Nouveau Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo va sans doute tenter d’appliquer à la vieille institution les recettes qui ont fait le succès retentissant du modèle rwandais. Et cela, malgré le fait que, depuis plusieurs années, son pays a relégué la langue française aux oubliettes, au profit de l’anglais.
En campagne depuis plusieurs semaines, Louise Mushikiwabo affiche un sourire qui en dit long. En effet, ce 12 octobre, la Rwandaise succède à la Canadienne (d’origine haïtienne) Michaëlle Jean, son unique concurrente pour le poste de secrétaire général de l’OIF. Cette dernière, lâchée par tous, même par son Canada, ne pouvait servir que de faire-valoir à sa concurrente rwandaise.
Pourtant, malgré un « consensus », au sein de l’OIF, la candidature rwandaise surprend. Pour certains, cette avènement au poste de Secrétaire général de l’OIF n’a qu’une seule explication : servir les intérêts diplomatiques de la France et particulièrement du président français Emmanuel Macron, qui voudrait bien réchauffer les relations entre Kigali et Paris. Et peu importe si le français n’est plus enseigné dans les écoles rwandaises depuis 2010. De toute façon, Louise Mushikiwabo est parfaitement bilingue.
La surprise d’Emmanuel Macron
Le président français sera le premier à annoncer cette candidature, après avoir informé son homologue rwandais, Paul Kagame, de son intention de la soutenir. « S’il y a une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie, elle aurait beaucoup de sens. Si elle était africaine et féminine, elle aurait encore plus de sens. Et donc, je crois qu’à ce titre, la ministre des affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a toutes les compétences pour exercer cette fonction », avait déclaré Emmanuel Macron, le 23 mai dernier, le lendemain de l’anniversaire de Louise Mushikiwabo.
En effet, la future secrétaire générale de l’OIF est née le 22 mai 1961 à Kigali, où elle passe son enfance. Après y avoir achevé ses études primaires et secondaires, elle rejoint, en 1981, l’Université nationale du Rwanda, située dans la ville méridionale de Butare. Elle y obtient une licence en anglais, en 1984. Elle enseigne brièvement avant de quitter son pays, en 1986, pour faire sa maîtrise aux États-Unis. Elle se spécialise dans l’interprétariat anglais-français, à l’Université du Delaware. Elle terminera ses études en 1988. Désirant rester aux États Unis, elle travaille pour des organisations de lobbying, avant de prendre un poste à la Banque Africaine de développement.
Malgré la distance, Louise Mushikiwabo sera personnellement touchée par le génocide rwandais. Son frère, Lando Ndasingwa, y perdra la vie, comme elle le raconte dans « Rwanda Means the Universe », un livre qu’elle a coécrit, en 2006, avec l’ex Marine américain, devenu journaliste, Jack Kramer.
Louise Mushikiwabo finira pourtant par revenir sur sa terre natale, en mars 2008, à la demande du président Paul Kagamé. Le chef de l’Etat rwandais la nomme alors Ministre de l’information, avant de lui confier en 2009, la responsabilité régalienne de Ministre des affaires étrangères qu’elle cumulera avec celle de porte-parole du Gouvernement rwandais.
Ce choix, pour la direction de l’OIF, qui semble être avant tout celui du président français Emmanuel Macron, a surpris de nombreux observateurs. Les relations entre le Rwanda et la France étaient tendues depuis plusieurs années. Kigali a souvent accusé Paris d’avoir joué un rôle dans le déclenchement du génocide rwandais. En sa double qualité de chef de la diplomatie et de porte-parole du gouvernement rwandais, Louise Mushikiwabo est d’ailleurs l’une des personnalités qui a le plus critiqué la France sur ce point. Malgré tout, les intérêts du jour qui sont à l’oubli de ce passé tumultueux semblent occulter les rudes passes d’armes dans lesquelles Mushikiwabo, une excellente oratrice parfaite bilingue s’était spécialisée.
