Ci-dessous, le décryptage de l’audition de l’accusé Charles Onana, le lundi 7 octobre 2024, réalisée par le site de l’association française Survie – elle-même partie civile au procès.
Charles Onana : Je vais commencer par l’élément central, la négation du génocide. Je dirai d’abord que je n’ai pas de conflit d’intérêt, je ne suis pas rwandais, je n’étais pas en lien avec les gouvernements rwandais d’avant 1994. Je me suis intéressé à cette affaire parce que j’étais juste perplexe de constater qu’il y avait un point sombre dont on ne voulait pas parler : l’attentat du 6 avril. Je m’étais posé la question de savoir pourquoi cet attentat n’éveillait pas d’intérêt.
Je rencontre dans ce contexte Deo Mushayidi, rescapé du génocide dont toute la famille a été exterminée. Il essayait de revivre à travers sa femme et ses enfants. Il me dit : ‘‘On va travailler sur cette histoire d’attentat‘‘. Deo avait été représentant officiel du FPR en Suisse. Nous commençons l’enquête avec beaucoup de risques à Nairobi, où sont implantés d’anciens agents du FPR. Des gens ont été assassinés à Nairobi : je suis conscient que je prends des risques pour ma vie. Je n’ai pas d’a priori quand je commence cette enquête, je ne connais pas les subtilités comme Deo. J’ai une curiosité intellectuelle : je cherche à comprendre. Même dans le livre incriminé [Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise] je n’ai pas de certitude. En 2002, quand paraît Les secrets de la justice internationale. Enquêtes truquées sur le génocide rwandais (Éditions Duboiris, 2005) écrit donc avec Mushayidi, Paul Kagame porte plainte contre nous pour diffamation. Nous rassemblons 4.000 documents de preuve. Quarante-huit heures avant le procès, Monsieur Kagame et l’État rwandais se sont désistés. On m’a traité de négationniste, de génocidaire… il n’y avait que des coups à prendre.
Je découvre qu’il y a de plus en plus d’accusations contre l’opération Turquoise d’une gravité extrême : les militaires de Turquoise ont été complices des génocidaires, ont violé des femmes, etc… Je décide de faire un travail de thèse là-dessus car je constate qu’il n’y a pas de travail scientifique qui a été réalisé sur le sujet. Donc je fais ce travail en prenant pour acquises les accusations portées contre Turquoise et j’examine les sources. Ce que je lis sont principalement des sources de 3e ou 4e main, je me dis que je dois avoir accès aux archives des Nations Unies concernant Turquoise. Et je vais avoir de grosses surprises. Le FPR avait dit qu’il y avait un génocide et voulait un tribunal pour juger les criminels ; je découvre que le FPR s’est opposé à Turquoise au motif qu’il n’y n’avait plus de Tutsis vivant à sauver… mais même s’il n’en restait qu’un seul, cela suffisait à justifier une intervention.
[Onana parle de sa rencontre avec le Représentant permanent de la France aux Nations Unies, Jean-Bernard Mérimée. Il est reçu par Carla Del Ponte, ancienne procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), qui lui fait des confidences qu’elle confirmera plus tard dans ses mémoires.]
Kagame a dit à Del Ponte qu’il était hors de question d’enquêter sur le FPR. Je me rends compte ensuite que je ne peux pas enquêter sur Turquoise sans partir de l’offensive du FPR de 1990 pour prendre le pouvoir. Je cherche dans les archives de l’ONU, de la MINUAR, de l’Élysée et me rend compte que la question de la guerre ne se pose pas. Rassemblant les éléments concernant la guerre et posant de nouvelles questions, je découvre que le FPR veut la conquête du pouvoir mais qu’on accuse la France d’avoir fait exfiltrer les génocidaires. Je rencontre le général Hogard et d’autres responsables militaires et politiques, comme l’ex-premier ministre du gouvernement intérimaire rwandais, Kambanda. On accuse aussi la France de livraisons d’armes aux génocidaires sur le territoire zaïrois. J’interroge les Zaïrois et à chaque fois je me rends compte que ces accusations ne tiennent pas.
