C’était invraisemblable il y a un an ou deux encore. Mais ça ne l’est plus, plus tout à fait. Une trentaine d’années de lutte politique passées à s’opposer systématiquement à tout, ça ne rapporte pas toujours. Le parti fondé par Etienne Tshisekedi wa Mulumba et un groupe de parlementaires au milieu des années ’80 semble devoir récolter les fruits d’un dur et long labeur. Voué à contester tout pouvoir établi, élu ou non, si son lider maximo n’en faisait pas partie. Dans l’imaginaire populaire, l’idée s’est ancrée : l’opposition, c’est la contestation. La cohabitation, même au terme de scrutins électoraux, c’est la trahison. Et en RD Congo, l’opposition, c’est l’UDPS/Tshisekedi, qui n’a pas durablement goûté aux délices du pouvoir depuis sa création.
Une trentaine d’années de lutte après, les choses ne sont plus aussi claires qu’auparavant. Si le pouvoir est demeuré ce qu’il a toujours été, de l’autre côté du Rubicon, les travées de l’opposition sont devenues un véritable fourre-tout. Où végètent tous ceux que les aléas de la gouvernance politique ont éjecté des arènes du pouvoir, et qui sont accueillis à bras ouverts, indistinctement, dans le fragile espoir d’ébranler l’ennemi éternel. Au finish, nul ne sait qui est qui, à l’opposition, et qui prône quelle alternative politique réelle en dehors de l’irrépressible et naturel envie de prendre la place de ceux qui sont au pouvoir. Pour en faire le même usage. Sinon pire.
Repères égarées
A plus ou moins deux mois des compétitions électorales en RD Congo, les 3èmes depuis 2006, c’est la pagaille généralisée dans l’opposition politique. Facile d’en juger : le Franco-Congolais Francis Kalombo Nkole, député élu sur les listes du PPRD, le parti présidentiel, en novembre 2011, est devenu opposant. Depuis peu certes, parce que c’est seulement depuis la création du G7 d’un autre ancien du PPRD, l’Italo-Zambien Moïse Katumbi Chapwe, que le play-boy de Bandalungwa est étiqueté opposant. Les faits remontent à novembre 2015, il y a à peu près 3 ans, donc. Mais l’ascension du dernier gouverneur du Katanga et de ses hommes de main fut d’une fulgurance vertigineuse. Et renversante, au propre comme au figuré. Le 20 octobre 2018, l’ancien président de la jeunesse du PPRD s’en est pris vertement à l’UDPS/Tshisekedi, à qui il reproche de se disposer à aller aux urnes en décembre prochain. Plutôt que de boycotter les scrutins combinés législatives nationales et provinciales ainsi que la présidentielle, comme l’exige Moïse Katubmi. Sur son compte Twitter, Kalombo soutient que « un opposant qui accepte la machine à « voler » alors qu’il s’est engagé contre, signifie qu’il a un arrangement avec le FCC », la plateforme de Joseph Kabila, le président de la République sortant.
Non seulement c’est un acteur politique qui, il y a seulement 3 ans comptait encore parmi les cadres du parti présidentiel les plus en vue à Kinshasa qui donne des leçons à un parti politique considéré comme « la fille aînée de l’opposition » ; mais en plus, Kalombo assène à l’UDPS le coup de massue classique qui a fait tant des ravages au sein de l’opposition politique et même parmi les meilleurs cadres du parti tshisekediste, accusés à tour de rôle de collaboration avec le pouvoir. C’est l’histoire du fameux « bal des chauves » tapis dans l’opposition au terme de laquelle les traitres se trahissent toujours, lorsque les cheveux finissent par leur pousser sur le crâne.
Monopole de la dénonciation des taupes
Jusqu’à il y a peu, le monopole de la dénonciation des traîtres à la cause opposante était détenu par l’UDPS/T. Ce n’est plus le cas. Depuis le décès du vieil opposant en février 2017, épuisé par les derniers barouds politiques en vue du partage du pouvoir au nom de … l’alternance au pouvoir. A la tête du parti le plus radical du pays advient son fils biologique, Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi, ternissant ainsi particulièrement l’image de donneuse de leçon de démocratie incarnée par la désormais ex « fille aînée de l’opposition ». L’accession à la présidence de l’UDPS fut jugée biologique par beaucoup, et sonna le glas de l’unité du parti déjà affaibli par une cascade d’auto-éjections de « taupes », victimes du bal des chauves. Et pour tout couronner, comme son défunt géniteur, Félix Tshilombo Tshisekedi se considère comme l’unique primaturable ou présidentiable en RD Congo. Suffisant pour écorner, dans l’imaginaire populaire, la qualité d’opposant radical éternellement radicalisé.
Pour avoir caché une vérité simple à ses nombreux combattants – que la contestation systématique n’a rien de démocratique-, l’UDPS/T en paie les frais. Le parti a décidé de rompre avec les usages surannés qui ne lui auront rien rapporté sur le long terme, en se lançant résolument dans la course à la conquête du pouvoir par les élections. Peter Kazadi, le directeur de cabinet adjoint de Félix Tshilombo, lui-même candidat député à Kinshasa, a récemment dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas dans l’entourage de Fatshi. Par réseaux sociaux interposés. Sur Twitter, il a osé poster que « la machine à voter est un piège et prétexte pour ne pas aller aux élections. Il est que la vérité soit dite au Peuple : Voulons-nous aller aux élections le 23 décembre ou pas ? », rejoignant ainsi le point de vue défendu par l’administration électorale et … le FCC, la plateforme kabiliste. Sacrilège ! Le parti essuie depuis une semaine des tirs croisés de toutes parts … au sein de l’opposition. Les katumbistes, qui prônent une nouvelle « transition sans Joseph Kabila », particulièrement, en veulent à mort au parti de la 10ème rue Limete/Résidentiel à Kinshasa. Qu’ils accusent de tous les péchés d’Israël, y compris le péché originel : qui consiste à demeurer éternellement contestataire et opposant radical.
J.N.