Personne aux Philippines ne s’y attendait. Le terrible Rodrigo Roa Duterte, alias «Rody Duterte», l’homme le plus populaire jusqu’à ce jour de ce pays d’Asie du Sud-Est, vit ses premières nuits de détenu de la CPI depuis mardi 11 mars 2025. L’ancien chef d’État Philippin, âgé de 79 ans, a été cueilli par la police comme un vulgaire voleur à la tire à l’aéroport de Manille au retour d’un voyage d’agrément à Hong Kong. Un mandat de Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) transmis à la section locale d’Interpol aura suffi à cet effet. Sans coup férir et malgré les protestations de ses nombreux fanatiques aux Philippines même et à l’étranger, Duterte a été emmené sous bonne escorte à destination de La Haye (Pays-Bas) vers 21 heures locales. Il faisait l’objet d’une plainte déposée auprès de la CPI il y a sept ans (avril 2017) par un avocat Philippin, Jude Sabio, pour crimes contre l’humanité.
Pourtant, le « Punisher » (punisseur), comme l’avaient surnommé des médias complaisants en raison de sa hargne dans l’élimination physique de ses opposants politiques souvent assimilés aux narcotrafiquants, croyait dur comme fer s’être entouré de toutes les précautions juridiques auxquelles tous les autocrates recourent pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites de la justice internationale. Notamment, en décrétant le retrait de son pays, les Philippines, du Statut de Rome créant la CPI dès 2019 au motif que celle-ci avait osé enquêter sur la répression des trafiquants de drogue entreprise sous sa férule. Mais les juristes de la CPI ont contourné cet obstacle en mettant en exergue les meurtres commandités par Rodrigo Duterte avant le retrait de son pays de l’instance judiciaire internationale ainsi que ceux commis dans la ville de Davao, à l’époque où il en était le Maire (2013-2016)…
Quatre ans après son retrait du pouvoir en 2021, l’ancien chef d’État Philippin a donc bel et bien été rattrapé par ses turpitudes. Son arrestation est saluée notamment par Amnesty International qui y voit « un signe d’espoir pour les victimes des violations des droits de l’homme aux Philippines et dans le monde ».

A l’instar de la catastrophe sécuritaire et humanitaire délibérément imposée aux populations de l’Est de la République Démocratique du Congo par le président rwandais Paul Kagame et son régime qui profitent d’une sorte de torpeur de la communauté internationale due au génocide des Tutsi de 1994, la présidence du « Punisher » philippin avait été aussi théoriquement marquée par une guerre sanglante ciblant prétendument des malfaiteurs (narcotrafiquants) et fut, de ce fait, massivement soutenue à l’international. Mais dans un cas comme dans l’autre, les plus naïfs ont fini par se dessiller les yeux car, en réalité, ce sont bien plus de 30.000 personnes qui ont été victimes des exécutions extrajudiciaires perpétrées par les commandos de Duterte, selon Amnesty international. «Oubliez les droits de l’homme si je deviens président. Ça va saigner !», avait-il lancé à la cantonade pendant sa campagne électorale, prélude à son avènement à la tête de l’État philippin de 2001 à 2010, puis de 2013 à 2016. Il n’y était pas allé de main morte à l’instar de Paul Kagame qui, assumant sans complexes l’assassinat de certains membres de son propre gouvernement déclarait devant ses partisans que les victimes «étaient mortes parce qu’elles avaient dépassé la ligne rouge».
Tout comme Duterte assimilait exprès les membres de l’opposition politique philippine aux trafiquant de drogues et autres « rebelles communistes » à occire sans procédure d’aucune sorte, Kagame a développé et imposé à plusieurs membres de la communauté internationale un narratif dans lequel ses opposants et ceux qui contestent son hégémonie ou dénoncent ses actes de prédation à l’Est de la RDC sont ipso facto considérés comme génocidaires et/ou ‘‘négationnistes’’ de ce crime commis au Rwanda par des Rwandais en 1994, ce qui justifierait qu’ils soient assassinés.
Plusieurs organisations de défense des droits humains rappellent ainsi qu’à la faveur d’une loi anti-terroriste controversée, la police des Philippines avait abattu 14 paysans et 9 militants de gauche présentés fallacieusement comme des membres d’une rébellion communiste, alors qu’il s’agissait de civils inoffensifs engagés dans des luttes sociales et politiques, sur un ordre de Rodrigo Duterte.
Le nouveau locataire de l’établissement pénitentiaire de la CPI de Scheveningen à La Haye est poursuivi pour avoir personnellement ordonné la mise à mort, ou couvert l’exécution extra-judiciaire, de près de 10.700 personnes. Au moment des faits, ivre de son pouvoir et de son immense popularité, il ne s’en offusquait pas le moins du monde. «Ne remettez pas en question mes politiques. Je n’ai pas d’excuses, pas de prétextes. J’ai fait ce que j’avais à faire et, que vous le croyiez ou non, je l’ai fait pour mon pays», déclarait-il au cours d’une audition au Sénat philippin en octobre 2024. On retrouve la même arrogance et la même insolence méprisante chez le président Paul Kagame, auteur intellectuel d’une hécatombe qui a coûté plusieurs centaines de milliers morts ces trente dernières années. Il a enjoint à ses troupes non seulement d’embastiller ou tuer ses détracteurs au Rwanda ou à l’étranger, mais aussi d’écumer et piller d’autres États de la région des Grands Lacs africains comme la RD Congo depuis le milieu des années ’90. Même dédain pour les droits de l’homme, mêmes crimes contre l’humanité perpétrés avec un cynisme à nul autre pareil depuis le tristement célèbre führer nazi allemand Adolf Hitler.
