Enième sortie médiatique pour un homme plutôt connu de l’opinion pour son caractère taiseux. L’ancien président rd congolais Joseph Kabila est sorti de son mutisme habituel pour annoncer son retour au pays, qu’il avait quitté sur la pointe des pieds il y a un an environ. Dans l’entretemps, une agression sanglante, la énième perpétrée comme d’habitude depuis 30 ans par le Rwanda a conquis quelques pans du territoire de la RDC. C’est le moment qu’il a choisi pour annoncer son retour au pays, par la partie occupée !
A la différence de ces précédentes prestations médiatiques, dans des médias anglophones, Joseph Kabila Kabange s’est confié à un média francophone, Jeune Afrique en l’occurrence, pour annoncer le 8 avril son come-back. Il le justifie par la dégradation de la situation sécuritaire à travers le pays, ainsi que la déliquescence et le pourrissement qui gangrènent tous les secteurs de la vie nationale. «J’ai pris la résolution de rentrer, sans délai, au pays, afin de contribuer à la recherche de la solution», déclare-t-il. Une résolution prise après avoir «rencontré quelques chefs d’Etat, des anciens chefs d’Etat de la région et d’autres acteurs politiques et sociaux nationaux et étrangers qui s’intéressent à la crise congolaise», explique-t-il. Le sénateur à vie congolais annonce également avoir décidé d’entamer ce retour au pays «par la partie orientale, parce qu’il y a péril en la demeure».
Dans l’opinion, le retour annoncé de l’ancien président de la République fait couler encre et salive. On rappelle que le quatrième chef de l’État congolais président de la République est accusé par son successeur Félix Tshisekedi d’être complice de la dernière agression rwandaise du pays, qui date de 2021. Selon le président Tshisekedi et son gouvernement, Joseph Kabila est de mèche avec l’AFC/M23, la rébellion créée par Corneille Nangaa qui fut président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous son administration en 2018, qui s’est alliée aux rebelles déjà connus du M23.
Retour en territoire conquis
Le retour annoncé, par les territoires occupés par l’armée rwandaise à l’Est du pays, de celui que les Congolais surnommaient «Raïs» survient alors que les villes de Goma et Bukavu sont sous occupation des agresseurs. Et que Kisangani et Lubumbashi, les deux plus grandes villes du pays, sont dans le viseur du corps expéditionnaire de Kigali. Et, surtout, au moment où des initiatives de médiation se multiplient, qui ont abouti ces dernières semaines à une rencontre entre les présidents Tshisekedi et Kagame à Doha aux Emirats Arabes Unis, alors que sont annoncées des discussions directes entre Kinshasa et les renégats de l’AFC/M23.
Dans l’opinion, les préoccupations liées à ce come-back tournent autour du rôle qu’entend jouer l’ancien chef d’Etat dans l’évolution de la situation sécuritaire aussi bien à l’Est du pays que sur l’ensemble du territoire national. Mais aussi sur l’avenir immédiat du pays et des institutions en place.
Un internaute, John Mikala, émet sur le sujet un avis largement partagé. «Un chef d’Etat qui dirige le pays pendant 18 ans et quitte le pouvoir par des élections démocratiques et inclusives organisées par lui-même et qui par après sort clandestinement du pays pour s’exiler alors qu’il n’est pas inquiété et bénéficie toujours de ses avantages, lui, sa famille politique et biologique reste indifférent et ne dit mot alors que son pays est attaqué, pillé et assiégé par des ennemis qui massacrent ses compatriotes ; sort de son silence et fait des déclarations qui soutiennent ces ennemis quand ils sont sanctionnés par la communauté internationale ; se décide de rentrer au pays par la partie orientale occupée par ces ennemis et y rester ? Aidez-moi à dire simplement, tout haut, que Joseph Kabila est l’ennemi de la RDC», soutient-il.
Soupçons de collusion avec l’ennemi
Interrogé sur la question, Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du PPRD, le parti politique de Joseph Kabila, justifie le retour de l’ancien président de la République plus qu’il ne répond aux préoccupations sécuritaires qu’il pose. «L’important aurait été que les gens soient contents. Il s’est soucié de revenir dans son pays. Quel que soit l’endroit par lequel il va revenir, ça devrait être la joie plutôt du régime qui le recherchait et qui ne savait pas le rencontrer», ironise-t-il sur les antennes d’une radio locale.