Madame la Présidente : Là vous vous attardez sur ce qui concerne l’opération Turquoise dans votre livre. Mais aujourd’hui, ce dont vous devez répondre ce sont les propos de votre ouvrage sur l’existence du génocide des Tutsis…
Charles Onana : Je ne nie pas du tout le génocide. Je ne le fais pas et je ne le ferai pas, ayant des amis qui ont survécu au génocide. Sur 660 pages du livre, combien de pages sont mises en cause ? Le gros de mon travail ne porte pas là-dessus. Qu’on me montre un seul passage où je nie le génocide des Tutsis et là alors je le reconnaîtrai…
Madame la Présidente : Vous avez bien compris qu’il vous est reproché de contester le génocide des Tutsis selon les modalités lues dans mon rapport initial ?
Charles Onana : Je ne vais pas faire le travail des avocats à leur place. Ce qu’il faut que vous sachiez c’est que je travaille en sciences politiques, dont le but est d’analyser les discours des institutions et des acteurs politiques. Le FPR et le GIR (Gouvernement intérimaire rwandais, qui a organisé le génocide en 1994) sont des acteurs politiques qui sont en affrontement. Précision : je ne confonds pas les Tutsis civils qui sont victimes de violence avec les rebelles Tutsis qui mènent une action violente.
Je ne confonds pas les Tutsis victimes et les rebelles du FPR qui ont conquis le pouvoir à Kigali. Qui, madame la Présidente, utilise en premier le terme génocide ? C’est le FPR. Les parties civiles s’amusent beaucoup avec les guillemets…
Madame la Présidente : Justement, pourriez-vous vous expliquer là-dessus ?
Charles Onana : J’ai écrit un livre de 668 pages : ce n’est pas un supermarché où l’on prend ce qui nous arrange. Qu’on me montre une phrase où je nie le génocide ! J’ai par contre plusieurs pages où je reconnais le génocide. Mes contradicteurs vont venir avec la question de l’intention : mon intention est de permettre au lecteur d’avoir un spectre de compréhension plus large. Comment peut-on me prêter des intentions qui ne sont pas les miennes ?
Madame la Présidente : Pourquoi alors que vous nous dites qu’il n’y a pas d’intention de négation, prenez-vous la précaution de dire qu’il ne faut pas se méprendre sur ce que vous dites ?
Charles Onana : Parce que je suis traité de négationniste par le gouvernement rwandais.
Madame la Présidente : Quand avez-vous commencé le travail qui a abouti à la thèse et au livre ?
Charles Onana : J’ai soutenu la thèse en 2017. Le travail sur Turquoise a duré environ 10 ans après mon constat de l’absence de travail scientifique sur le sujet.
Madame la Présidente : Vous dites cela, mais vous dites aussi que les chercheurs ont produit de la matière… qui irait simplement dans un sens qui n’est pas le vôtre ?
Charles Onana : Je parlais de la recherche sur Turquoise ! Les autres chercheurs répètent juste les mêmes accusations sans fondement.
Madame la Présidente : Vous avez travaillé sur le TPIR. Avez-vous connaissance du constat judiciaire de 2006 ? Il y a des travaux sur le TPIR où vous développez l’origine de l’emploi du mot génocide, que vous mettez en doute : ce terme n’aurait pas été utilisé au terme d’une analyse de preuve, mais de manière beaucoup trop rapide…
Charles Onana : Vous remarquerez que je ne porte pas de jugement de valeur sur cette décision du TPIR [concernant le constat judiciaire]. Est-ce permis pour un politologue de retracer le cheminement qui a abouti à cette décision ? D’ailleurs, je préviens que je ne nie pas le génocide. J’ai été formé dans les universités à la réflexion cartésienne. Le travail intellectuel est un exercice d’humilité…
Madame la Présidente : Pouvez-vous expliciter ce dont vous parlez quand vous mentionnez des lois mémorielles qui ont entravé la recherche ?
Charles Onana : En Belgique, il y a eu un projet de loi sur le négationnisme. Monsieur Reyntjens a dit que c’était dangereux pour la recherche. Les parties civiles parlent de négation implicite ; si je voulais nier pourquoi je recourrais au négationnisme implicite ?
Questions des avocats
Me Gisagara (CRF) : Je vais exaucer votre vœu et vous citer une phrase où vous niez le génocide des Tutsis : page 34 de votre livre, «Il est désormais établi que l’actuel régime de Kigali ne supporte pas les universitaires, les journalistes et les auteurs dont les travaux nuancent ou contredisent le dogme ou l’idéologie du ‘‘génocide des Tutsis’’». L’arme de destruction massive qui a été trouvée pour disqualifier ou pour discréditer le travail des chercheurs américains est de les traiter de «révisionnistes» ou de «négationnistes», un vocabulaire réservé en général aux auteurs qui nient l’Holocauste des Juifs et que certains veulent étendre abusivement et maladroitement à la tragédie rwandaise. Soyons clair, le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! Toute tentative de mariage forcé ou de comparaison entre ces deux événements distincts est abusive et déplacée. Pour vous, il est donc injustifié de comparer la Shoah au génocide des Tutsis ?
