Congo Files. C’est l’espèce de nom de code donné par nos confrères de la RFI pour rapporter, chaque jour durant près d’une semaine des révélations de sources onusiennes sur le dossier de l’assassinat de Zaida Catalan et Michael Sharp, les experts onusiens assassinés au Kasai. Le dossier, en cours d’instruction par la justice militaire rd congolaise qui collabore avec l’ONU, n’a pas livré toutes ses conclusions. Même s’il apparaît que l’on chemine vers l’incrimination des terroristes Kamwina Nsapu de triste mémoire, à en juger par les débats devant les juges à Kananga. Des conclusions évidentes, qui dérangent certains milieux. Dont nos confrères de la RFI qui en ont fait tout un plat, en s’abritant derrière un groupe de médias qui auraient eus vent de confidences onusiennes sur la question. Des confidences qui, elles, pointent d’un doigt accusateur les services de renseignement de la RD Congo. Un dossier, deux instances judiciaires ? Lambert Mende remet les pendules à l’heure.
Depuis l’assassinat de deux experts de l’ONU au Congo Kinshasa en mars 2017, leurs collègues des Nations unies ont rencontré de multiples entraves dans leur enquête pour connaître la vérité… C’est ce que révèlent des documents confidentiels de l’ONU – les « Congo Files » – auxquels RFI et quatre autres grands médias internationaux ont réussi à avoir accès. Le pouvoir congolais a-t-il quelque chose à cacher ? Pour Lambert Mendé, le porte-parole du gouvernement congolais, il ne faut pas monter en épingle ces « Congo Files ».
RFI : Des documents confidentiels de l’ONU montrent que tous les enquêteurs onusiens ont été entravés dans leurs enquêtes sur l’assassinat de deux experts de l’ONU au Kasaï central en mars 2017, qu’elle est votre réaction ?
Lambert Mende : La première chose qui me vient à l’esprit, c’est que la justice congolaise fait son travail sur ces faits graves qui sont constitutifs d’infraction pénale, elle le fait suivant des règles, c’est-à-dire de manière contradictoire, ce qui n’est pas le cas pour ceux qu’on appelle pompeusement les enquêteurs de l’ONU qui ont beau jeu d’étaler leurs états d’âme, surtout que ces pauvres victimes, monsieur Sharp et madame Catalan, sont leurs collègues. Il faut donc qu’on arrête de monter en épingle les commentaires de leurs collègues qui n’ont en l’espèce aucun statut juridique, aucune autorité de la chose jugée, parce qu’on peut comprendre humainement leur impatience de voir la justice être dite, mais on ne devrait pas s’en servir pour incriminer qui que ce soit, que ce soit des militaires ou des membres des services de sécurité.
Alors ces documents confidentiels de l’ONU sont publiés par un collectif de médias internationaux, la télévision suédoise SVT, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, le magazine en ligne américain Foreign Policy, le quotidien français Le Monde et RFI. Et ce que montrent ces documents, c’est que, dès le mois de mai 2017, les enquêteurs de l’UNPOL, c’est-à-dire la police des Nations unies, soupçonnent le procureur militaire congolais de ne poursuivre que les miliciens Kamuina Nsapu, afin « de cacher d’autres aspects du meurtre des experts de l’ONU qui pourrait impliquer l’influence cachée du gouvernement dans ce dossier… »
Ce n’est pas très professionnel pour les journalistes qui font ces enquêtes-là de vouloir nous faire prendre pour argent comptant les allégations des collègues de monsieur Sharp et madame Catalan, parce qu’en fait, ils ne sont qu’une partie à ce procès. On pourrait facilement les qualifier d’une partie de la partie civile, parce que ce sont des collègues des victimes. Donc on peut travailler aux Nations unies, mais avoir des sentiments comme monsieur tout le monde et ces enquêteurs ne sont pas chargés de dire le droit en l’espèce. Je pense que c’est normal que les proches et les victimes, que sont les enquêteurs des Nations unies, éprouvent de l’impatience à ce que la vérité judiciaire désigne les coupables. Il faut laisser la justice congolaise dire le droit, et il faut du temps pour cela.
La veille de leur assassinat, les deux experts parlent longuement avec trois Congolais de Kananga qui les encouragent à aller là où ils seront tués le lendemain, or ces trois Congolais collaborent avec les services de renseignement de l’époque, est-ce que ce n’est pas suspect ?