Le président Paul Kagame, 68 ans, s’est lancé, en toute impunité, jusqu’à ce jour dans une campagne militaire à visée expansionniste depuis janvier 1990, semant sur le sillon du corps expéditionnaire de son armée des milliers de morts et des millions de déplacés internes pour un «Grand Remplacement» qui n’a rien à voir avec les théories complotistes anti-immigration des polémistes français Renaud Camus ou Eric Zemmour. C’est sous les feux de la rampe que les paysans congolais de Rutshuru, Masisi ou Nyiragongo (Nord-Kivu) expérimentent quotidiennement dans des camps insalubres devenus depuis fin janvier des coupe-gorges sous la botte des envahisseurs rwandais et de leurs affidés (collabos) congolais du M23/AFC.
Ayant pris la direction du Front Patriotique Rwandais (FPR), un mouvement rebelle fondé par des exilés rwandais après la mort de son fondateur Fred Rwigema, l’actuel chef de la principauté militaire qui règne sans partage par la force à la tête du Rwanda depuis 1994, avait d’abord entraîné son pays dans une guerre civile atroce, interrompue grâce à la signature des Accords d’Arusha en 1993 avec le président Juvénal Habyarimana. Mais intentionnellement, l’alors major Paul Kagame avait rompu la trêve convenue et était reparti sur le sentier de la guerre pour conquérir le pouvoir par les armes, massacrant au passage des milliers de civils, principalement de l’ethnie majoritaire hutu, selon de récentes révélations d’enquêtes indépendantes. Sur son chemin vers Kigali, il avait multiplié les massacres de masse : des populations fuyant les affrontements furent en maints endroits rassemblées dans des terrains de sports sous prétexte de distribution de vivres avant d’être exterminées à la grenade ou à la machette avant que les corps ne soient jetés dans des fosses communes ou des cours d’eau. Des prêtres catholiques, rwandais, canadiens, espagnols, qui s’en étaient indignés furent eux aussi sommairement exécutés comme Mgr Thadée Nsengiyumva, évêque de Kagbayi, ses deux homologues Mgr Joseph Ruzindana et Mgr Vincent Nsengiyumva assassinés avec 10 prêtres à Gakurazo par un commando du FPR emmené par le colonel (devenu général par la suite) Fred Ibingira sur un ordre direct de Paul Kagame.
C’est dans ces circonstances particulièrement horribles qu’est intervenu le génocide de 1994, au cours duquel près d’un million de civils furent massacrés. Des tutsi principalement mais également des hutu modérés. Ce qui permit à Paul Kagame de s’emparer du pouvoir qu’il conserve jusqu’à ce jour. S’ensuivra une campagne d’extermination des hutu, accusés d’avoir tous commis le génocide des tutsi. Pour d’aucuns, cette campagne punitive que l’on peine encore à chiffrer n’est pas loin d’un second génocide rwandais à l’actif du FPR de Paul Kagame.
Sous prétexte de pourchasser les génocidaires hutu réfugiés en RDC voisine, le dictateur rwandais s’est lancé dans une campagne militaire sur le territoire de son immense voisin en 1996, qui aboutira à la chute du président Mobutu Sese Seko du Zaïre (RDC) en mai 1997. Sur son chemin, comme au Rwanda quelques mois plus tôt, Kagame et ses gros bras ont exterminé en quantités, réfugiés hutu et populations civiles congolaises. Selon des statistiques onusiennes, ce sont quelques 6 millions de personnes qui ont péri directement ou indirectement du fait de cette première agression rwandaise dans l’actuelle République Démocratique du Congo. Depuis lors, l’autocrate rwandais garde sa lourde main meurtrière posée sur le territoire congolais en y entretenant des milices qui tuent, pillent et provoquent des drames humanitaires récurrents dans ce pays voisin, au vu et au su de la bienpensante communauté internationale, trop heureuse de se voir offrir quasiment sans contrepartie les fabuleuses ressources naturelles, notamment minières, de cette partie du pays de Lumumba.
Seulement, tout à une fin. Et les signes des temps, qui se multiplient à une cadence effrénée, indiquent que très bientôt l’heure de rendre compte pour les innombrables et indicibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire congolais va sonner. A l’instar de cette interpellation de Rodrigo Duterte, mardi 11 mars 2025 à l’aéroport de Manille au Philippines, Paul Kagame a peu de chance d’échapper à ses juges naturels.
Jacques Ntshula
(Le Maximum)