Dans cet ouvrage, Nicaise Kibel’Bel Oka plaide pour la fin de la manipulation de l’histoire par Kigali et l’instauration d’un système de défense digne d’un Congo convoité.
Il répond aux questions de Jean Kongolo du périodique Les Coulisses.
Jean Kongolo (JK): Monsieur Kibel’bel Oka, votre dernier ouvrage dérange par son titre «Les rébellions rwandaises au Kivu». Pourquoi avoir choisi un tel titre ?
Nicaise Kibel’Bel Oka (N.K.O): Un titre n’est jamais choisi au hasard. Cela répond au contenu et aux réalités du livre. Effectivement, le livre décrit toutes ces rébellions rwandaises depuis 1996 qui ont trouvé un terrain d’expérimentation sur le sol congolais. Pour l’illustrer par un exemple, à chaque fois qu’il y a dialogue entre le gouvernement et des «rebelles» congolais, avez-vous déjà vu ces derniers remettre armes et équipements militaires ? Ils ne peuvent pas le faire parce que ces armes ne sont pas les leurs. Pire, ce ne sont pas les Congolais qui les manient au front.
JK : Comment expliquez-vous cette stratégie de Kagame d’instrumentaliser des Congolais ?
N.K.O. : C’est une stratégie simple qui fonde toute la philosophie du pouvoir au Rwanda. Elle consiste à créer des zones de tensions et à les maintenir indéfiniment. Il y a des personnes, des médias et institutions payées pour alimenter ces conflits. Ces tensions sont à la base de la guerre hybride dans la région. En réalité, Kigali n’a que faire des «rebelles» congolais pour qui il n’a aucune considération. Depuis Laurent-Désiré Kabila jusqu’à Corneille Nangaa, ils sont toujours vilipendés et jamais leurs noms ne sont cités au Rwanda.
JK : Comment comprendre que derrière les rébellions rwandaises au Kivu, ce sont des revendications des populations d’expression kinyarwanda qui sont toujours mises en avant ?
N.K.O. : Il faut apporter un bémol à cette affirmation. Paul Kagame ne défend pas les populations d’expression kinyarwanda comme il tente de le faire croire. Il défend selon lui les populations martyrisées Hamites en RDC. C’est toute la différence idéologique. Et tant qu’on ne comprendra pas cette distinction, on naviguera à vue dans la déstabilisation de la région.
JK : Pouvez-vous être plus explicite dans ce que vous avancez ?
N.K.O. : Au Rwanda comme au Burundi, il y a trois ethnies (Hutu, Tutsi et Twa). Les Hutu et les Tutsi parlent tous le kinyarwanda mais ne sont pas des Hamites. Défendre les populations d’expression kinyarwanda signifierait défendre aussi bien les Tutsi que les Hutu. Or, Kagame voue une haine viscérale aux Hutu qu’il qualifie à tous les niveaux des «génocidaires». Et donc, à défaut de les défendre et de les protéger, il estime devoir les combattre, les neutraliser. C’est ce qu’il demande au gouvernement congolais.
JK : Comment la RDC perçoit-elle cette notion du génocide? Est-ce que tous les Hutu même ceux qui sont Congolais sont des génocidaires? Les populations Hamites du Congo subissent-elles de réprimandes ?Comment mettre fin alors à toutes ces rébellions rwandaises au Kivu ?
N.K.O. : Tout d’abord il faut établir une nette différence entre le Rwanda et la RDC. Cet exercice pédagogique poursuit deux finalités. Primo, faire comprendre aux populations Hamites du Congo que ce n’est pas Kigali qui va résoudre leurs problèmes. On ne peut pas indéfiniment vivre en seigneur de guerre au bénéfice d’un autre État contre son pays. Secundo, le pouvoir au Rwanda a été construit sur la violence, sur l’hostilité entre Hutu et Tutsi. Ce qui n’est pas le cas en RDC. Il faut aussi aider le Rwanda à trouver des solutions à ses problèmes de cohabitation entre Hutu et Tutsi. Il n’y a que le dialogue et la réconciliation comme thérapie à des tensions ethniques.
JK : Apparemment vous êtes le seul à faire ce diagnostic. N’est-ce pas un rêve?
N.K.O. : C’est le vrai diagnostic pour une paix dans la région. Et je ne suis pas le seul. De nombreux rwandais (Hutu comme Tutsi) sont convaincus qu’il faut un dialogue pour une réconciliation au Rwanda. Ceci, pour éviter un cycle infernal de tensions et de guerres. Aucune ethnie ne peut indéfiniment prendre le dessus sur l’autre. L’ex-président Hutu du Rwanda post-génocide, Pasteur Bizimungu, prédécesseur de Paul Kagame, avait d’ailleurs exprimé ce point de vue devant le Parlement. Il a aussitôt été démis.
JK: Vous avez écrit que «toutes les composantes au niveau national ne se sentent pas représentées dans l’autorité du Rwanda» et que «ce qui a déchiré le Rwanda, c’est particulièrement l’exclusion de certaines sections de la population. Pendant 150 années, se sont succédé des luttes de pouvoir entre les élites tutsi et hutu. Chaque fois que l’une arrivait au pouvoir, elle monopolisait à son profit excluant d’autres tout en violant les droits fondamentaux. Le FPR a suivi malheureusement les sentiers battus. De par l’histoire de notre pays, il est démontré que les gens qui se sont emparés du pouvoir par la force n’ont jamais réussi quelle que soit leur durée au pouvoir. Toute exclusion mène forcément à la force». Au Rwanda, comme l’écrit Gaël Faye dans son livre «Jacaranda», La paix n’est qu’une guerre suspendue. Le cycle de violence au Rwanda n’est donc que momentanément suspendu». Ensuite vous évoquez l’impunité dont jouit le régime de Kigali. Pourquoi deux poids, deux mesures ? Est-ce parce que l’Occident ne comprend rien à ce drame ?
N.K.O. : Les Occidentaux jouent aux sapeurs-pompiers pour maintenir des tensions qui garantissent leurs intérêts. En choisissant unilattéralement les «Bons» et les « Méchants» au Rwanda, ils ont tout fait pour que le FPR ne puisse jamais répondre de ses actes devant la justice internationale. Cela lui donne la force de narguer les autres. La logique des Occidentaux ne résiste pas à la logique normale. Prenez le cas de l’Ukraine. Ils livrent des armes à l’Ukraine mais lui interdisent de frapper des cibles russes. C’est exactement un embargo qui ne dit pas son nom. C’est le même cas avec la RDC. On nous impose de négocier avec le Rwanda qui occupe militairement des pans entiers de notre territoire. Qui arme le Rwanda ?
Mon livre essaie de passer au peigne fin cette mésaventure tout en épinglant aussi les faiblesses dans notre système de défense qui est resté dans le ghetto et aujourd’hui incapable de faire face aux menaces actuels et à venir. Ce livre baigne dans la couleur locale. C’est un appel à la prise de conscience contre l’instrumentalisation rwandaise et à la mise en place d’un système de défense digne du Congo. Rome a été hospitalière tout en étant expansionniste.