Le débat sur la révision, ou la modification, de la constitution, qui battait son plein depuis bientôt un semestre a pris une tournure décisive mercredi 23 octobre 2024. Au cours d’un meeting populaire à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, Félix Tshisekedi a annoncé son intention d’instituer l’année prochaine une commission chargée d’examiner les voies et moyens d’adapter la loi fondamentale aux réalités nationales.
A l’en croire, cette approche ne vise pas à revoir certaines dispositions réputées intengibles de la constitution, notamment celles relatives à la durée des mandats présidentiels.
Selon le chef de l’Etat, «la constitution de 2006, rédigée à l’étranger par des étrangers doit être remplacée par une constitution mieux adaptée aux réalités congolaises», d’où sa décision de confier l’exercice y relatif à une commission interdisciplinaire composée d’experts nationaux.
Interrogé en mai dernier sur la question au cours d’un entretien à bâtons rompus avec ses compatriotes de Belgique sur la situation dans leur pays, le président Tshisekedi avait déjà indiqué son intention d’oeuvrer à des modifications à la constitution. «Je n’ai jamais dit que je vais changer la constitution pour rajouter le nombre de mandats présidentiels ou d’années … d’abord, ce sont des dispositions inamovibles. Pour les changer, il faut retourner auprès du peuple, souverain primaire. Par contre, d’autres dispositions peuvent nous poser beaucoup de problèmes», avait-il affirmé.
Le président de la République faisait allusion particulièrement au retard subi dans la mise en place des institutions nationales qui avait pris près de 5 mois après la proclamation des résultats des élections générales et sa prestation de serment constitutionnel. «On a tourné autour du pot. L’installation du bureau du parlement, par exemple, ce sont des choses auxquelles on doit réfléchir. On prend un mois alors que les sujets à traiter ne sont pas si volumineux. Il y a juste la validation et l’installation des bureaux des chambres législatives. Pourquoi cela doit-il prendre tout un mois ? Ce sont des aspects qui nécessitent d’être revus», expliquait-il également.
Sur la nécessité des aménagements à apporter à la constitution en vigueur en RDC, nombreux sont ceux qui sont d’accord avec le président Félix Tshisekedi, même dans les rangs de sa majorité comme dans l’opposition politique. L’ancien vice-premier ministre, actuellement député national, le lumumbiste Lambert Mende Omalanga a ainsi publié depuis janvier 2024 un opuscule intitulé : «RDC : Une décentralisation piégée par des atavismes et la corruption. Plaidoyer pour la territoriale des non-originaires». Il y appelle à une réforme consistant à «placer à la tête des exécutifs provinciaux des grands commis de l’Etat allotchones à sélectionner par le président sur base d’une stricte méritocratie tout en maintenant à leurs côtés les organes délibérants autochtones assurant leurs missions de contrôle en synergie avec le pouvoir central». Dans l’opposition, Augustin Matata Ponyo, candidat malheureux à la dernière présidentielle et président du parti Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD) a pour sa part, au terme d’un conclave express tenu du 30 mai au 1er juin 2024 à Kinshasa, proposé le remplacement de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), par une structure internationale. Toutes ces recommandations impliquent une modification des prescrits constitutionnels relatifs aux institutions et organes concernés.
Imperfections
Même si officiellement, Moïse Katumbi Chapwe et son Ensemble pour la République se disent opposés à toute modification constitutionnelle, des voix discordantes se font entendre dans les rangs de l’opposition qui indiquent qu’on est loin de l’unanimité sur la question. Ainsi, interrogé à chaud par Top Congo FM, Francis Kalombo, porte-parole adjoint du président du parti estimait que des modifications constitutionnelles étaient «acceptables pour autant qu’elles ne portent pas sur les dispositions verrouillées».
