Après Goma, occupé par l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 fin janvier, Bukavu, le chef-lieu du Sud-Kivu est tombé le 16 février 2025. Aux dernières, nouvelles, les agresseurs s’approchaient d’Uvira, une autre importante ville de la même province. Alors que le front de Lubero au Nord-Kivu, qui donne sur les villes de Butembo et de Beni, s’est subitement ranimé. Kigali ne cache plus son intention de quadriller une partie de la RDC voisine qui lui a toujours échu depuis trois décennies.
Dans les territoires de l’Est rd congolais, où les guerres d’agression du voisin rwandais se répètent avec la régularité d’une horloge suisse, le scénario est toujours le même : Kigali attaque par ses proxys, AFDL, RCD/Goma, CNDP, M23… massacre des populations civiles à la pelle, provoque catastrophe sur catastrophe humanitaire. Des négociations s’ensuivent qui instaurent une paix précaire. En attendant la prochaine flambée de violences armées.
Mais à force de répétitions, la vérité finit par s’imposer à tous. Sur le plateau d’une chaîne de télévision ayant pignon sur rue à Kinshasa, Muhindo Nzangi Butondo, un élu de Goma devenu ministre du gouvernement Tshisekedi dénoue l’énigme. «Moi, je suis député du Nord-Kivu. S’il y a des gens qui ont connu la guerre depuis 2006, moi j’en fais partie», narre-t-il, l’air d’autant plus sérieux qu’il dit vrai. Muhindo Nzangi, c’est cet irréductible opposant au régime Joseph Kabila, qui s’était illustré en son temps en appelant les jeunes de Goma à attaquer le Rwanda. Le 13 août 2013, le député fut interpellé, jugé et condamné pour «atteinte à la sûreté de l’Etat» pour avoir tenu des propos incitant à la violence, entre autres. Devant les caméras de Bosolo na Politik, il ne dément pas cette réputation de baroudeur qui lui colle à la peau. «La guerre, ce n’est pas une chose facile, ce n’est pas un film de Rambo. C’est quelque chose qui se prépare pendant longtemps», explique-t-il, quelques jours après la chute de son Goma natal. Le ministre du Développement rural, également connu pour avoir été à l’initiative de l’enrôlement des jeunes dans l’armée, et notamment, des étudiants alors qu’il était ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire explique le fond du problème rwandais. Le problème de l’insécurité chronique de toute la partie Est de la RDC. Ces arguments ne manquent pas de pertinence, loin s’en faut.
Muhindo crève l’abcès
«Et vous le savez, en 2017, on avait la guerre du CNDP. On l’a terminée par l’Accord du 23 mars. Avec l’Accord du 23 mars, Bosco Ntaganda est devenu le N° 2 de la région militaire à Goma. Ça veut dire, en des termes très clairs, que le Rwanda a établi en RDC depuis 1996, deux couloirs. Le 1er s’appelle le couloir sécuritaire, le 2è s’appelle le couloir économique. Le couloir sécuritaire, c’est que depuis 1995-96, c’est le Rwanda qui contrôle militairement à travers des militaires congolais la bande Est de la RDC en se créant ce qu’il appelle le couloir militaire à l’intérieur de la RDC. Ça veut dire que pour qu’un ennemi entre au Rwanda, il doit déjà affronter le Rwanda au Congo. Tous les accords qui ont été signés avec le Rwanda avaient comme soubassement de lui céder ce couloir militaire. Ça veut dire que pour qu’on soit nommé commandant à Goma, Rutshuru, Bukavu, il faut que Kagame soit d’accord. Ce sont les accords qu’on a signés avec le CNDP, les Accords du 23 mars, les Actes d’engagement, les accords qui ont abouti au mixage ou au brassage …n’avaient comme objectif que ces gens-là demeurent là-bas, dans ce qu’il appelle lui-même sa zone d’influence. Il y a ensuite, le couloir économique, qui est en fait l’objectif de ce couloir sécuritaire. Il veut contrôler, en fait, militairement le couloir de l’Est pour s’approvisionner. Aujourd’hui, le Rwanda produit plus d’or que nous, le Rwanda produit plus de coltan que nous. Ça va plus loin, ce que les gens regardent, ce n’est pas ça la vérité. Ils ont des ramifications jusque dans les mines du Katanga», révèle Muhindo Nzangi.
Occupation des territoires de la RDC
Car, il s’agit bien de révélations, pour la plupart de ses compatriotes. Ceux de l’Ouest, particulièrement, qui avaient du mal à expliquer l’acharnement de Paul Kagame contre une partie de leur pays. Aussi étonnant que cela paraisse, en effet, aucun des acteurs politique rd congolais n’a jamais présenté le problème rwandais sous cet angle-là. Depuis 2006, année de l’organisation des premières élections libres, transparentes et démocratiques du pays de Lumumba de l’après Mobutu, et même avant, aucun mot sur cet aspect des soucis de Paul Kagame et du Rwanda. Ni de la part des dizaines des candidats à la présidence de la République qui se sont disputé le top jog en RDC à quatre reprises (2006-2012-2018-2023). Ni de la part des candidats députés dont 2000 (500 députés x 4 législatures) ont réussi à arracher les suffrages requis pour plastronner au parlement à Kinshasa.
Le problème qui oppose Kinshasa à Kigali est pourtant le même depuis la première agression rwandaise du pays de Lumumba en 1996 : l’occupation plus ou moins larvée de pans entiers du territoire national. «Ça veut dire que résoudre le problème tel que Kagame le veut, c’est accepter de mettre le Congo à genoux pour que le Congo accepte de renouveler le contrat qui consiste à lui accorder les couloirs économiques et militaires. C’est ce que le président a refusé. Le président a dit non», déclare encore Muhindo Nzangi, pour expliquer la guerre en cours dans la même région et sa cohorte de drames humains.
«Les gens ne comprennent pas quand il (le président de la République, ndlr) dit je ne négocierai pas avec ces pantins. Ça veut dire, que même s’il parle avec eux, le M23 va être en fait la partie visible du Rwanda en RDC et l’accord sera le même : c’est-à-dire, ils vont dire nous allons rester ici pour protéger les nôtres. En fait, en dessous des cartes, ça veut dire, c’est nous qui allons sécuriser la frontière entre le Rwanda et la RDC».
Couloirs sécuritaires et économiques pour Kigali
En RDC, l’histoire a donc la fâcheuse tendance à se répéter. Plus de 7.000 morts pour dompter Goma fin janvier dernier ? «Le Rwanda essaie de pousser pour l’amener à dire … que je peux vous accorder momentanément ce que vous demandez. Ce sont des moyens de pression que le Rwanda utilise pour contraindre le président à accepter ce que Kabila avait accepté : les deux couloirs, économique et sécuritaire», conclut l’actuel ministre du Développement rural. Plusieurs jours après cette interview tonitruante, personne dans la classe politique congolaise n’a encore osé contredire le ministre de Tshisekedi. Probablement parce que la vérité crève les yeux.
Restent les conséquences à tirer de ces révélations pour le moins fracassantes. Particulièrement, sur le plan militaire, où elles expliquent les déboires de l’armée congolaise depuis des décennies. Puisque ne pouvaient être nommés dans la région que des officiers ayant reçu la bénédiction de l’agresseur rwandais. La liste est longue et révélatrice à donner froid dans le dos. Jusqu’à la nomination à la tête de province du Nord-Kivu, le 4 mai 2021, de Constant Ndima Kongba. Mais le général ex-FAZ et ex-MLC n’y demeurera que jusqu’en septembre 2023, emporté par une bien curieuse affaire des massacres des adeptes d’une encore plus curieuse secte religieuse. En réalité, Kagame n’en a jamais voulu, se lâchent des sources aujourd’hui, confortées par les déclarations de Muhindo Nzangi.
L’état de siège, un casus belli
Couloirs sécuritaire et économique revendiqués par Kagame, sous des prétextes aussi divers que fallacieux, ci-git le vrai problème rwandais en RDC. Qui explique en grande partie, selon des observateurs, les déboires de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, décrété le 3 mai 2021 par le président Tshisekedi. Un véritable casus belli, puisqu’il englobait ce que Kagame tient pour son pré-carré, auquel s’ajoutait la conclusion d’accords de construction de routes entre Tshisekedi et Museveni (Kasindi-Beni, Beni-Butembo, Butembo-Bunagana), le 16 juin de la même année. Le nouveau chef d’Etat de la RDC, issu de l’opposition interne non armée, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. A la différence de son prédécesseur, Joseph Kabila, qui semble s’être plus ou moins accommodé de cette occupation larvée mais réelle d’une partie du territoire national de la RDC.
Mais Joseph Kabila n’est pas le seul à s’accommoder des exigences expansionnistes et pillardes de son voisin rwandais. Dans la classe politique congolaise, toutes tendances confondues, tous ou presque savaient que rien de durable ne pouvait se décider sans passer par Kigali. Qu’il valait donc mieux s’assurer les attentions de Paul Kagame si on convoitait des hautes fonctions politiques, y compris le sommet de l’Etat. Tous étaient complices.
J.N. AVEC LE MAXIMUM