A Kinshasa, deux pluies ont suffi pour exposer les limites des mesures arrêtées par les autorités municipales et gouvernementales pour enrayer l’insalubrité rampante et les inondations, pourtant prévisibles depuis des lustres. Sur les réseaux sociaux, mardi 4 et mercredi 5 novembre, une vidéo présentant une scène de déversement de déchets ménagers dans un torrent d’eau pluvieuse en pleine rue a plus que révolté. Autant que l’impunité et l’incapacité manifeste des autorités à mettre fin à l’hécatombe.
La scène filmée par une caméra amateur, sans doute un téléphone portable, sous la pluie battante qui s’était abattue sur la capitale, mardi 4 novembre 2025, était entrecoupée de cris de révolte et de frayeur, devant l’impensable : des conducteurs de pousse-pousse chargés à ras-bord de déchets ménagers, surpris par la pluie et l’inondation de l’avenue qu’ils avaient emprunté, se sont mis à déverser leurs chargements sur la chaussée dans les eaux ruisselantes, au vu et au su de passants stupéfaits mais impuissants. Dans les parages, pas le moindre agent de l’ordre pour interpeller les inciviques. Parcourir les rues de la capitale sous une pluie battante n’est pas inscrit dans leur ADN. Ni dans celui des autorités en place.
Ces dernières ont pourtant disputé la vedette aux images révoltantes d’inciviques déversant où ils pouvaient leurs cargaisons de déchets. Car, en réalité, depuis la fin d’un programme d’assainissement financé par l’Union européenne à coups de millions d’Euros sous Joseph Kabila, il n’existe pas de points de stockage de déchets ménagers dans la capitale. Moins encore de véhicules d’enlèvements d’immondices entassées nulle part, apparemment. «Dans certains quartiers, au lever du jour, les kinois sont désagréablement surpris par des sacs d’immondices abandonnés ci et là par des transporteurs anonymes», explique ce banlieusard, désabusé et impuissant.
Des pratiques connues
L’Hôtel de Ville de Kinshasa est au courant de ces pratiques qui ont la peau dure, pourtant. Depuis plusieurs mois, les autorités se sont lancées dans la préparation d’échéances pluvieuses anxieusement attendues. Avenues et rues ont été revêtues de béton armé, pour conjurer les nombreux délabrements des revêtements en goudron. A Matonge, un des quartiers les plus courus de la capitale, l’avenue Kasa Vubu partiellement fermée à la circulation, fait peau neuve. Enfin presque, puisqu’au-dessus de revêtements en béton armé s’amoncèlent déjà ci et là des déchets extraits des caniveaux situés juste à côté. Le neuf et la pourriture cohabitent ainsi allègrement, au vu de tous sans que personne ne pense à enlever ces détritus qui, au premier orage, retrouvent le fond des caniveaux.
Le week-end dernier, Daniel Bumba, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa, a donné un moment l’impression de prendre le taureau de l’assainissement par les cornes en réunissant l’ensemble des bureaux des conseils communaux. Objectif affiché du meeting : accroître l’efficacité et la coordination des actions relatives à la gestion des déchets et à la salubrité publique.
En réalité, le gouverneur de Kinshasa s’est plutôt lancée dans une exhortation à grands renforts de caméras TV de ces «responsables» communaux à s’impliquer activement dans la mise en œuvre des initiatives du gouvernement provincial, en insistant sur la mobilisation et la collaboration avec la Régie des déchets de Kinshasa (REGEDEK) ainsi qu’avec la Direction générale des marchés de Kinshasa (DGMK) pour la gestion des déchets issus des marchés publics. De la théorie abstraite, quand on sait que chaque jour, Kinshasa produit autour de 10.000 tonnes de déchets dont il faut se débarrasser. Mais sûrement pas avec la vieille pratique de Salongo faisant appel aux balais des ménagères pourtant encouragée par Daniel Bumba le week-end dernier.
Capacité de collecte nulle
Ces problèmes sont pourtant connus depuis fort longtemps : la quantité de déchets générée dépasse largement la capacité de collecte et de traitement de la ville ; l’absence d’un système de traitement de déchets efficace conduit à l’accumulation d’immondices dans les rues, les caniveaux et les terrains vagues, créant des décharges sauvages ; de nombreux habitants utilisent les caniveaux et les espaces publics comme lieu de dépôt d’ordures, obstruant les systèmes de drainage et provoquant des inondations ; manque de politique de gestion des déchets solides et de mobilisation des moyens nécessaires pour y faire face efficacement …
Mardi 4 novembre 2025, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa a effectué une visite d’inspection du chantier de lutte contre les inondations, Place Pont Kasa Vubu, à la jonction des avenues Kasa Vubu, Boulevard Triomphal et avenue Sendwe. «Une fois ce pont achevé, les inondations devant le Palais du peuple ne seront plus qu’un souvenir. Nous travaillons dur pour que Kinshasa devienne une ville sans inondations après la pluie», a-t-il expliqué. Selon ses services de communication, les abords du Palais du peuple ont résisté grâce aux travaux de curage et de canalisation engagés par la province. Ce n’est pas l’avis des usagers, pas ceux dont les véhicules avaient affronté des eaux atteignant les vitres de leurs portières autour de 8 heures 30, ce jour-là. Il faut encore attendre 30 jours pour voir la fin des travaux en cours à la hauteur du Pont Kasa Vubu.
Dans le même secteur, John Banza Lunda, le nouveau ministre des Infrastructures du gouvernement central a effectué une visite d’inspection, mercredi 5 novembre 2025. Pour constater l’avancement des travaux de désengorgement. Il a annoncé une riposte ferme contre les constructions anarchiques qui obstruent les canaux d’évacuation des eaux de pluies : elle consistera en la démolition des constructions querellées. «Des individus ont bâti sur les collecteurs. Cela ne peut plus durer», a menacé le ministre.
J.N.