Choix critiqué mais pragmatique, pour les deux parties
Si le choix de Louise Mushikiwabo suscite de nombreuses critiques, c’est surtout à cause de l’orientation résolument anglophile adoptée par le Rwanda depuis une décennie. Pour rappel, depuis 2008, le français avait été carrément remplacé par l’anglais en tant que langue nationale sur décision du régime post-génocide en place à Kigali
Dans la foulée, l’enseignement du français a été arrêté dans les écoles et le pays a rejoint le Commonwealth. En 2014, le Rwanda a même détruit, au bulldozer, le centre culturel franco-rwandais de Kigali.
En 2011, Louise Mushikiwabo a même déclaré que « l’anglais est une langue avec laquelle on va plus loin que le français », avant de compléter qu’au Rwanda, « le français ne va nulle part ». Elle a toutefois expliqué cette déclaration, il y a quelques jours, dans une interview accordée au Monde. « L’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est, son premier partenaire commercial étant le Kenya. Il est donc normal et pragmatique, pour un pays enclavé, de donner une prépondérance à la langue anglaise. Il n’y a pas de contradiction à donner plus de place à l’anglais tout en restant un pays francophone », explique Louise Mushikiwabo.
Malgré tout, tout laisse à penser qu’avant la rencontre entre les présidents français et rwandais, ce pays africain n’était plus vraiment un membre de l’OIF. Ainsi, les arriérés de paiement de plusieurs années de cotisations que le Rwanda devait à l’OIF, n’ont été soldés qu’en mai dernier, après la visite de Paul Kagame.
Les autorités rwandaises semblaient pour leur part tellement déterminées à obtenir le poste pour Louise Mushikiwabo qu’elles ont libéré 2140 prisonniers. Car, en plus de la langue, le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles, inscrit à la charte de l’OIF, était l’autre principale critique des détracteurs de la candidature de la ministre des affaires étrangère. Pourtant, Louise Mushikiwabo l’assure, cela n’a rien à voir. « Les dossiers de ces personnes ont été étudiés et la décision de les libérer a été prise. C’est une bonne chose si cela peut aider ma campagne », explique-t-elle dans des propos rapportés par Le Monde.
Par ailleurs, ce que beaucoup occultent dans ce rapprochement entre les autorités françaises et rwandaises, c’est que le pays de Paul Kagamé est de plus en plus en froid avec les Etats-Unis d’Amérique. Le Rwanda recherche donc, depuis un moment, des alliés parmi les grandes puissances. Chose difficile lorsque presque toutes les ONG internationales de défense des droits de l’homme vous accablent dans leurs rapports.
Le réchauffement des relations avec la France est donc bienvenu pour le Rwanda. De son côté, Emmanuel Macron ne cache pas son envie de donner une place plus importante à l’économie au sein de l’OIF. Le problème, à ce niveau, est que les nations africaines pourraient très rapidement assimiler une telle orientation à un néocolonialisme. Toutefois, avec à sa tête la cheffe de la diplomatie de Paul Kagamé, véritable modèle africain en matière d’économie et de bonne gestion, la francophonie pourrait plus facilement prendre la voie souhaitée par Emmanuel Macron : plus d’économie, d’investissements, d’actions concrètes, de pragmatisme et de bonne gestion.
Deux présidents qui ont sans doute plus en commun qu’on ne le croyait.
Au final, la Francophonie permettra au Rwanda de retrouver une ouverture internationale. En même temps, en travaillant avec un Kagamé, peu enclin à se soumettre à la France, Emmanuel Macron donne des gages à ceux qui pourraient craindre une francophonie économique trop « françafricaine »…
Le seul problème pour la France dans cette alliance, loin d’être contre nature, c’est la question des droits de l’homme, pas vraiment la matière préférée de l’élève Kagamé. Au final, la candidature de Louise Mushikiwabo semble le résultat de deux volontés pragmatiques, de deux présidents qui ont sans doute plus en commun qu’on ne le croyait.
AVEC SERVAN AHOUGNON
Titre Original : « Francophonie : Louise Mushikiwabo et le double langage rwandais »