Dans une correspondance adressée au secrétariat général de ce principal parti politique de l’opposition, en date du 21 mai 2024, JO. M. Sekimonyo proposait une révision de la constitution de 2006, parce qu’elle «présente d’importantes lacunes économiques et sociales, avec des mesures parfois vagues ou peu ambitieuses, et manque des mécanismes robustes pour protéger les citoyens contre les abus de l’Etat».
On observe la même ambivalence dans le chef de Delly Sessanga et Envol, son parti politique. Cet autre candidat malheureux aux dernières élections présidentielle et législatives, pourtant connu pour son combat en faveur de la modification de certaines dispositions de la loi fondamentale sous le régime de Joseph Kabila s’est déclaré opposé au moindre amendement, dans une lettre ouverte, le 10 octobre 2024. Néanmoins, Envol plaide en même temps pour «quatre réformes prioritaires de la constitution». Le parti de Sessanga, suggère, notamment que «tout Congolais d’origine ne peut perdre sa nationalité. Le Congolais d’origine bien qu’ayant obtenu une autre nationalité et peut assumer des hautes fonctions pourvu qu’il renonce à la nationalité acquise» ; que «nos quatre langues nationales (deviennent), des langues officielles suivant les espaces linguistiques» ; que «les deux tours de l’élection présidentielle soient réinstaurés si au premier tour aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue»; que «le parquet soit réintégré dans le pouvoir judiciaire dont il a été détaché par la révision constitutionnelle de 2011».
Pacte républicain
Pas de doute donc, sur l’existence de dispositions constitutionnelles qui posent problème. Les postures divergentes observées sur la question au sein de la classe politique cachent donc des conceptions contrastées du pacte républicain qui fonde la constitution de 2006, selon des observateurs. D’un côté, se positionnent les adeptes de ce pacte conclu au terme du Dialogue interconngolais de Sun City en avril 2002, et de l’autre, ceux qui estiment que ledit pacte a révélé ses limites et appelle à une réécriture.
Pour les premiers, Sun City est un gage de paix et de légitimité des institutions tant chahutées de la République. Y revenir, même par des révisions constitutionnelles risquerait d’ébranler le fragile équilibre obtenu à l’issue de la ‘‘première guerre mondiale africaine’’ à la suite d’âpres négociations.
C’est, à peu de choses près, la position défendue par Ensemble de Katumbi, ainsi que le PPRD – FCC (ou ce qui en reste) de Joseph Kabila, l’Ecidé de Martin Fayulu et, dans une certaine mesure, Envol de Delly Sessanga qui estimait, le 11 octobre 2024, qu’une révision constitutionnelle replongerait le pays dans la désolation.
Les seconds soulignent les faiblesses de la loi fondamentale fondée sur le seul pacte de Sun City qui fragilise l’intégrité territoriale du pays en l’exposant aux velléités hégémonistes et prédatrices des puissances régionales et internationales.
La constitution de 2006 se réduirait, de ce point de vue à un traité d’armistice entre belligérants réunis sous l’égide de la ‘‘communauté internationale’’ néocoloniale à Sun City. Et ne prendrait pas suffisamment en compte les Intérêts Nationaux congolais.
Guerres récurrentes
Ils estiment que le fameux pacte républicain de Sun City n’a pas ramené la paix, particulièrement dans la partie orientale de la RDC toujours en proie à des conflits armés récurrents entretenus depuis trois décennies. «Il y aurait eu rétablissement de la paix dans les Kivu depuis 2002-2003 que cette constitution n’aurait posé aucun problème», assure un participant au dialogue pour le compte de la société civile. Selon lui, la loi fondamentale issue de ces assises n’aura profité qu’aux belligérants et à leurs mentors occidentaux qui ont joué des mains et des pieds pour sa mise en oeuvre.