Naturellement que c’est suspect. Mais qui doit tirer les conclusions de cette suspicion ? Qui doit établir le lien entre ces personnes ? C’est la justice congolaise qui est en train de mener ces enquêtes de manière contradictoire, les interrogations sont en train de se poursuivre. Et comme le numéro Un du parquet militaire, le général Munkutu, l’a dit, [les magistrats] sont en train de mener ces enquêtes de manière contradictoire et personne n’est à l’abri de poursuite pénale et donc attendons que la justice désigne les coupables. Il ne faut pas aller plus vite que la justice parce qu’on est impatient, l’impatience est tout à fait compréhensible chez les enquêteurs qui sont les proches des deux malheureuses victimes, nous subissons effectivement leur impatience, mais maintenant leurs commentaires ne doivent pas servir d’éléments qui puissent impliquer qui sont les coupables et qui ne le sont pas.
Vous dites qu’il faut attendre que la justice militaire fasse son travail, mais je vous donne un exemple. Sur ces trois personnages congolais qui ont parlé avec les deux experts la veille de leur mort, deux seront arrêtés en décembre 2017 et il faudra attendre encore un an jusqu’à novembre 2018 pour qu’ils soient entendus, pourquoi tant de lenteur ?
Je pense que l’impression de lenteur, c’est un sentiment normal chez les proches des victimes. Et les enquêteurs qui sont cités dans les « Congo Files » sont des proches des victimes, c’est tout à fait normal. Et il me vient à l’esprit le drame qui a couté la vie à madame Ghislaine Dupont, que j’ai bien connue, et à monsieur Claude Verlon au Mali, il y a cinq ans de cela. Je ne suis pas sûr qu’au jour d’aujourd’hui la justice malienne a pu entendre toutes les personnes qui sont citées dans ce crime odieux de vos collègues. Mais personne ne doit accuser la justice malienne d’être complice de qui que ce soit. Pourquoi cet empressement à accuser le procureur militaire congolais à vouloir protéger on ne sait qui ? Il ne faut pas que l’impatience nous fasse commettre d’autres injustices en désignant des coupables peut-être qui n’en sont pas. Ce n’est pas le fait de ne pas avoir entendu ces gens qui fait qu’on veut les protéger, pas du tout. La justice doit procéder méthodiquement, c’est le rythme de la justice, une procédure à charge et à décharge. Le chef du parquet militaire congolais s’est déplacé à Kananga, a installé même son office à Kananga pour y voir un peu plus clair. Laissons-lui le temps de démêler les écheveaux.
Dans cette affaire des deux experts de l’ONU, il y a un homme très bien renseigné dès le début, c’est Jean-Bosco Mukanda, qui a été chef de milice et qui, en mars 2017, est en relation étroite avec les officiers FARDC du Kasaï central. Dès avril 2017, les enquêteurs de l’ONU le soupçonnent d’avoir participé à ce double assassinat, pourtant à ce moment-là, il n’est pas inquiété par la justice militaire congolaise.
Est-ce que ces soupçons sont déjà avérés pour la justice congolaise ? Probablement, vos sources sont mieux renseignées que la justice militaire congolaise, mais il n’est pas clair encore que ces soupçons soient réellement confirmés de manière contradictoire, c’est-à-dire que les collègues de monsieur Sharp et de madame Catalan parlent avec le cœur, ce sont les sentiments qui s’expriment, c’est la colère d’avoir perdu des collègues, et donc il ne faut pas exiger de nos magistrats qu’ils puissent travailler avec les mêmes sentiments, sinon on n’aurait plus de justice.
Autre personnage clé, c’est le colonel FARDC Jean de Dieu Mambweni. Dès le 8 mars 2017, quatre jours avant le drame, il a des échanges téléphoniques avec Jean-Bosco Mukanda et son téléphone portable est localisé près du lieu du meurtre, le jour du meurtre, est-ce que ce n’est pas troublant ?
Cela peut être troublant, mais est-ce que cela conduit avec certitude à une culpabilité ou à une implication comme auteur ou coauteur de ce crime affreux dont nous recherchons tous les coupables. Donc c’est beaucoup dire que le fait que son téléphone ait été localisé près du lieu du drame fait de lui un coupable.
Mais comment se fait-il que ce colonel FARDC n’ait été interpellé que plus de 18 mois plus tard, les 26 novembre dernier, et qu’il ait été aussitôt relâché ?
