Les négociations pour le rétablissement de la paix dans l’Est de la RDC ont enregistré un coup d’accélérateur trois semaines après l’adoption de la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Le médiateur angolais, João Lourenço, a annoncé des pourparlers directs entre Kinshasa et les rebelles de l’AFC/M23 soutenus par le Rwanda. Selon un communiqué de la présidence angolaise publié mercredi 12 mars, la RDC et les rebelles entameront les discussions le 18 mars 2025 à Luanda. C’est la vitesse de croisière au premier coup d’accélérateur, et les protagonistes, quelque peu surpris par la tournure que prennent les événements, semblent hésiter.
Mercredi 12 mars 2025, Félix Tshisekedi a effectué un aller-retour à Luanda, à l’invitation de son homologue angolais, médiateur dans le conflit qui oppose la RDC au Rwanda et président en exercice de l’Union africaine. Au terme de cette visite de travail, Luanda a rendu public, le même jour, un communiqué annonçant des pourparlers directs entre Kinshasa et les rebelles de l’AFC/M23 soutenus par Kigali. «Suite à la brève visite de Son Excellence Félix Tshisekedi à Luanda, la partie angolaise, en tant que médiateur dans le conflit qui touche l’Est de la République Démocratique du Congo, va établir des contacts avec le M23, afin que les délégations de la RDC et du M23 mènent des négociations directes à Luanda dans les prochains jours en vue de négocier une paix durable dans ce pays frère», lit-on dans ce communiqué de presse publié sur le site de la présidence angolaise.
En RDC, l’annonce de Luanda a fait l’effet d’une douche froide, compte tenu de l’intransigeance, plutôt partagée et encouragée par la plupart des Congolais, de Félix Tshisekedi et de son gouvernement sur le sujet. Depuis le déclenchement de la énième rébellion soutenue par le Rwanda en RDC en 2021, le président congolais n’a cessé de clamer son refus de négocier directement avec un groupe rebelle qu’il sait soutenu par son voisin rwandais. «Autant négocier directement avec l’agresseur Paul Kagame», était le credo préféré et intransigeant ressassé par Kinshasa.
Douche froide en RDC
Jusque tard dans l’après-midi, ce mercredi 12 mars, aucune réaction officielle au communiqué de presse de Luanda n’était enregistrée, ouvrant ainsi la voie à toutes sortes de conjectures dans l’opinion. Jusqu’au moment où, Tina Salama, porte-parole de la présidence congolaise, annonçait dans un posting sur son compte X que «nous prenons acte et attendons de voir la mise en œuvre de cette démarche de la médiation angolaise. Nous rappelons par ailleurs qu’il existe un cadre préétabli, qui est le processus de Nairobi, et nous réaffirmons notre attachement à la Résolution 2773».
Cette subtile mise au point rappelle ainsi que la résolution du problème des groupes armés qui sévissent en RDC relève du processus de Nairobi, conduit par l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, même s’il peut être jugé complémentaire et donc susceptible d’être aligné à ce titre au processus de Luanda, dont l’angolais Joao Lourenço est le médiateur. Tandis que l’allusion à la Résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur la situation sécuritaire en RDC vise manifestement à rappeler qu’il avait été décidé que «le M23 doit immédiatement cesser les hostilités, se retirer de Goma, de Bukavu et de toutes les zones contrôlées, y compris les routes terrestres et lacustres, et démanteler dans leur intégralité les administrations parallèles illégitimes mises en place sur le territoire de la République Démocratique du Congo, et que ce retrait ne doit pas être entravé». De ce point de vue, le dialogue direct de Luanda hors processus de Nairobi devra préalablement s’assurer de l’exécution de la Résolution onusienne, ou tout au moins, en discuter.
Points d’achoppements
Le 18 mars à Luanda, les négociations directes Kinshasa-M23, si elles se tiennent, pourraient rapidement achopper sur les conditions que ne manquera pas de poser la partie rebelle, qui touchent à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la RDC, selon les observateurs. A moins que l’administration Tshisekedi ne retombe, comme ses prédécesseurs, dans le piège des concessions qui entretiennent l’insécurité récurrente dans la partie Est du territoire national.
Aussi surprenant que cela paraisse, du côté des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda s’observe les mêmes réserves vis-à-vis de l’initiative de la médiation angolaise. Alors que de tout temps, le mouvement rebelle n’a cessé de réclamer ce face-à-face avec Félix Tshisekedi et son gouvernement. C’est à peine si, plusieurs heures après le communiqué de la présidence rwandaise, Bertrand Bisimwa rappelait dans un posting que «nous avons pris l’engagement de faire échouer l’option militaire de monsieur Tshisekedi pour l’amener, de gré ou de force, à la table de négociations, seule option civilisée pour régler la présente crise qui a duré des décennies». L’allusion au règlement négocié d’une crise «qui a duré des décennies» semble indiquer que les rebelles de Kagame méconnaissent la dernière résolution du Conseil de sécurité sur la question, et est une allusion sournoise aux fameuses «causes profondes» du conflit habituellement brandies par leur mentor rwandais. Notamment, la question de l’éradication des FDLR, suspendue à celle du retrait des troupes rwandaises du territoire de la RDC et de la cessation de toutes les hostilités et la libération des territoires occupés par le M23, conformément au processus de Luanda.
Avantages diplomatiques
Selon certains observateurs, la réaction tardive et manifestement peu enthousiaste des rebelles du M23 à l’annonce du dialogue direct avec Kinshasa indique qu’en réalité, ils n’ont jamais eu l’intention de négocier avec Kinshasa. Que la rigidité de Kinshasa sur la question arrangeait plutôt le Rwanda et ses hordes soutenues par la RDF, dont les intentions belliqueuses et expansionnistes demeurent plus que jamais prioritaires. C’est ce qui explique le pied-de-nez posé par Kagame à la médiation angolaise en décembre dernier. Le 18 mars à Luanda, le M23 pourrait, soit briller par son absence, soit déployer des astuces pour faire capoter les négociations, de ce point de vue.
Des voix s’élèvent ainsi, qui encouragent Kinshasa à ravaler son orgueil et à se rendre aux négociations directes avec la rébellion pro-rwandaise. Non pas pour obtenir gain de cause autour de ses revendications, mêmes légitimées par le Conseil de sécurité, mais pour prouver à la face de la communauté internationale aussi bien la collusion entre les rebelles et le régime en place que la mauvaise foi du Rwanda. Et en retirer des avantages aux plans diplomatique, géopolitique et sécuritaire de nature à aggraver l’affaiblissement de l’agresseur rwandais.
J.N. AVEC LE MAXIMUM