par le vice-président Anatole Dilomba de la même assemblée et disposé à voter malgré son absence, une dizaine d’autres étant séquestrés à la résidence de Olamba. «Pour nous, la candidature de Lambert Mende est acceptée par tous les sankurois, y compris ici même à Lusambo où nous avons fait élire un député provincial », déclare à nos rédactions un député provincial élu sur les listes de l’Alliance CCU & Alliés interrogé le même jour.
Qui est derrière Mukumadi ?
Les grands électeurs du Sankuru sont donc partagés entre ceux qui soutiennent la candidature de Lambert Mende à l’élection de gouverneur et ceux qui la contestent. C’est normal dans un système démocratique où seule l’élection peut départager les parties en présence. Samedi dernier, la CENI a décidé la délocalisation du lieu des votes, du siège de l’Assemblée provinciale au secrétariat provincial de la CENI à Lusambo pour des raisons de sécurité. Et lundi 15 avril 2019, le nombre d’élus prêts à braver les injonctions illégitimes de leur speaker et à prendre part au vote s’élevait à 13 votants, soit plus de la moitié des membres de l’organe délibérant. L’élection de Lambert Mende était donc quasiment assurée, malgré l’absence des députés provinciaux opposés à ce seul ticket éligible. Au grand dam d’acteurs de l’ombre qui n’ont pas eu le courage politique de postuler eux-mêmes à visage découvert à cette élection.
Les renseignements parvenus au Maximum indiquent que pour atteindre ce chiffre, Mende a battu le rappel de ces troupes de l’Alliance CCU & Alliés, au nombre de 4, soit 2 élus de Lodja et 1 élu de Katako-Kombe et 1 autre élu de Lusambo ; mais aussi ceux du REP & Alliés pour un total de 6 votants. Auxquels se sont ajoutés des élus du PALU et de l’AAAC à Lodja ainsi qu’une partie d’élus du PPRD proche de Patrick Bekanga, son colistier.
Entre un candidat FCC et un indépendant
Une partie d’élus du principal parti du FCC a clairement jeté son dévolu sur l’indépendant débouté Joseph Mukumadi. A commencer par le PPRD Benoît Olamba, qui ne dissimule guère sa préférence pour une candidature inconnue de la plateforme des kabilistes. « L’élu de Katako-Kombe est, c’est de notoriété publique ici, un homme de paille de Léonard She Okitundu, un cacique de la kabilie qui lui-même aurait des liens de parenté avec le candidat Stéphane Mukumadi», explique une source à l’Assemblée provinciale du Sankuru au Maximum. Une autre partie d’élus PPRD à Lodja, que l’on dit proches de Jean-Charles Okoto Lolakombe, a elle aussi préféré ce ticket indépendant à celui du FCC, tandis que tous les anti-Mende de l’hémicycle sankurois étaient ‘‘encadrés’’ par le vice-ministre de l’Intérieur Basile Olongo Pongo qui profiterait de l’intérim de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité à lui confié depuis le départ au Parlement du vice-premier ministre Henri Mova Sakanyi pour régler ses comptes personnels avec Lambert Mende. Ci-git le vrai problème de l’élection de gouverneur au Sankuru : dans une lutte politique aussi déloyale que âpre que se livrent des leaders de ce coin de la République. Et non pas dans une prétendue « contestation populaire », selon plusieurs observateurs locaux interrogés par nos rédactions.
Car en matière de popularité, aucun des protagonistes tapis derrière l’indépendant Joseph-Stéphane Mukumadi n’arrive à la cheville de Lambert Mende, selon les mêmes sources qui s’appuient sur les résultats électoraux dans la province. Ils révèlent qu’aux élections provinciales, les listes Alliance CCU & Alliés ont récolté 18.120 voix à Katako-Kombe, la circonscription électorale de Léonard She Okitundu, où le PPRD a recueilli 7.276 voix. A Lodja, la liste du regroupement politique de Lambert Mende totalise 47.394 voix, loin devant le PPRD et le PPPD qui en totalisent 27.681. Il faut ajouter à ces statistiques les voix de l’Alliance CCU & Alliés dans la circonscription électorale de Lusambo, soit 7.308 voix, pour un total général de voix obtenues par liste de 72.822 voix sur l’ensemble de la province du Sankuru. Contre un total général de 60.325 voix pour le PPRD, pourtant animé par une pléiade de leaders politiques d’envergure discutable dans la même province.
Au regard de ces statistiques tirées des résultats publiées par la CENI, les problèmes sécuritaires mis en exergue par les adversaires de Lambert Mende au Sankuru se poseront avec plus d’acuité s’il s’avérait que la candidature de ce meilleur élu de la province aux législatives nationales (plus de 69.000 voix pour sa liste dont plus de 55.000 pour lui individuellement) était délibérément écartée. Or, l’ancien ministre de la communication et médias avait affirmé, lundi 15 avril 2019, qu’il n’avait nullement l’intention de jeter l’éponge.
J.N.