Fortunes diverses pour le pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble, initié par les hiérarchies des églises catholique et protestante en RDC. Présenté à l’opinion le 15 janvier 2025 à Kinshasa, le projet se laisse laborieusement appréhender par le destinataire par excellence, la population, qui le perçoit comme une proposition de dialogue politique. Un de plus dans ce pays en guerre depuis 30 ans. Tandis que la classe politique se montre plus que réservée et divisée sur l’initiative de calotins réputés pour leur parti pris.
Ces dernières 24 heures, l’affaire a paru plutôt mal engagée. Depuis, notamment, que le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a quasiment jeté l’opprobre sur l’œuvre cléricale présentée comme une réponse à un appel du président de la République. «La proposition d’un pacte social pour la paix formulée par les évêques catholiques et les pasteurs de l’Eglise du Christ au Congo n’engage en rien le chef de l’Etat et ne découle d’aucun mandat qui leur aurait été confié par ce dernier», a tranché le ministre de la Communication et Médias, le 10 février 2025, au cours d’un briefing de presse.
Depuis lors, les chevaux se sont, pour ainsi dire, déchaînés. Dans le camp présidentiel particulièrement, où de plus en plus des voix s’élèvent pour tirer à boulets de canons sur l’initiative des princes des églises dites traditionnelles de la RDC.
Mercredi 12 février 2025, l’Union sacrée de la Nation (USN), la plateforme présidentielle, a publié un communiqué dénonçant une initiative qui n’a pas attendu la position finale du président de la République avant de lancer le projet. «Le fameux ‘Pacte social’ proposé par certains est une initiative individuelle de ceux qui avaient déjà pris d’autres contacts ailleurs et qui n’ont pas attendu la position finale du Garant de la Nation. Par conséquent, ce projet n’engage ni l’USN ni sa haute autorité politique», lit-on dans ce texte.
Chef-d’œuvre d’hypocrisie politique
Un jour plus tôt, mardi 11 février, le parti présidentiel, l’UDPS/Tshisekedi, avait clamé son opposition au projet des calotins parce qu’il tend à «organiser des négociations politiques en dehors des processus de Luanda et de Nairobi».
La réaction la plus virulente contre le pacte social proposé par les princes des églises catholique et protestante de la RDC est venue du Centre, un mouvement politique dirigé par Germain Kambinga, un ancien du MLC de Jean-Pierre Bemba et du PPRD de Joseph Kabila. «Un chef-d’œuvre d’hypocrisie politique se construit devant nous, nous fait désespérer de la conscience citoyenne de la société congolaise», dénonce-t-il. «Nos troupes engagées dans les combats seront-elles plus motivées, mieux équipées, plus enclines à vaincre, si les politiciens à Kinshasa se mettaient autour d’une table, formaient un nouveau gouvernement d’union nationale, se répartissaient des postes au sein des entreprises du portefeuille de l’Etat ?», interroge cet ancien ministre de l’Industrie.Germain Kambinga ne s’arrête pas en si bon chemin. «Quand est-ce qu’il y a eu un dialogue inter-ukrainien pendant l’attaque de la Russie, ou de dialogue inter-koweitien pendant l’attaque de l’Irak. Ou, plus récemment, dans le conflit opposant les Palestiniens à Israël, où on a d’un côté le Fatah, et de l’autre, le Hamas ; quand est-ce, plutôt que de se défendre ou de défendre leur dignité, a-t-on vu les Palestiniens chercher avant toute chose à faire un dialogue inter-palestinien entre le Hamas et le Fatah ?», interroge-t-il encore à haute voix.
Dans la classe politique en RDC, seuls des partis politiques de l’opposition, notamment l’Ecidé de Martin Fayulu, l’Envol de Delly Sessanga et Ensemble pour la République de Moïse Katumbi ont saisi la perche du dialogue tendue par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Eglise du christ au Congo (ECC).
Mercredi 12 février, le tandem CENCO-ECC a fait sensation et suscité une immense controverse dans l’opinion en effectuant le déplacement de la ville de Goma martyrisée où elle a conféré avec la direction de l’AFC/M23 de Corneille Nangaa. «Imaginons un instant que les évêques du Rwanda traversant la frontière pour venir discuter avec les FDLR, puis retournant tranquillement à Kigali… Mais en tant que peuple, nous avons assez toléré. Il est temps de se le dire clairement…», réagissait William Kande, un internaute choqué par ce que de nombreux Congolais considèrent comme une traîtrise. Sans pour autant décourager les princes des églises traditionnelles congolaises. «On peut s’engager à trouver une solution pacifique le plus tôt possible pour que la guerre s’arrête», a déclaré Mgr Donatien Nshole, le secrétaire général de la CENCO, à la presse.