[Gros rire dans la salle côté défense. Rappel à l’ordre de Madame la Présidente qui menace d’exclure des débats toute personne qui continuerait à réagir ostensiblement.]
Charles Onana : L’accusation a parfaitement le droit d’interpréter mes propos comme elle le souhaite.
Me Gisagara (CRF) : Pourquoi utilisez-vous cette phrase si vous ne niez pas le génocide ?
Charles Onana : Dans cette phrase je ne nie pas le génocide. Au contraire, je suis malheureusement un chercheur précautionneux et je voulais justement prendre des pincettes pour appeler à la vigilance lorsque l’on compare des situations très différentes. Le contexte de la Shoah et du Rwanda ne sont pas du tout les mêmes : il n’y a jamais eu d’armée de Juifs qui ont combattu le Führer. Le contexte dans lequel les choses se sont passées au Rwanda n’a absolument rien à voir avec celui de la Shoah : c’est par humilité que j’ai écrit cette phrase.
Me Goldman (LICRA) : Connaissez-vous la définition juridique du génocide ?
Charles Onana : Je ne répondrai pas à cette question.
Me Goldman (LICRA) : Saviez-vous qu’il y a la notion de «plan concerté» dans la définition ?
Charles Onana : Le TPIR a affirmé la planification, en tout cas le procureur.
Me Goldman (LICRA) : Il y a deux passages où vous qualifiez cette planification «d’escroquerie» (page 198 ; page 460), «d’imposture» (page 460)…
Charles Onana : Par qui ? Pouvez-vous relire sans tronquer ma citation ?
Me Goldmann : «Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un «génocide» au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle». (page 198)
[Madame la Présidente demande à Onana de s’expliquer calmement.]
Charles Onana : A aucun moment de cette phrase je ne parle du Tribunal, je parle uniquement du FPR. Ce que j’écris est précis.
Me Heinich (Survie) : Vous prétendez qu’il y a plein de passages où vous reconnaissez le génocide. Pourtant je n’en ai pas trouvé : pouvez-vous citer un exemple ?
Charles Onana : C’est un livre de 660 pages, je n’ai pas tout en tête. Je laisserai mon avocat répondre car je ne voudrais pas me tromper et me mettre en porte-à-faux…
Me Heinich (Survie) : Pourquoi n’avez-vous pas dit d’emblée que vous vous étiez intéressé au génocide, mais à «cette affaire» ?
Charles Onana : Il paraît que la répétition est pédagogique alors je vais vous redire que je me suis d’abord intéressé à l’attentat du 6 avril 1994. Je ne me suis pas dit «Je vais enquêter sur le génocide», mon ami Deo était bien plus au fait de ce qu’il s’était passé. Moi je m’intéressais à l’attentat dont le rapport des Nations-Unies faisait l’élément déclencheur du génocide.
Me Heinich (Survie) : Je reviens sur l’utilisation des guillemets. Nous avons compté 160 fois une utilisation du mot entre guillemets contre 12 fois sans… La répétition est pédagogique, dites-vous ?
Charles Onana : Je mets les guillemets quand il s’agit du terme génocide employé du point de vue du FPR, qui est le premier à avoir utilisé ce mot et je ne le mets pas quand je le reprends à mon compte.
Me Heinich (Survie) : Qu’entendez-vous par «[…] Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple […]» ? (page 437)
Charles Onana : C’est une citation du titre du livre de Fabrice Epstein [avocat de Pascal Simbikangwa, Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].
Me Heinich (Survie) : Pourtant la citation du livre vient après, elle est entre guillemets là – avant c’est donc votre propre discours, c’est vous qui écrivez ?
Charles Onana : Je fais cette citation par honnêteté intellectuelle.
Me Heinich (Survie) : Vous citez dans votre livre le rapport [du rapporteur spécial de la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies] René Degni-Segui. Mais vous en manipulez les conclusions, pour prétendre que la qualification de génocide n’était pas encore acquise quand ce rapport a été rédigé [le 28 juin 1994].
Charles Onana : Le secrétaire général [des Nations Unies] et Degni-Ségui disent eux-mêmes qu’il faut faire encore des enquêtes à ce moment-là.
