En RDC, tout semble bon pour nuire à un adversaire politique au pouvoir. Y compris la pire des politiques de la terre brûlée. La pratique plonge ses racines assez loin dans l’histoire politique tumultueuse de cet immense pays. Et semble résister à l’usure du temps. Probablement parce que chez les Congolais, l’oralité tient encore une place prépondérante dans la communication et la circulation de l’information.
A Kinshasa comme dans nombre de villes et agglomérations de la RDC, la situation au front dans les territoires de l’Est, où l’armée nationale accumule des revers, cédant aux agresseurs rwandais et à leurs supplétifs du M23 ville après ville, ne laisse pas indifférent. La révolte sourd, à l’évidence, ainsi que l’illustrent des vidéos largués sur les réseaux sociaux, qui présentent des supposés terroristes rwandais surpris dans des cachettes ci et à travers la capitale de la RDC. Ainsi que des scènes de lapidation des suspects, plutôt terrifiante.
Les rumeurs sur la présence des terroristes rwandais à Kinshasa ont tôt fait, invraisemblablement, de se propager auprès du kinois lambda. L’affaire devenait sérieuse, compte tenu des risques de débordement de cette chasse aux sorcières insufllée par les images des atrocités répandues par les agresseurs dans les zones conquises.
Aucun militaire rwandais à Kinshasa
Mercredi 19 février 2025, le général-major Stasin Kizimu Mbuyu, commandant de la 14ème Région militaire, s’est vu obligé de mettre le holà à la psychose qui prenait des proportions inquiétantes, et rétablir la vérité. «Aucun militaire rwandais, ni membre du mouvement terroriste M23 n’a été arrêté à Kinshasa», a-t-il indiqué dans un communiqué. Tout en prenant soin d’assurer les kinois du fait que «toutes les dispositions sont prises pour la sécurisation de la capitale».
Seulement, la psychose autour de la présence supposée de terroristes rwandais à Kinshasa et ses environs ne s’arrête pas à cet aspect militaire. Sur les réseaux sociaux et divers autres moyens de communication, des individus connus pour leur proximité avec Kigali ont, eux aussi, tôt fait de convertir la chasse aux terroristes rwandais, pourtant clairement désignés comme tels par des foules en furie à Kinshasa, en «chasse aux swahiliphones dans la capitale». Or, c’est connu en la matière, plus une rumeur est invraisemblable, plus elle se propage.
Côté Congolais, outre des influenceurs notoirement proches de Ensemble pour la République du «Katangais» Moïse Katumbi Chapwe, des cadres influents du parti se sont mêlés de la diffusion de l’intox sur une supposée vindicte organisée contre les swahiliphones à Kinshasa. A l’instar de Me Hervé Diakiese, porte-parole du parti. «La chasse aux swahiliphones que certains veulent créer à Kinshasa rappelle furieusement un scénario qui a eu lieu lors des affrontements post-électoraux de 2006. Ceux qui veulent recycler ce scénario doivent savoir que la justice pénale internationale aura tous les témoignages», a posté mardi 18 février, cet ancien candidat malheureux à la présidence de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour le compte de l’église catholique. Mal lui en a pris. De nombreuses réactions révoltées de kinois ont aussitôt inondé le compte X de l’influenceur.
Winner, embouteillages, nos préoccupations comme kinois
A l’instar de celle de Laurent K. Mavinga, écrivain et sociologue unanimement apprécié sur la toile pour ses descriptions de la vie du kinois lambda. «Cher Me Hervé Diakiese, suis à Kin et suis kinois. Pardon… je n’ai vu ni entendu dans les nganda ou parkins de bus, véritables forums citoyens du vrai Congo à Kin, ces imputations. Il s’agirait là encore de perceptions, préjugés, phobies ou épiphénomènes des intellos. Je répète, le kinois n’est point tribal ni extrémiste, sauf dans nos kinoiseries (Lidobi, un peu de naïveté et nos Matolos chroniques). Mais de là à faire la chasse aux autres Congolais, Mbadi … cherchons ça ailleurs ! Pour l’instant, nos préoccupations comme kinois eza Winner, embouteillages, et le nombre de nos généraux qui fuient l’ennemi. Kin eza multivers. Si chasses de swahiliphones y aurait, c’est entre les masters et les PHD. Biso ba jour le jour te! Ce discours est dangereux et une présomption Kinbashing», a-t-il posté sur son compte X, après de nombreux autres kinois qui partagent cet avis, le 19 février 2025.
Au moment où Le Maximum mettait sous presse, jeudi 20 février 25, la rumeur sur la prétendue chasse aux swahiliphones à Kinshasa semble évanouie, comme par enchantement. Parce qu’elle ne pouvait tenir la route durablement. Dans la capitale kinoise cohabitent, entre autres, les sympathisants de Martin Fayulu, candidat malheureux à deux élections présidentielles de suite, tous plus ou moins proches de son Bandundu natal et ceux du vainqueur, à deux reprises de la même joute présidendielle, Félix Tshisekedi. Les plus bruyants d’entre eux sont kasaiens. «Une chasse aux swahiliphones dans la capitale suppose au préalable une réconciliation et une alliance entre ces deux groupes antagonistes. Elles sont impossibles en ces moments», explique au Maximum un analyste politique.
Les rumeurs sur la chasse aux swahiliphones à Kinshasa semblent donc relever de la pure désinformation, distillée pour opposer les Congolais et déstabiliser le pays. Dans la région des Grands Lacs, c’est au Rwanda que vont les lauriers de l’art de désinformer et d’attiser les haines sur la base d’appartenances ethniques, ainsi qu’en témoigne le tristement célèbre génocide de 1994.
J.N. AVEC LE MAXIMUM