Depuis l’annonce par le président Félix Tshisekedi, le 23 octobre 2024 à Kisangani, de l’avènement d’une constitution adaptée aux réalités du pays, les débats font rage parmi les acteurs politiques et dans l’opinion congolaise, entre adversaires et partisans de la révision ou du changement de la loi fondamentale. L’opposition, farouchement opposée aux desseins présidentiels, multiplie les sorties médiatiques et les manifestants pour contrer le projet, qualifié de tous les noms d’oiseaux. Alors que la majorité, à la suite de son «autorité morale», refuse de s’en laisser conter. L’évolution des débats indiquent, néanmoins, que l’obstruction de forme et de principe à toute idée de modification ou de changement de la constitution de 2006 est soumise à rude épreuve à des propositions de modification qui allèchent.
Même s’ils évoluent à s’unir pour faire face à la majorité au pouvoir, les acteurs politiques de l’opposition politique congolaise ne dorment pas sur leurs lauriers. A l’instar du porte-parole de Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu, qui multiplie déclarations et tweets hostiles à toute modification ou changement constitutionnel. Sans pour autant trop se hasarder sur le contenu de la loi fondamentale, qui prévoit les mécanismes de sa modification, et ne saurait donc être raisonnablement alléguée pour s’opposer au projet tshisekediste. L’ancien speaker de l’Assemblée nationale sous Joseph Kabila se voit ainsi parfois contraint à recourir à un argumentaire à la limite du rationnel. «Dans sa volonté de changement de la constitution, Félix Tshisekedi veut étouffer la résistance qui grandit à travers le pays. Incapable de soutenir un argumentaire solide pour justifier la nécessité de changer la Loi fondamentale, tout indique que le chef de l’Etat semble prêt à embraser la nation. Les rapports en provenance de plusieurs communes de Kinshasa signalent la distribution de machettes aux membres de la milice du parti présidentiel. Ces informations corroborent une vidéo virale montrant la mise à disposition d’uniformes militaires aux extrémistes recrutés au sein d’une même communauté. En réalité, le pays se trouve aux portes d’une guerre civile. La RD Congo risque de se transformer en un véritable brasier. Il est à craindre que les tragédies oubliées des années 90 du Libéria et du Sierra Leone ne resurgissent au coeur du Continent en raison de l’irresponsabilité et de la cupidité du pouvoir en place. Sous l’influence des Tshisekedi, Kabuya et de leurs acolytes, il ne faudrait pas être surpris de voir apparaître, sous une forme ou une autre, des figures congolaises similaires aux sinistres Charles Taylor, Prince Johnson, Foday Sankoh ou Sam Bockarie, envoyées pour terroriser les populations civiles. Cette politique de la terre brûlée doit être dénoncée avant qu’il ne soit trop tard….», écrit-il dans un tweet rageur et apocalyptique, le 2 décembre 2024.
Opposition de principe et stérile
C’est cette opposition de principe que l’on retrouve chez la plupart des ténors de l’opposition politique congolaise. Alors qu’il multiplie les campagnes de sensibilisation contre la révision ou le changement de la constitution en vigueur en RDC, l’Envol Delly Sessanga, désormais à la tête du Sursaut national, une nouvelle organisation qui regroupe des leaders de partis politiques sans grande envergure et quelques organisations de la société civile, ne se prive pas de sorties médiatiques. Dans une vidéo passablement diffusée sur les réseaux sociaux, le 3 décembre 2024, le candidat malheureux aux dernières élections présidentielle et législative s’attaque aux motivations qui ont guidé l’initiative présidentielle. «Vouloir rédiger une nouvelle constitution qui serait adaptée à nos réalités, comme le prétendent les tenants du changement, conduira tout droit notre pays vers la dictature», avance-t-il en Lingala et pour mieux se faire comprendre de l’opinion, Sessanga explique que l’idée d’une constitution rédigée par des étrangers, avancée par Félix Tshisekedi, ne tient pas la route. «Aucune des tribus congolaises n’avait de constitution écrite. La constitution est une idée inspirée des étrangers. Parler d’une constitution conforme à nos réalités renverrait donc à des réalités enfouies dans la pensée d’un homme et non pas de tous : c’est se concocter un système dictatorial, à l’instar de l’authenticité de Mobutu. On sait où cela nous a menés», explique le président d’Envol.
Autre leader de l’opposition, même opposition de principe à l’idée de changement constitutionnel. En séjour en Europe, Martin Fayulu, également candidat malheureux à la dernière présidentielle, s’est fait inviter chez nos confrères de France24, mardi 3 décembre 2024.
Au cours d’une prestation manifestement assez peu élaborée, le président de l’Ecidé a notamment déclaré que «M. Felix Tshisekedi est en train de commettre une haute trahison, conformément à l’article 165 de notre constitution. L’article 64, alinéa 2, est sans ambiguïté : toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat. La nation ne se laissera pas faire. Il faut qu’il (Tshisekedi, Ndlr) garde dans sa tête que les autres ont essayé avant lui de changer la constitution mais ils n’ont pas pu. C’est compris par tous les Congolais que personne ne peut changer la constitution. Les Congolais ont compris qu’il (Tshisekedi, Ndlrl) n’avait rien à offrir… ».
