Dans le conflit armé qui endeuille l’Est de la RDC du fait des agressions répétées de l’armée rwandaise, la prise de la ville de Goma par les troupes régulières RDF, le 27 janvier 2O25, fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Même si elle n’est pas encore résolument passée à l’action, comme il y a 13 ans lorsque la même ville fut assaillie et occupée par les rebelles du M23 soutenus par Kigali, la communauté internationale hausse sensiblement le ton et multiplie les menaces de sanctions contre le régime en place au Rwanda.
Cependant, entre 2012 et 2025, Paul Kagame a pris le temps de se ménager une armure de protection en essayant de diversifier les sources de revenus pour son pays et ainsi, de réduire sa dépendance vis-à-vis des financements extérieurs. Conscient des risques encourus en raison de sa politique expansionniste et belliqueuse, le chef de l’Etat rwandais n’en donne pas moins l’air de vouloir tenir tête à ses mentors occidentaux. Dans une interview publiée par Jeune Afrique, mercredi 12 février 2025, Paul Kagame n’y va pas avec le dos de la cuillère. «Des pays, dont certains font partie du problème en tant qu’anciens colonisateurs – la Belgique, l’Allemagne -, me menacent de sanctions parce que je me défends. Et ils pensent m’intimider ? Soyons clairs : si je dois choisir entre faire face à une menace existentielle et être confronté à des sanctions, je prendrai les armes pour affronter la menace existentielle, sans tenir compte des sanctions», déclare-t-il.
Risque de contrecoup économique
Pourtant, le risque qu’encourt son régime est incontestable. A en croire l’agence américaine Bloomberg, le 11 février courant, le Rwanda risque de subir un contrecoup économique en raison de son soutien aux rebelles qui sévissent dans l’Est de la RDC. Une éventuelle perte de l’aide concessionnelle ralentirait la croissance du pays, déjà lourdement endetté. La source rapporte que la semaine dernière, le FMI et S&P Global Ratings ont tiré la sonnette d’alarme sur le coût financier d’une crise prolongée pour le pays, alors que les principaux donateurs, dont le Royaume Uni, menacent de suspendre plus d’un demi-milliard USD d’aide au pays des Mille collines.
Alors qu’il avoue à Jeune Afrique qu’il «espère qu’un jour, quelqu’un finira par voir les choses telles qu’elles sont réellement et que, peut-être, l’administration Trump les verra ainsi», il semble que Paul Kagame doive d’abord voire les choses telles que tout le monde les voit, désormais, en commençant par les Américains qui l’ont porté à bout de bras jusqu’ici. Parce qu’à la toute puissante Commission des affaires étrangères de la chambre des représentants, Brian Mast, son président, estime que «la stabilité (à l’Est de la RDC, ndlr) est dans l’intérêt de toute la région et des Etats-Unis». L’élu républicain l’a affirmé mercredi 12 février sur le compte officiel de la Commission, après un entretien téléphonique avec le président Félix Tshisekedi, le chef d’Etat de la RDC voisine devenu une véritable bête noire pour Kigali.
Image de marque ternie
Même l’image de marque du régime, entretenue à grands renforts de publicités, (notamment dans le domaine du sport), pour s’assurer de substantiels revenus touristiques, semble menacée. A la suite d’une plainte en bonne et due forme de la RDC auprès des principaux sponsors du Rwanda et d’organisateurs d’événements sportifs, la célèbre Formule 1 semble hésiter à organiser la compétition de course automobile dans le cadre du championnat du monde de la F1 prévue depuis quelques mois à Kigali.
Selon des sources citées par nos confrères de la BBC, «les perspectives d’une course au Rwanda ont diminué en raison d’un certain nombre de facteurs, notamment le conflit en RDC». Et ce, malgré les dépenses onéreuses engagées par le Rwanda pour abriter l’événement sportif. Une piste ultramoderne est en cours de construction aux normes de la F1 à proximité du nouvel aéroport de Bugesera à Kigali, conçue par l’ancien pilote Benetton, Alexander Wurz, rapporte BBC.
Le 12 février à Bruxelles, la situation sécuritaire à l’Est de la RDC a constitué l’unique point à l’ordre du jour de la réunion des directeurs de l’UE Afrique. Elle a exigé la fin des «avancées militaires du M23 soutenu par le Rwanda» et une «solution politique à ce conflit qui cause des souffrances humaines indescriptibles ».
Le 4 février 2025, les députés Verts Européens, Majdouline Sbai, Sara Matthieu, Saska Briemont, David Cormand, Melissa Camara et Marie-Toussaint (Verts/ALE) ont demandé à la Commission d’imposer un embargo immédiat sur les minéraux étiquetés comme rwandais, afin de faire pression sur le Rwanda et de le contraindre à retirer ses troupes de la RDC et à mettre un terme à son soutien au M23. Mais aussi et surtout, de suspendre le Mémorandum sur les minerais stratégiques conclu entre l’UE et le Rwanda en février 2024 ainsi que tous les projets stratégiques existants ou futurs dans le cadre de la loi sur les matières premières critiques impliquant le Rwanda.
Les élus européens exigent également de conditionner la poursuite de la coopération avec le Rwanda sur les matières premières critiques à son adhésion à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE).
Embargo sur les minéraux
Le 30 janvier 2025, soit 3 jours après la prise de Goma par les forces spéciales RDF, les députés européens ont discuté des derniers développements de la situation en RDC et appelé à une action urgente pour protéger les civils. Au terme de cette réunion à laquelle avaient également pris part Johan Borgstram, représentant spécial de l’UE pour les Grands Lacs, et Bintou Keita, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU et cheffe de la MONUSCO, les eurodéputés ont déclaré que «compte tenu des preuves flagrantes que le Rwanda est impliqué dans le soutien aux rebelles du M23 dans l’Est du Congo, l’adoption des mesures urgentes par l’UE est nécessaire, y compris des sanctions ciblées, le gel de l’aide au développement de l’UE et la suspension immédiate du protocole d’accord sur les chaînes de valeur des matières premières durables avec le Rwanda».
Même si Paul Kagame s’efforce de se donner une contenance, les effets de ce désamour de la communauté internationale, y compris africaine, sur l’image de marque de son pouvoir se font douloureusement sentir. Mercredi 12 février, le Rwanda a essuyé une défaite cuisante dans sa tentative d’obtenir un siège au Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPSUA). Au dernier tour du scrutin, Kigali n’a récolté qu’une seule voix, la sienne. Alors qu’un pays comme l’Ethiopie a arraché le siège convoité avec la bagatelle de 28 voix, contre 10 voix pour la Somalie, un autre concurrent. Signes des temps ?
J.N. AVEC LE MAXIMUM