Je pense qu’il y a de bonnes raisons pour que le parquet militaire l’ait relâché, mais vous aurez constaté aussi que le numéro Un du parquet militaire congolais, le général Tim Munkutu, qui est à Kinshasa habituellement, est descendu sur place parce qu’il a été lui-même perturbé par ces dénonciations qui ont été faites par les enquêteurs de l’ONU qui sont des proches de monsieur Sharp et madame Catalan. Le général Tim Munkutu a quitté son bureau, cela fait maintenant plusieurs mois, pour descendre à Kananga suivre lui-même la procédure que conduit la Cour supérieure militaire de Kananga, pour se rendre compte si des erreurs n’ont pas été commises par les collaborateurs qu’il a là-bas au niveau du parquet près la Cour militaire de Kananga. Je ne pense pas qu’on puisse faire grief au gouvernement d’avoir agi contrairement à la recherche de la vérité, qui est le premier objectif dans un procès judiciaire.
Alors, à l’ONU depuis le double meurtre du 12 mars 2017, il y a, comme le révèlent les documents confidentiels, une réticence manifeste du secrétaire général Antonio Guterres et de son comité d’enquête à mettre en cause des agents de l’État congolais dans cette enquête criminelle. Est-ce que ce n’est pas sous la pression de Kinshasa que New York est aussi réticente ?
J’ai l’impression plutôt qu’au niveau du secrétaire général, il y a de bons juristes qui comprennent que, lorsqu’un procès est en cours, on n’en fait pas une procédure parallèle dans les médias. Il n’y a aucune raison que monsieur le secrétaire général des Nations unies soit complice de je ne sais quel mauvais comportement de la part des autorités judiciaires congolaises, dans la mesure où le numéro Un du parquet militaire congolais est descendu à Kananga. Donc on fait confiance justement à la justice militaire congolaise, qui a plutôt bonne réputation.
Donc, si je vous entends bien, vous n’excluez pas l’implication d’agents de l’État congolais dans le double meurtre du 12 mars 2017 ?
Mais pas du tout. A aucun moment, nous n’avons pensé que notre État était constitué d’anges, de gens qui se comportent toujours correctement. Si nous pensions cela, nous n’aurions jamais créé dans ce pays la justice militaire, nous savons très bien que dans notre armée comme dans toute autre armée du monde, dans notre police également, il peut y avoir des brebis galeuses.
Simplement, si des agents de renseignements et si des officiers FARDC sont impliqués dans ce drame, est-ce que cela n’engage pas la responsabilité de l’Etat congolais ?
Ça, c’est au juge de décider si le comportement répréhensible a été perpétré par des personnes agissant avec une mission de l’Etat, au cours de laquelle ils se sont compromis. Dans ce cas, il y a une responsabilité civile de l’Etat, mais dire que l’Etat congolais pourrait être responsable pénalement, je pense qu’il y a un fossé qu’il ne faut pas trop vite traverser à mon avis.
Le 28 novembre dernier, le numéro Un du parquet militaire congolais, le général Munkutu, s’est étonné que les journalistes du collectif « Congo Files » aient eu accès à des documents confidentiels de l’ONU, comme ce rapport d’enquête de l’UNPOL, et que lui n’ai pas eu le même accès à ces mêmes documents. « Ce n’est pas normal », a dit le numéro Un du parquet, est-ce que vous partagez son mécontentement ?
Nous partageons son étonnement, c’est un étonnement parce que nous savons que les Nations unies ont donné injonction à leur personnel de coopérer avec la justice congolaise. Et découvrir qu’il y a des éléments qui peuvent être mis à la disposition des médias sans avoir été mis à disposition des instances judiciaires congolaises, cela transparait comme un dysfonctionnement au sein de l’appareil des Nations unies qui nous étonne parce que l’ONU ne nous a pas habitués à travailler avec de tels dysfonctionnements, c’est quelque chose d’assez étonnant.
Dans cette interview, le numéro Un du parquet militaire affirme que les médias du collectif « Congo Files » peuvent l’aider dans son enquête. « Si vous avez des éléments, ils sont les bienvenus, nous allons les vérifier », dit-il. Est-ce que vous partagez son point de vue ?
C’est l’appel que nous voulons lancer aux auteurs de « Congo Files ». Toute information susceptible de faire avancer la recherche de la vérité sera hautement appréciée et par le gouvernement congolais, et par les autorités judiciaires congolaises compétentes, pour que justice soit faite. La justice, ce n’est pas la publication dans les médias. Il n’y a que les juges qui peuvent décider qui est coupable et qui ne l’est pas. Et utiliser cela pour politiser un peu l’affaire, le gouvernement congolais, patati, patata, je pense que ce n’est pas ce que l’on recherche. On recherche les vrais coupables, si c’est le gouvernement congolais, eh bien que cela soit clairement établi, mais que l’on remette toutes les informations à ceux qui ont la charge de désigner les coupables dans tout Etat de droit, ce sont les juges, pas les journalistes.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier