Dans les territoires de l’Est rd congolais, les phalanges guerrières de Paul Kagame et leurs affidés congolais sont toujours à la manœuvre. Le nombre des morts et des déplacés ne cesse de croître. Les dernières statistiques communiquées par le porte-parole du gouvernement révèlent que l’entrée de l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 a coûté à la ville de Goma plus de 8.000 morts. «5.000 corps ont déjà été enterrés», a-t-il révélé. Alors que Bukavu, occupé par les mêmes troupes il y a quelques jours, pleure déjà quelques 26 corps découverts jusque lundi dernier, selon la Croix-Rouge. Au moins 176 patients ont été pris en charge par l’organisation internationale.
Sur le terrain des affrontements, les agresseurs de la République Démocratique du Congo ont sensiblement progressé dans le Sud-Kivu jusqu’aux abords de la ville d’Uvira. Des sources locales font état de la chute de Kamanyola, le 17 février dans la soirée. Alors que le front du Nord-Kivu au Sud du territoire de Lubero s’est réactivé depuis le 18 février 2025, avec des affrontements signalés sur les axes Mambasa-Ndoluma, Mambasa-Lubango, Mambasa-Mutongo et Bingi-Mutomgo, notamment. Des sources locales ont fait état de l’occupation du village de Kanyambi et d’une partie de Ndoluma par le M23, le 18 février 2025.
Selon les observateurs, tout indique que Kigali ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin, alors que se redessine le schéma de l’occupation du Congo-Kinshasa au cours de la première agression rwando-ougando-burundaise, en 1996. «Je pense que cette fois-ci, d’abord la chute de Goma et aujourd’hui la chute (présumée) de Bukavu montre que ce n’est pas une répétition de ces deux rébellions antérieures. Et on est plutôt dans un scénario du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), la rébellion qui a contrôlé un tiers de la RDC entre 1998 et 2003», estimait Jason Stearns, chercheur auprès du think tank Ebuteli. «Il faut présumer que le M23 ne va pas s’arrêter à Bukavu. Ils ont déjà dit qu’ils vont (qu’ils veulent) continuer vers la plaine de la Ruzizi et peut-être éventuellement prendre la ville d’Uvira et aller au-delà. La chute de Bukavu est une preuve de cette nouvelle réalité», explique-t-il dans une interview à la Deutsche Welle.
Croisade pour le pacte social
Cela n’empêche pas les princes des églises catholique et protestante de la RDC de poursuivre leur croisade pour un hypothétique «pacte social pour la paix et la sécurité en RDC et dans la région», lancée le 12 février 2025 avec une visite, plutôt chahutée dans l’opinion à Goma, la ville martyre sous occupation rwandaise par rebelles M23 interposés. Même si, auparavant, la délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC) avait pris soin d’effectuer des visites auprès d’acteurs politiques kinois, notamment le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi ou les opposants politiques Martin Fayulu, Delly Sessanga et Moïse Katumbi Chapwe.
A Goma, la délégation cléricale a déclaré avoir compris «qu’il y a beaucoup de choses qui pourront être réglées si les Congolais se mettaient autour d’une table», selon Mgr Donatien Nshole après les entretiens avec les terroristes. Le prélat estime en outre, aux antipodes de toutes les analyses des observateurs et experts avertis pour qui cette énième guerre provoquée par le régime rwandais de Paul Kagame à l’Est de la RDC est une guerre économique, que l’AFC et le M23 «ne sont pas dans la dynamique de la balkanisation, ils ne sont pas dans la dynamique de l’exploitation illicite».
Jeudi 13 février, Mgr Nshole et sa suite, «encadrés» par Aimable Havugiyaremye, le chef des services des renseignements, et le Colonel Regis Gatarayiha, chef de la sécurité militaire rwandaise, ont été reçus par le président Paul Kagame.
Si rien n’a filtré de plus de deux heures d’entretien avec le chef de la principauté militaire qui règne sans partage à Kigali, on a appris néanmoins que l’agresseur arrogant et impénitent de la RDC depuis trois décennies «a prêté une oreille à ce que nous lui avons dit», a assuré Mgr Nshole au cours d’une interview sur Top Congo FM à partir de Bruxelles. «C’est nous qui avons demandé l’audience, il nous l’a accordée. A toutes nos questions, il a répondu», a encore expliqué le secrétaire général de la CENCO sans élaborer.
Deux heures d’entretien avec Kagame
Samedi 15 février, la délégation des deux églises dites traditionnelles de la RDC, s’est rendue en Belgique où elle a conféré, dans les mêmes desseins rassembleurs autour du fameux pacte social, avec des opposants congolais réunis au sein du Mouvement radical pour le changement, une nouvelle plateforme politique. Selon Franck Diongo, le ‘‘lumumbiste-katumbiste’’ qui a pris la parole au nom de cette organisation, un cahier de charges réclamant, notamment, la démission du président Tshisekedi et la libération de personnes qu’ils considèrent comme prisonniers politiques (Mike Mukebay, Jacky Ndala) a été présentée aux religieux.
La croisade pour un pacte social en RDC et dans la région s’est également rendue au Kenya où elle a conféré avec le président William Ruto, également président de l’East african community (EAC), avant de s’entretenir avec l’ancien président Uhuru Kenyatta, médiateur dans le processus de Nairobi entre le gouvernement congolais et les groupes armés.