13 étrangers sur 21 rédacteurs
Dans le camp des partisans de la modification ou du changement constitutionnel, les répliques ne font pas défaut. A l’instar de celle de Dieudonné Nkishi, secrétaire général de «Les Progressistes», un regroupement politique dirigé par l’ancien 1er ministre Samy Badibanga qui appelle Delly Sessanga à se demander pourquoi «la rédaction de la constitution des Congolais devrait faire intervenir 13 étrangers sur 21 rédacteurs et stigmatise le fait de se limiter à rechercher un consensus entre belligérants par le partage du pouvoir, ignorant complètement le peuple désormais remplacé par les belligérants et les politiciens sans légitimité au moment des faits». De même qu’il rappelle que « tous les belligérants étaient soutenus (militairement, financièrement et politiquement) chacun par un pays étranger dont vous n’allez quand même pas dire qu’ils étaient innocents et qu’ils n’ont rien imposé comme matières à intégrer dans cette constitution».
L’intervention de Martin Fayulu sur France24 a fait réagir Steve Mbikayi, le président du Parti Travailliste, mais néanmoins candidat malheureux aux dernières législatives organisées en décembre 2023 en RDC. Cet ancien syndicaliste de l’ex-Onatra ne rate pas le candidat malheureux aux présidentielles 2018 et 2023. «Confondant la République populaire de la Tshangu avec la République Démocratique du Congo, Martin Fayulu mesure sa popularité par l’accueil de quelques milliers de partisans rassemblées sur le terrain Sainte Thérèse à N’Djili, chantant à sa gloire», écrit-il dans un tweet, le 4 décembre 2024. Mbikayi n’entrevoit pas l’ombre d’une infraction de trahison dans les desseins de Félix Tshisekedi. «Dans son intervention sur France24, il a (Martin Fayulu, Ndlr) fait maladroitement allusion à l’article 165 de la Constitution qui stipule qu’il y a haute trahison lorsque le président de la République viole intentionnellement la Constitution. En procédant au changement de la Constitution, quelle disposition le président de la République violerait, dès lors qu’en étant muette sur la question, la loi fondamentale elle-même n’interdit pas son changement ? Ne dit-on pas que tout ce qui n’est pas interdit est permis ?», interroge-t-il.
République de la Tshangu et République Démocratique du Congo
Germain Kambinga Katompa, ex-MLC, et ancien ministre Kabila aujourd’hui à la tête de «Le Centre», un regroupement politique favorable au changement de la constitution «pour envoyer l’actuelle classe politique au chômage», réplique à Martin Fayulu. «Un texte d’organisation sociale qui serait essentialisé au point d’en faire une réalité transcendante au même titre qu’une bible, qu’un Coran ou une Torah, je suis curieux de savoir où on a vu cela ?», interroge-t-il à voix haute. «Que l’opposition ne se substitue pas au peuple, que l’opposition ne se pense pas plus forte que le peuple et plus intelligente que le peuple», ajoute Germain Kambinga.
Les débats sur la révision ou le changement de la constitution en vigueur en RDC devraient connaître une ampleur particulière dans les jours à venir, puisque les scientifiques ont décidé de ne pas laisser la danse se dérouler sans leur participation active. Le 30 novembre 2024 à Kinshasa, l’Association congolaise de droit constitutionnel (ACDC), qui regroupe des professeurs d’université enseignant cette discipline juridique, a clairement exprimé son soutien à l’initiative du président de la République visant à engager un débat national autour de la révision ou du changement de la Constitution. Les professeurs Jean-Louis Esambo, Evariste Boshab, Willy Makiashi, Paul-Gaspard Ngondankoy, et autres Dieudonné Kaluba, ont ainsi «salué la proposition du chef de l’Etat de convoquer une commission multidisciplinaire d’experts pour éclairer les orientations possibles et garantir une démarche menée dans l’intérêt général».
Mercredi 4 décembre 2024, une conférence portant sur «l’ordre constitutionnel face aux mutations de la société : du populisme au discours académique», a été opportunément animée à l’Université de Kinshasa. Parmi les interventions du jour, celle, très remarquée, du professeur Christian Kabange, qui lui a donné l’occasion d’assurer qu’«une constitution n’est jamais statique. Elle doit évoluer avec les mutations sociales dans plusieurs angles. La constitution doit tenir compte des paramètres économiques». Mais également celle d’un autre professeur, Grâce Muwawa, commentant le désormais célèbre article 220 de la loi fondamentale congolaise. Selon ce scientifique, cet article peut être révisé ou modifié en vertu du fait que «s’il verrouille ou s’il fait appel à certaines matières verrouillées, cet article n’est pas lui-même verrouillé».
J.N. AVEC LE MAXIMUM