Rendez-vous le 9 décembre 2024 pour le verdict du procès intenté contre l’écrivain et politologue franco-camerounais par un groupe d’organisations liées au pouvoir en place au Rwanda. Accusé par la procureure du tribunal correctionnel de Paris d’avoir minoré et banalisé le génocide des Tutsis de 1994, Charles Onana a comparu une semaine durant, du 7 au 11 avril 2024. Sur la base de quelque 19 passages contenus dans « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise …», un de ses ouvrage de 670 pages.
Vues de la RDC, pays voisin sous agression armée rwandaise depuis trois décennies, où le procès est amplement suivi, la désormais célèbre affaire Charles Onana apparaît comme une page noire de plus, écrite avec témérité par la principauté militaire en place à Kigali et ses affidés. Tout se passe comme si le génocide perpétré au Rwanda accordait à Paul Kagame un droit de vie et de mort sur quiconque dénonce son hégémonisme prédateur. Particulièrement en RDC où on déplore déjà plus de 10 millions de morts directes ou indirectes causées par l’activisme militaire du dictateur rwandais.
Le chercheur Charles Onana est ainsi traîné devant le tribunal correctionnel de Paris par la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Survie-France, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA), la Communauté des Rwandais de France (CRF), et Ibuka (le collectif des rescapés du génocide), des organisations connues pour leur proximité avec le pouvoir en place à Kigali. Elles accusent l’auteur (ainsi que son éditeur, Damien Serieyx) de ‘‘négationnisme’’. Un terme inspiré de la Shoah perpétrée par l’Allemagne nazie contre les Juifs pendant la deuxième guerre mondiale recyclé dans une acception suffisamment vague et indéfinie visant tout ce qui s’apparente à un questionnement du narratif kagaméen de ce drame survenu en 1994 au Rwanda.
Vaste stratégie militaire
L’étude publiée par l’écrivain et politologue franco-camerounais, fruit de 10 années de recherches pour une thèse de doctorat, avance que le génocide rwandais s’était inscrit dans une vaste stratégie militaire ayant pour objectif final l’invasion et le pillage des ressources naturelles de la RDC voisine. Se fondant sur l’analyse des archives déclassifiées de l’Elysée, du Conseil de sécurité des Nations Unies, de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), du Département d’Etat américain et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Onana en conclut notamment que «la stratégie militaire mise en œuvre par le FPR ne consistait nullement à sauver les Tutsis du génocide, mais plutôt à conquérir le pouvoir par la force», rapporte à ce sujet Didi Mitoveli, journaliste et chercheur congolais présent aux audiences parisiennes.
A l’appui des thèses de Charles Onana, des témoins du drame rwandais, des officiers en poste à Kigali au moment des faits, des diplomates, des rescapés des massacres et des scientifiques. Le franco-camerounais en a fait défiler 17 : le colonel belge Luc Marchal, Semus Ntawuhiganayo (7 octobre), James Gasana, Johan Swinnen, Jean-Claude Lafourcade, Marie-Jeanne Rutahisire, Joseph Matata (8 octobre), le général français Christian Quesnot, le colonel Michel Robardey, Nkiko Nsengimana, Emmanuel Habyarimana, Théoneste Habimana, Théobald Rutihunza (10 octobre), le colonel Jacques Hoggard, Me Rety Hamuli, Flavien Lizinde, le général Didier Tauzin (11 octobre). Tous confirment plus ou moins les observations du chercheur dont la thèse doctorale, soutenue avec brio à l’Université de Lyon III en 2017, avait été reçue ‘avec les félicitations du jury’.
Approche révisionniste et réductrice du génocide ?
Au tribunal correctionnel de Paris, la procureure a prononcé un réquisitoire qui a présenté l’ouvrage querellé d’Onana comme «une négation abrupte, frontale, et sans aucun détour» du génocide des Tutsis, mais aussi comme «tout l’arsenal négationniste». L’auteur a, selon elle, «clairement dépassé les limites de la liberté d’expression en minorant et en banalisant l’existence de la tragédie». Pour elle, les passages mis en cause démontrent une «approche réductrice et erronée car elle omet délibérément la finalité du génocide : la destruction totale ou partielle du groupe Tutsi».
Même si, au finish, manifestement gênée aux entournures, elle s’est abstenue de proposer une quelconque peine à l’encontre de Charles Onana, laissant cette décision à l’appréciation de la cour, rapporte Bojana Gligoric Coulibaly, manager du programme des langues africaines à Harvard University et chercheuse en analyse du langage appelée à la rescousse par la Communauté des Rwandais de France (CRF). Tandis que les avocats des parties accusatrices invitaient le tribunal à ne se focaliser que sur les faits reprochés à l’accusé. «Ce que vous avez à juger, ce sont les propos publiés sous la plume de Charles Onana. Ce n’est pas un procès sur l’Histoire (…). On peut dire ce qu’on veut du régime de Paul Kagame: ce n’est pas le sujet», a ainsi soutenu Sabrina Goldman, avocate de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Alors que Patrick Baudouin, avocat de la FIDH accusait Onana de «tenter d’esquiver la réalité des reproches qui lui sont faits» (sic !).
Résumés par la présidente du tribunal correctionnel de Paris, les passages incriminés de l’ouvrage de Charles Onana attesteraient de la «négation du génocide via la minoration, de la négation du génocide via la confusion du statut des victimes et de la disqualification des institutions judiciaires».
Interprétations ubuesques et subjectives
Seulement, «minorer», «confondre» … relèvent d’appréciations subjectives du lecteur d’un écrit qui dépendent de son état d’esprit. Tout se passe comme si on voulait orienter la mentalité de tout lecteur de l’ouvrage scientifique de Charles Onana. Démocratie, vous avez dit démocratie ?
Les spécialistes de l’interprétation soutiennent que ce qui est compris dans la lecture n’est rien d’autre que ce qui est préalablement cherché. Devant la barre, le politologue camerounais ne s’y est pas trompé en déclarant sereinement devant la juge d’instruction ne pas être l’auteur des citations isolées par les parties accusatrices. «J’ai écrit un livre de 668 pages : ce n’est pas un supermarché où certains prennent ce qui les arrange. Qu’on me montre une phrase où je nie le génocide ! Il y a au contraire plusieurs pages où je reconnais le génocide. Mes contradicteurs viennent avec la question de l’intention. Mon intention est de permettre au lecteur d’avoir un spectre holistique de compréhension. Comment peut-on me prêter des intentions qui ne sont pas les miennes?», a-t-il lancé à la cantonnade avant d’ajouter à l’intention de la juge : «ce qu’il faut que vous sachiez c’est que je travaille en sciences politiques, dont le but est d’analyser les discours des institutions politiques et de leurs acteurs».
Le procès pour ‘‘négationnisme’’ intenté à l’écrivain politologue franco-camerounais, et sans doute tous les procès du genre, sont donc avant tout des procès d’interprétation. Par essence, toute interprétation est différente et singulière, puisqu’elle dépend de chaque interprète. Porter ces différences ou ces divergences devant la justice trahit de manière flagrante une réticence vis-à-vis des avancées enregistrées par les sciences de l’interprétation sur un sujet historique. C’est une tentative moyenâgeuse et téméraire d’imposer un point de vue partisan. Ridicule !
J.N. AVEC LE MAXIMUM