Pour la suite du programme, avant la tenue de 10 jours d’«ateliers citoyens de la Nation», consacrés à des discussions sur les thématiques sur la défense, la justice, l’économie et la cohésion sociale sont entre autres proposées aux participants. On évoque également l’organisation d’un grand forum du consensus national pour définir les compromis du pacte social en même temps qu’à l’initiative de l’archevêque Fulgence Muteba, la délégation de la CENCO et de l’ECC a organisé de cultes œcuméniques à l’intention des populations de Lubumbashi.
Sur le contenu de ces assises, Mgr Nshole ne dit pas grand-chose, se contentant d’expliquer que «nous n’avons rien à proposer. Nous n’avons rien à donner. Nous n’avons rien à dicter. On donne l’opportunité, on propose des termes de réflexion qui pourraient être enrichis ou revus. Notre objectif, c’est amener les uns et les autres à réfléchir sur les différentes causes de la situation actuelle, sur la façon dont les choses doivent être menées prochainement pour qu’on vive en paix en RDC et aussi en paix avec les voisins». Aussi simple que ça.
Des propositions attendues
D’ici là, une synthèse des observations et desiderata des uns et des autres sera effectuée et présentée en primeur au président de la République (dont certains protagonistes réclament néanmoins la démission !), avant d’être présentés aux différentes parties au pacte social et rendue publique. «C’est à la lumière de ces observations que nous allons faire des propositions, et on verra, on va évoluer », explique encore le prélat catholique, plutôt confiant pour la suite des événements.
Seulement, l’évolution de la situation sur le terrain des opérations n’incite guère à l’optimisme, même pour les compatriotes lambda des princes des églises catholique et protestante de la RD Congo. On voit mal, en effet, Paul Kagame et ses sbires, qui dans un passé peu lointain n’avaient pas hésité d’envoyer ad patres les évêques de Kabgayi (Rwanda) et de Bukavu (RDC) renoncer au pactole des ressources minières de la RDC déjà sous leur contrôle et en cours d’occupation pour les beaux yeux de leurs éminences. Kagame est notoirement convaincu que la survie de son régime minoritaire et autoritaire dépend énormément des pillages et des rapines opérées sur le territoire de son riche voisin. Pour mettre un terme à ce circuit d’économie de guerre, il faut plus que réciter le Benedicite, estiment nombre d’observateurs.
Face à une partie prenante au pacte social aussi déterminante que l’agresseur rwandais, les prélats catholiques et protestants se présentent bras et pieds coulés sur la croix, condition pour la réussite de leur mission conciliatrice, selon eux. Ainsi ils s’efforcent d’éluder le problème de l’agression de la RDC et de la nécessité de défendre le pays dans l’approche des protagonistes. «On auras beau le dire, ce n’est pas la solution. Il y a eu plusieurs plaidoyers dans ce sens. Mais maintenant, nous voyons que ce n’est pas productif, il faut tenter autre chose», déclare Mgr Donatien Nshole à une question de nos confrères de Top Congo FM. Même les sanctions internationales contre ce pays agresseur, les prêtres ne veulent pas en entendre parler, parce que «contre-productives» au regard de leurs missions conciliatrices.
Quelle contrepartie pour le Rwanda ?
La question de la contrepartie à proposer à une partie prenante au pacte social qui tient d’autres parties prenantes au même pacte en respect et en joue par sa force militaire sur le terrain se pose avec acuité, quoique semblent s’en cacher Nshole, Senga et Cie. Les incantations, aussi onctueuses soient-elles, autour de la vie en harmonie et l’amour du prochain en RDC et dans la région s’effectuent, de ce point de vue, sous une menace constante. Les assises à convoquer par les églises catholique et protestante de la RDC se tiendront le couteau sur la gorge et le revolver sur la tempe. Et les résultats s’en ressentiront, inéluctablement, puisque de l’aveu de Mgr Nshole lui-même, les terroristes ne sont prêts au dialogue qu’«aux conditions qui sont les leurs », mais qu’il est loisible de deviner. Or, « On ne peut pas considérer qu’en cédant mon téléphone portable de luxe à un voyou armé qui me menace, j’ai conclu un pacte social digne de ce nom avec lui », fait observer au Maximum un universitaire congolais interrogé sur le sujet. A la limite, les conclusions et recommandations des assises envisagées par la CENCO-ECC seront empreintes d’accommodements, voire de soumission à la volonté du plus fort militairement.
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Un aveu de Donatien Nshole lui-même illustre bien ce déséquilibre qui vicie toute la démarche cléricale. Interrogé sur la possibilité d’un dialogue interwandais entre le pouvoir en place à Kigali et les rebelles FDLR sous la facilitation de la conférence épiscopale de ce pays, le secrétaire général de la CENCO rétorque que «là, ce sont leurs problèmes internes». Et lorsqu’on lui fait observer que ces problèmes internes au Rwanda affectent le pacte social à conclure pour mettre fin à une guerre justifiée par la menace desdits FDLR à partir du Congo, le prélat congolais se ravise. « C’est une recommandation qui a vraiment du sens. Ce n’est pas impossible qu’on y arrive. Ce n’est pas qu’on y a pas pensé. On est dans la dynamique de la réflexion, justement », explique-t-il évasivement et sans conviction. Le réflexe de soumission est aussi éclatant que le nez au milieu du visage.
J.N. AVEC LE MAXIMUM