C’est de l’opposition, armée et non armée que fusent des réactions qui tendent à ranger l’ancien président de la République dans les rangs des agresseurs du pays. A l’instar de celle de Willy Manzi, le gouverneur AFC/M23 du Nord-Kivu occupé, publiée le 8 avril sur son compte X avant de faire le tour des réseaux sociaux. « Autrefois terre de chagrin et d’exil, l’Est de la RDC est aujourd’hui un phare d’espoir et un refuge pour ceux qui pensaient ne jamais pouvoir rentrer chez eux. Votre décision de rentrer, Monsieur le président Joseph Kabila, est un puissant symbole de renouveau. Merci», écrit-il.
Des propos qui sonnent comme un air de complicité entre d’anciens exilés politiques qui ont décidé de prendre les armes pour revendiquer leurs droits. Qui ne sont pas sans rappeler ceux de Kabila lui-même laissant entendre récemment que les revendications des rebelles étaient «légitimes», notent plusieurs observateurs.
Sugira Mireille, une internaute qui défend la cause du Rwanda et ses supplétifs, s’exprime dans le même sens. «Imaginez Kabila sous la protection d’Afande Byamungu, le général qu’il a condamné à mort et emprisonné jusqu’à ce que Tshisekedi ordonne sa libération. Imaginez Kabila sous la protection de Sultani Makenga, le général qu’il a combattu pendant des années. Aucun dirigeant de la RDC n’aura combattu le M23 aussi vigoureusement – et intelligemment – que JKK. L’arrivée de Joseph Kabila à Goma sera la preuve que la vérité même lente, finit toujours par triompher. Faisons la paix, les gars», écrit-elle, ce 8 avril 2025.
Réactions enthousiastes dans l’opposition
Ces proxys de la rébellion armée et de l’agression ne sont pas les seuls à se réjouir de ce qu’ils perçoivent comme une sorte de ralliement du Raïs à leur cause. Dans les rangs des katumbistes, Olivier Kamitatu, directeur de cabinet du candidat malheureux à la dernière présidentielle, embouche les trompettes de la balkanisation qui hante le sommeil des Congolais depuis les années de l’indépendance. Le porte-parole de Moïse Katumbi s’est fendu, lui aussi, d’une longue tirade sur son compte X, le même jour. «Le retour imminent de Joseph Kabila à Goma, ville emblématique de notre souveraineté nationale, porte un message clair : la résolution de la crise congolaise ne saurait reposer uniquement sur des interventions extérieures. La clé de notre stabilité et de notre avenir réside au cœur de notre pays. Cette démarche s’inscrit dans une logique plus vaste : celle d’un ancien président déterminé à faire valoir ses droits citoyens, dans un contexte où sa sécurité semble garantie, loin des tumultes de Kinshasa», se réjouit-il à l’avance.
Du côté de la majorité au pouvoir, le secrétaire général de l’UDPS/Tshisekedi, Augustin Kabuya, réitère les accusations portées contre l’ancien chef de l’Etat. «Nangaa, c’est le produit de Kabila. Kabila, c’est le produit de Kagame. Moïse Katumbi ne me surprend pas. Ce qui est plus important dans cette affaire, c’est la position du président rwandais, Paul Kagame, qui a compris qu’il est en train d’être sanctionné avec son régime. Et qui a sans doute exigé de ses factotums de porter les gants et monter sur le ring pour s’afficher officiellement», a-t-il déclaré.
C’est un point de vue très répandu dans l’opinion acquise à la majorité au pouvoir. Le retour de Joseph Kabila serait dicté, voire, ordonné par un Paul Kagame qui refuse désormais de porter seul la croix des exactions commises en RDC par ses phalanges. Le sénateur à vie rentre au pays, par les territoires occupés de l’Est, pour prendre la tête de la rébellion dont il avait jusque-là nié la paternité, et même la direction des opérations militaire à venir. Très actif sur les réseaux sociaux, Marlon Luzayamo, croit savoir que «dès la semaine prochaine, Kagame commencera à retirer ses troupes du Congo, sauf revirement de dernière minute. Mais la guerre est loin d’être terminée car, Joseph Kabila s’apprête à prendre le relais avec des moyens conséquents mis à sa disposition par ses mentors rwandais comme en 1996-1997», assure-t-il.
Jusque jeudi 10 avril 2025, rien n’indiquait que Joseph Kabila avait regagné le territoire national. Même si, sur les réseaux sociaux, d’anciennes vidéos recyclés ont circulé, suggérant l’arrivée du sénateur à vie à Goma. Preuve que le retour au pays de l’ancien président de la République préoccupe plus qu’il ne rassure nombre de ses compatriotes.
J.N.