Alors que les églises catholique et protestante disent œuvrer pour un «pacte social», l’opinion publique reproche à une partie de la hiérarchie de l’église catholique de verser dans la manipulation. Mercredi 26 février 2025, Mgr Donatien Nshole se serait fait confisquer son passeport par la DGM à l’aéroport de Lubumbashi. Un incident aussitôt condamné «avec la dernière énergie» par l’archevêque de Lubumbashi Fulgence Muteba, président de la CENCO pour qui «ce genre de provocation ne favorise pas la recherche pacifique de la paix et de la cohésion sociale. La DGM Lubumbashi a confisqué le passeport de Mgr Nshole pendant plusieurs heures. Le passeport ne lui a été remis qu’après plusieurs interventions. C’est une provocation que l’église ne peut pas accepter. Nous sommes engagés à rechercher la paix pour notre peuple qui souffre et cette intimidation ne nous décourage pas dans notre quête de trouver une solution pacifique aux problèmes dont le pays est confronté actuellement».
Pourtant, des sources à la Direction générale de migrations (DGM) démentent l’incident. «Pourquoi confisquerait-on le passeport de Mgr Donatien Nshole et laisserait-on celui de Mgr Fulgence Muteba alors qu’ils sont ensemble partout ? Le premier a pris CAA et vient d’atterrir à Kinshasa il y a quelques minutes, et le second, Air Congo. Rien de tout ce qu’il dit n’a posé problème, surtout que Mgr Nshole reste à Kinshasa. Une telle mesure n’aurait pu intervenir qu’à Kinshasa au départ vers une destination à l’étranger. Qui a jamais été obligé de présenter son passeport pour voyager d’un point à un autre à l’intérieur du pays? De tels mensonges venant de pasteurs sont graves !», a déclaré un responsable des services de migration. Dont acte.
Des swahiliphones stigmatisés ?
Par la suite, la «recherche pacifique de la paix et de la cohésion sociale» n’avait pas empêché ces prélats de monter à nouveau au créneau, le 23 février 2025, pour dénoncer «la stigmatisation des swahiliphones». Dans un communiqué signé par Donatien Nshole, ils déclarent en effet qu’«alors que nos frères et sœurs qui vivent dans la partie Est de notre pays, la République Démocratique du Congo, notamment ceux des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, sont sinistrés par les affres de la guerre, nous assistons ces derniers jours à un regain de violences basées sur l’expression linguistique, dans d’autres parties du pays». Selon ces callotes sacrées qui reprennent verbatim le discours de propagande de Paul Kagame pour justifier son agression contre la RDC, en dehors des deux provinces citées, il existerait des violences basées sur l’expression linguistique ciblant des swahiliphones. «Il est plus que malheureux de voir certains congolais stigmatiser d’autres compatriotes parce qu’ils parlent le swahili, pourtant l’une de nos quatre langues nationales aux côtés des innombrables langues locales», bûcheronnent-ils. Avant de condamner et de dénoncer «sévèrement» … «la chasse aux swahiliphones dans la ville-province de Kinshasa et dans certaines autres zones de notre pays».
A ces graves accusations, la CENCO ne daigne apporter aucune preuve. Aucune image, aucun son, en cette période d’inflation de vidéos en tous genres. «La CENCO est d’autant plus indignée de voir certains ‘‘pasteurs’’ ou ‘‘gourous’’ exploiter les tribunes de leurs églises et autres cadres de prédication pour tenir des discours incitant à la discrimination, à la haine et à la violence contre d’autres Congolais en raison de leur origine, de leur langue ou de leur morphologie», se contentent-ils de lancer à la cantonnade. Allusion à une vidéo présentant un pasteur kinois parlant de swahiliphones autres que ceux du Katanga et du Maniema, comme des hypocrites.
CENCO – M23 : Même message
Le message des évêques catholiques n’est pas tombé dans les oreilles de sourds. 24 heures plus tard, Bertrand Bisimwa du M23 publiait un communiqué accusant Kinshasa de «stigmatisation et de chasse à l’homme contre ‘‘le peuple Baswahili’’ (sic!). Après avoir persécuté les Rwandophones en RDC, soumis à la mort et aux actes de cannibalisme, le régime Tshisekedi s’en prend aux Swahiliphones dans les espaces où règne encore la dictature», écrit le chef-terroriste.
Problème : la prédication brandie par le duo Nshole – Muteba pour illustrer la stigmatisation des swahiliphones à Kinshasa remonte en fait à six ans (2019). Et le pasteur Francis Ngawala, le prédicateur en question dont les propos ont été charcutés à dessein, entretenait ses fidèles au sujet du phénomène dit «lien de piété», cher à ces mouvements religieux devenu une sorte d’envoûtement. Rien à voir avec la haine à l’encontre de tel ou tel autre groupe ethnolinguistique.
Selon ce pasteur, il ne fallait «jamais confier la caisse de l’église à un Mongo, mais plutôt à un Kongo car ce dernier ne détournerait même pas un franc». Dans le même semont, il avait critiqué les Nekongo et leur tendance lorsqu’ils ont une responsabilité «à faire toujours entériner leurs actes par quelqu’un d’inférieur. De sorte que si on lui pose la question, il dise qu’il n’en est pas l’auteur». Vient ensuite l’extrait exploité par les deux prélats. «Même à l’église, les gens de l’Est sont d’une hypocrisie incroyable. Les gens qui parlent swahili, à l’exception des Katangais et de ceux du Maniema, ce sont des hypocrites, il vous sourit tout en vous détestant. Au sein de l’église, vous trouverez ce genre de personnes. Pourquoi sont-elles comme ça ? Parce que chez eux les gens sont comme ça», avait déclaré le prédicateur avant de conclure sous un tonnerre d’applaudissements : «C’est ça qu’on appelle un lien. Un lien fait de quelqu’un un prisonnier. C’est tout ce qui se rapporte à quelqu’un …».
C’est cette prédication, saucissonnée pour les besoins de la cause, qui est devenue pour Mgr Nshole et ses amis de la CENCO, une campagne de stigmatisation des swahiliphones hors des territoires occupés par le Rwanda et le M23 en 2025 !
Une vielle prédication de 2019
Plusieurs jours après le communiqué de la CENCO, à l’évidence fondé sur un faux, ainsi que l’ont démontré et dénoncé de nombreuses sources indépendantes, images à l’appui sur les réseaux sociaux, le silence est de mise au sommet de l’église catholique. «Prompte à stigmatiser le pouvoir en place à Kinshasa, la CENCO se montre plus que réticente à dénoncer les tueries et exactions, réelles celles-là, perpétrées par l’armée rwandaise et ses sbires sur les mêmes swahiliphones dans les territoires sous occupation du Kivu», dénonce S. Muhindo, un internaute de Goma. Alors qu’à Kinshasa, une mégapole de plus de 20 millions d’habitants, d’aucuns se demandent où se déroule cette prétendue chasse aux swahiliphones dénoncée par les deux prélats et le président du M23. «Restons dans ta logique quantitative : Combien de cas, protestations, dénonciations et stigmatisations ont été reçus, répertoriés ici même sur X par des locuteurs swahiliphones? Sauf erreur de ma part, notre first lady conjugale, ta chère épouse (avec mes hommages les plus déférents) est d’expression Swahili, combien de membres de sa famille ont-ils été menacés, attaqués à Kin ?», interroge Laurent K. Mavinga, en réponse au posting d’une de ses connaissances qui avait généreusement partagé cette accusation. Des questions auxquelles les princes de l’église ne semblent pas pressés de répondre, préférant le confort intellectuel d’une généralisation abusive qui leur a permis de se servir d’un faux pour amplifier un phénomène imaginaire. Sans doute pour des raisons financièrement motivées…
J.N. AVEC LE MAXIMUM