Me Heinich (Survie) : Si l’on poursuit la lecture du rapport, on voit qu’il est dit que la qualification de génocide est «d’ores et déjà acquise». Comment expliquez-vous donc que vous ayez tronqué ce rapport ?
Charles Onana : La formulation «d’ores et déjà» montre qu’il faut encore enquêter.
Madame la Procureur : Vous avez parlé de Deo Mushayidi. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Charles Onana : Lors d’un voyage aux États-Unis organisé par le département d’État.
Me Pire (Avocat de la Défense) : Dans cet extrait des pages 190-191, vous écrivez ensuite que cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de génocide. Vous dites qu’à l’époque les enquêtes sont encore nécessaires ?
Charles Onana : Oui, mais juste après j’écris que cela ne signifie pas que le génocide n’a pas existé et j’écris le mot génocide sans guillemets car je le reprends à mon compte.
Me Pire (Avocat de la Défense) : [Demande de précisions sur les références aux travail d’Allan Stam et Christian Davenport dans le livre de Charles Onana.]
Charles Onana : Ces chercheurs ont travaillé pendant 10 ans à la demande de l’association Ibuka et du gouvernement de Kigali. Ils ont constaté que plus le FPR avançait, plus les Tutsis étaient massacrés. Ils ont aussi demandé à Ibuka combien de victimes Tutsies ont été tuées : ils ont répondu 300 000. Et lorsqu’on leur a demandé combien il y avait de Tutsis avant le génocide : ils ont répondu 600 000. Comme il y a eu entre 1 million et 1,5 million de morts au total, ils en ont déduit que c’était des victimes Hutues. Les deux chercheurs ont dû quitter le Rwanda sous 24 heures. Heureusement ils étaient américains sinon ils auraient été liquidés comme on dit…
Me Pire (Avocat de la Défense) : Vous mentionnez une campagne menée par le FPR pour imposer le mot génocide. Avez-vous dit que le mot génocide des Tutsis ne correspondait pas à la réalité des faits ?
Charles Onana : Quand je parle de la réalité des faits je parle des faits qui se déroulent sur le plan militaire. J’ai édité le livre de Jacques-Roger Booh-Booh qui discutait avec le FPR et tous les autres et Jacques-Roger Booh-Booh dit que ce qu’on lit ne s’est pas passé comme ça.
Me Pire (Avocat de la défense) : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez constaté quant à la planification ?
Charles Onana : J’ai constaté que le FPR avait dressé la liste de ceux qu’il voulait voir accuser et qu’il a dit qu’il y avait un plan de génocide et qu’il en avait les preuves. Or, il y a au moins deux ou trois jugements du TPIR où il est écrit que le procureur a été incapable d’en apporter la preuve. Le FPR n’a pas non plus apporté les preuves annoncées…
Me Pire (Avocat de la défense) : Vous avez publié d’autres ouvrages qui ont traité de la situation au Rwanda, par exemple sur l’attentat. Utilisez-vous les guillemets dans ce livre ?
Charles Onana : Non. Dans mon livre sur l’attentat, quel intérêt j’ai de nier le génocide des Tutsis ? Je prends des risques mais je suis devant vous.
Me Pire (Avocat de la défense) : Vous pouvez nous expliquer ces risques ?
Charles Onana : Mon ami Tutsi Deo a été mis en prison par le régime de Kigali actuel, au Rwanda depuis 14 ans. Je suis inquiet [sa voix tremble d’émotion, les larmes montent].
Madame la Présidente : Vous êtes inquiet pour lui ou pour vous ?
Charles Onana : Pour nous deux ! Et je tiens à dire que le sort de Deo n’intéresse pas les parties civiles qui prétendent défendre les rescapés. Le président Kagame a dit publiquement en juillet que les négationnistes du génocide doivent mourir un jour. Je suis aussi inquiet pour un autre ami. L’association Survie a fait un procès médiatique contre moi après le dépôt de la plainte : j’ai été condamné avant d’être entendu.
Madame la Présidente : Quelle est votre situation personnelle ? Votre revenu mensuel moyen ?
Charles Onana : [Grosse hésitation] C’est fluctuant… je ne sais pas vous répondre… et je ne veux pas me tromper. Je suis très fatigué…
Me Pire (Avocat de la défense) : Nous fournirons la feuille d’imposition.
Madame la Présidente : Un autre aspect de votre situation personnelle à partager ?
Charles Onana : Que je suis en danger. C’est tout.
LE MAXIMUM
AVEC SURVIE