Sur fond de tricherie
Force est, cependant, de constater que l’affaire, engagée sur fond de tricherie, en offusque plus d’un dans l’opinion en RDC. Tout s’est passé comme si les calotins avaient tenté de «fourguer» malicieusement leur création terrestre, pourtant déjà présentée à l’opinion plusieurs semaines plus tôt, au président de la République. Notamment, en soutenant que l’initiative était une réponse à son appel à participer à l’édification d’une société pacifiée en RDC, et en annonçant que « le chef de l’Etat a apprécié l’initiative» (Pasteur Eric Senga).
A l’examen, le pacte social lancé dans la foulée de la proclamation de l’année 2025 comme «année de la paix et du bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs», le 15 janvier 2025 à Kinshasa paraît plutôt inspiré par le narratif rwandais sur la pacification de la région, selon des observateurs.
La feuille de route publiée à cet effet par les princes des églises catholique et protestante («Feuille de route du ‘Pacte social pour le bien vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs’») semble éclairante. Cette initiative, qui vise l’instauration d’un véritable pacte social «permettra à l’Afrique de s’affranchir des conflits politiques et armés pour s’inscrire dans la logique de la fraternité mondiale des peuples, des communautés et des Nations, promouvant ainsi le modèle de l’Etat de droit démocratique stable et solide dans nos différents pays», argue-t-elle.
Les postulats conçus par les calotins concourent, manifestement, à l’idéal d’une région des Grands Lacs fondée sur «les valeurs sociologiques et spirituelles du Bumuntu pour construire la paix durable et le bien-vivre ensemble en RDC et dans la région» ; «le consensus et la palabre pour trouver des solutions idoines aux causes profondes à la base des conflits politiques et armés qui endeuillent interminablement la RD Congo et ensanglantent la sous-région des Grands Lacs » ; un travail d’influence « sur les dirigeants politiques de l’Afrique en général et de la région des Grands Lacs en particulier à adhérer à cette initiative socio-spirituelle pour faire cesser les bruits des armes dans notre continent et à construire des partenariats bilatéraux et multilatéraux pour notre développement intégral et durable (business for peace), mettant fin à l’exploitation illicite des ressources naturelles en RDC et aux conflits armés dans la région des Grands Lacs».
Pacte social sans repères frontaliers
Fait remarquable, relevé par des observateurs, l’absence criante de toute allusion ou référence aux limites frontalières héritées de la colonisation, qui permettent l’identification de chaque Etat, des populations et des droits acquis à cet égard. Elle fait du pacte social des catholiques et des protestants un pacte sans patrie au profit d’une Nation unique dont les contours seraient tracés par la région des Grands Lacs.
Les initiateurs de l’appel à considérer l’année 2025 comme une année de la paix et du bien-vivre ensemble en RDC et dans les Grands Lacs envisagent ainsi la tenue d’une «Conférence Internationale pour la Paix, le Co-Développement et le Bien-Vivre ensemble dans les Grands Lacs», qu’ils estiment «nécessaire pour mettre fin aux conflits transfrontaliers».
Seulement, les idéaux socio-politiques du Cardinal Ambongo et de Mgr Bokundoa et leurs acolytes, au propre comme au figuré, ne sont guère différents de ceux professés par Kagame (Paul) à l’appui de sa cavalcade sanglante et meurtrière dans la région. «Paul Kagame rêve de reconstituer les frontières fantasmées d’un royaume conquérant qui n’est plus mais qu’il veut ressusciter», écrit à ce sujet J.F. Le Drian, un essayiste très actif sur les réseaux sociaux. Illustration parfaite, le 15 avril 2023 à Cotonou (Bénin), à l’occasion de sa visite dans ce pays, le président rwandais a remis en cause la légitimité des frontières entre le Rwanda et la RDC héritées de la période coloniale. L’hostilité affichée par Paul Kagame à l’égard de certains pays occidentaux, la France particulièrement, ses déclarations fracassantes et les ruptures intempestives des relations diplomatiques avec ce pays ont donné du chef de la principauté militaire installée (par les puissances occidentales !) à Kigali l’image d’un panafricaniste progressiste soucieux des intérêts du continent africain. C’est pourtant le même Kagame qui, en 2011, alors que toute l’Union Africaine proposait une solution négociée en Libye, avait crânement soutenu l’intervention occidentale qui a provoqué la chute et l’assassinat de Mouammar Kadhafi, ainsi que le chaos indescriptible dans ce pays et dans la région, qui perdure encore de nos jours.
Le président rwandais se nourrit ainsi d’un panafricanisme de son cru, qui consiste à promouvoir des «solutions africaines aux problèmes africains». Juste pour éviter l’interventionnisme occidental sur les inévitables conflits frontaliers charriés par l’expansionnisme de son pays, enfermé dans de si étroites frontières. Quand bien même il est connu et admis que le panafricanisme, c’est avant tout la solidarité africaine, pas l’agression et l’extermination des Africains par les Rwandais.
J.N. AVEC LE MAXIMUM