La poignée de main entre les présidents Félix Tshisekedi de la RDC et Paul Kagame du Rwanda, attendue depuis plusieurs mois, demeure encore incertaine ainsi qu’en attestent les déclarations des parties au conflit. Seul espoir, un miracle. Il a été promis, dimanche 9 novembre 2025 à Kinshasa, par Paula White-Cain, conseillère spirituelle de Donald Trump, qui assure que le silence remplacera le bruit des armes dans la région des grands lacs africains au cours des 52 jours à venir.
Sur le terrain des opérations militaires, dans les territoires martyrs de l’Est congolais, aucun indice d’accalmie n’est perceptible. Les affrontements qui opposent les forces armées gouvernementales rwandaises et leurs supplétifs congolais de l’AFC/M23 à l’armée loyaliste congolaise (FARDC) soutenue par les résistants Wazalendo se multiplient au Nord et au Sud-Kivu.
Sur le terrain diplomatique, quelques timides avancées, manifestement arrachées au forceps aux parties sont enregistrées aussi bien à Doha qu’à Washington DC. Mais c’est à peine si elles ne sont pas aussitôt remises en cause par les réalités du terrain et les déclarations des officiels au plus haut niveau de part et d’autre.
Le 7 novembre dernier, le processus dit de Washington avait enregistré une de ses avancées surprises auxquelles il va sans doute falloir s’habituer. A l’issue de la 4ème réunion du Comité conjoint de suivi de l’Accord signé en juin dernier entre la RDC et le Rwanda, Washington a annoncé que les gouvernements congolais et rwandais ont paraphé le texte intégral du Cadre d’intégration économique régional (CIER), sous la facilitation de l’administration Trump. L’événement ouvrait la voie à la signature officielle du document, attendue depuis septembre dernier. Ainsi qu’à l’invitation, par le président Donald Trump, de ses homologues congolais et rwandais à Washington pour signer l’accord de paix entre les deux Etats. Manifestement, c’était trop beau pour être vrai.
24 heures plus tard, Kinshasa douchait les espoirs nés de ce paraphe en révélant que le document contenait un ajout stipulant que la mise en œuvre effective du CIER est tributaire de la bonne exécution du Concept d’opérations (CONOPS) et suivant l’ordre opérationnel adopté par les parties. Adopté à Luanda en octobre 2024, le CONOPS fixe la feuille de route pour la neutralisation des FDLR et le désengagement des forces et des mesures défensives rwandaises du territoire de la RDC.
Pas d’accord sans
CONOPS
Profitant d’un séjour européen, Patrick Muyaya, le ministre porte-parole du gouvernement congolais s’est abondamment expliqué sur la question dans les médias. Sur les antennes de RFI, mercredi 12 novembre, il a déclaré sans ambages que «le président Tshisekedi ne peut pas aller signer la paix à Washington sans qu’on puisse constater que les troupes rwandaises se sont retirées de notre territoire ».
Le même jour, à l’occasion du 18ème Forum du club de l’unité, le président rwandais Paul Kagame a, une fois de plus, bûcheronné sur tout le mal qu’il pensait des négociations de Washington entre la RDC et son pays sous l’égide de l’administration Donald Trump. «Ces accords sont truffés de mensonges. Dans nos actes, nos paroles, notre façon de vivre avec les autres, dans nos conflits (notamment avec la RDC), nous avons déjà pris notre décision et fixé des limites. Cela signifie que nous ne pouvons tolérer ce qui déstabilise le Rwanda», a déclaré en substance l’homme fort de Kigali. «L’idée que quelqu’un puisse venir nous dicter notre conduite, ou que nous devions vivre sous le contrôle de quelqu’un … absolument pas. Notre politique doit être définie par un but, une vision et un engagement», avait-il ajouté.
Parties aux négociations insatisfaites
Ni Kinshasa, ni Kigali, ne semblent donc satisfaits des perspectives qui se présentent, à cette étape des négociations.
Kinshasa reproche à Kigali de ne fournir aucun effort pour accomplir la part d’obligations que lui impose le CONOPS, ce volet militaire ajouté à l’accord du 27 juin dernier, qui contraint la RDC de traiter la question de la neutralisation des FDLR et impose concomitamment au Rwanda le retrait de ses troupes et de ses fameuses ‘’mesures défensives’’ (à l’intérieur du territoire de son voisin !) selon un timing détaillé et précis. «Nous avons signé, dans le cadre de cette section que l’on a rajoutée, parce qu’il faut que l’on s’assure que, dans cette dimension, le Rwanda fasse sa part. Dans le CONOPS, le volet militaire, n’oubliez pas qu’il est prévu de traiter, d’une part la question des FDLR, ce que nous traitons avec la phase de la sensibilisation … Mais d’autre part, le Rwanda s’était engagé à retirer ses mesures de défense. Nous faisons notre part et eux doivent faire la leur», a encore déclaré Patrick Muyaya.
Sur le terrain des opérations militaires, rien n’indique à ce jour que les têtes brûlées au pouvoir à Kigali aient l’intention de retirer leurs troupes et les absurdes mesures défensives de leur pays déployées sur le territoire congolais.
Même si le gouvernement rwandais ne s’est pas officiellement expliqué sur ce point de blocage, plusieurs observateurs estiment que le régime de Paul Kagame a plus à perdre qu’à gagner dans la mise en œuvre du Cadre d’intégration économique régional paraphé par son pays le 7 novembre dernier. En raison du fait que le Rwanda a bâti une juteuse économie parallèle alimentée par le pillage systématique et impuni jusqu’à ce jour des ressources minières de son voisin congolais. La signature du CIER devrait marquer la fin de l’empire de cette prédation à ciel ouvert et du trafic dont Kigali vit depuis 30 ans, le nouvel accord exigeant que chaque gramme de coltan, d’or ou de cobalt soit exporté légalement. Ce qui, selon des estimations, ferait perdre au Rwanda plus de 580 millions USD par an de revenus directs sur l’exploitation des minerais en provenance de la RD Congo.
D’autres observateurs avancent que le CIER, également adossé sur le Corridor de Lobito, un projet stratégique de 1.300 km de voie ferrée, détournera les flux miniers transitant par le Rwanda vers le littoral atlantique sous supervisions congolaise et angolaise, et asphyxiera irrémédiablement l’économie du pays des Mille Collines. Un véritable arrêt de mort pour le régime monoethnique qui règne sans partage à Kigali et qui ne prospère qu’en siphonnant les ressources économiques du Congo depuis 3 décennies.
J.N.