Ainsi, alors que la RDC fait les frais d’une nouvelle agression caractérisée de l’armée rwandaise dans le silence assourdissant des occidentaux, la caducité du pacte républicain de Sun City n’en apparaît que mieux. Elle jette ainsi le discrédit sur le pseudo silence des armes laborieusement imposé en avril 2002 en Afrique du Sud après plus de 4 ans de massacres de Congolais et 19 mois de ‘‘négociations’’. Et, appelle de fil en aiguille, à revoir certaines clauses constitutionnelles qui ont consacré cet arrangement entre belligérants conclu il y a 12 ans. Notamment celles qui malmènent la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC et compromettent ses Intérêts Nationaux.
Dans la classe politique, de nombreuses voix s’élèvent depuis belle lurette pour fustiger la part trop belle faite aux belligérants dans les différents accords conclus par la RDC dans sa recherche de la paix, qui ont été repris aussi bien dans le pacte républicain que dans la constitution de 2006.
Lambert Mende Omalanga qui avait participé au Dialogue de Sun City, a ainsi fait un aveu révélateur à ce sujet. Au cours de l’émission «Parcours» sur Top Congo FM, il a reconnu que les délégations congolaises à Sun City étaient littéralement cornaquées chacune par des puissances étrangères. «Je me suis rendu compte que nous avons tous passé notre temps à être manipulés par des puissances étrangères. Le gouvernement par tel diplomate … le RCD-K-ML, par tel autre. Même le vieux Ketumile Masire (ancien président du Botswana qui présidait le forum Ndlr) avait été envoyé par les Nations-Unies qui sont elles-mêmes contrôlées par une puissance que nous connaissons. Donc les intérêts des Congolais en tant que tels n’étaient pris en charge par personne. Nous étions ballotés, crapahutés entre les intérêts nationaux de différents pays. Chaque délégation avait ses conseillers étrangers qui le poussaient à dire ci, à dire ça, etc. Et les intérêts des Congolais n’étaient pas pris en compte. C’est l’extérieur qui vous dictait toujours ce qui était bon et si vous vouliez apparaître comme un bon élève, il fallait répéter ce que le conseiller étranger vous soufflait», avait-il déclaré en substance.
Cette position est confirmée par un autre lumumbiste, l’ancien premier ministre Adolphe Muzito, qui fut parmi les premiers à contester la constitution en vigueur en RDC. «Cette constitution doit être remplacée par un texte définitif, car c’est une constitution provisoire ou de transition adoptée par un Parlement de facto, c’est-à-dire non élu, et promulguée par un président non élu ou de facto», a-t-il déclaré le 16 octobre 2024.
Dépouillements
De ce point de vue, le pacte républicain de Sun City et la constitution de 2006 dépouillent la RDC de certains des attributs essentiels de tout Etat moderne et indépendant. Des articles de la loi fondamentale sont stigmatisés à cet effet, notamment : l’article 9 qui stipule que «L’Etat exerce une souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur le plateau continental», en lieu et place de l’ancienne formulation selon laquelle «le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat». Un glissement sémantique qui atténue et mute la notion de propriété de l’Etat en un banal exercice de souveraineté. La préoccupation est d’autant plus pertinente que l’article 217 stipule que «la République Démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine». On y voit tout de suite l’influence d’Etats voisins de la RDC en proie à des problèmes économico-démographiques endémiques . L’article 51, en vertu duquel «l’Etat a le devoir d’assurer et de promouvoir la coexistence pacifique et harmonieuse de tous les groupes ethniques du pays. Il assure également la protection et la promotion des groupes vulnérables et de toutes les minorités. Il veille à leur épanouissement», est en porte-à-faux avec le fait que la RDC compte plus de 400 ethnies, toutes aussi ‘‘vulnérables’’ et ‘‘minoritaires’’ les unes que les autres qui ont cohabité pacifiquement jusqu’à la première agression du pays par l’armée monoethnique tutsi du Rwanda en 1996.
La caducité d’un tel pacte justifie donc une révision de certaines de ces dispositions. C’est le véritable nerf de la guerre hégémonique et prédatrice que subit la RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM