L’affaire fait grand bruit depuis trois jours. A Mulonde, dans le territoire de Pweto (Haut-Katanga), Moïse Katumbi a lancé des travaux de réhabilitation d’un aéroport international privé. Sans en avoir préalablement averti les autorités concernées (Régie des voies aériennes) ni obtenu la moindre autorisation. L’affaire semble avoir été portée à la connaissance de l’opinion, via les réseaux sociaux, par les soins des porte-voix de l’ancien gouverneur du Katanga. Dans une sorte de fuite en avant pour prévenir d’éventuelles sanctions.
Jusque mercredi 2 octobre 2024, les autorités du pays, celles du gouvernement central particulièrement, n’avaient pas encore communiqué sur l’affaire de l’aéroport de Mulonde. Alors que le camp de Moïse Katumbi multipliait communiqués et alertes. Sur son compte X, Olivier Kamitatu, porte-parole du candidat malheureux à la dernière présidentielle, se montrait à la fois prolixe et dénonciateur sur la question. «En pleine nuit, quatre jeeps remplies de militaires surarmés viennent d’investir la piste du petit village de Mulonde. Cette mise en scène n’est rien d’autre qu’un écran de fumée pour masquer l’incapacité des autorités à récupérer les territoires sous contrôle du M23. Il est plus facile de déployer la force face à de paisibles citoyens qui n’aspirent qu’à vivre en paix que reprendre Bunagana. Le véritable ennemi que les autorités du pays devraient neutraliser n’est pas celui qu’elles prétendent traquer avec ce pathétique déploiement militaire, mais plutôt leur indifférence et leur mépris envers une population totalement abandonnée et laissée pour compte. Cette mascarade met en lumière l’incapacité du régime à réhabiliter les routes, à désenclaver les territoires ruraux et à garantir les services sociaux de base que tout citoyen est en droit d’attendre d’un gouvernement légitime», a-t-il écrit.
Fuite en avant
Quelques heures plus tôt, sur les antennes de RFI, le porte-parole de l’ancien gouverneur du Katanga sous le PPRD de Joseph Kabila insistait sur l’illégalité d’opérations militaires menées à Mulonde. Les militaires ont fait irruption dans une concession privée dans laquelle Moïse Katumbi fait construire «un petit aérodrome» destiné à desservir un hôpital qu’il a réhabilité dans une zone isolée. Ces militaires ont confisqué le véhicule de Moïse Katumbi, arrêté les responsables des travaux, en plus de malmener les ouvriers présents, selon Kamitatu. Qui explique que «Moïse Katumbi réhabilitait cette piste pour faciliter l’évacuation des malades, comme il l’a déjà fait dans d’autres régions du pays – à Kiubo, Kasenga, Kashobwe, Kibombo dans le Maniema». Il s’agirait donc d’un projet humanitaire, selon Kamitatu qui condamne cette intrusion des militaires «sans documents ni autorisation, pour agresser des travailleurs oeuvrant au service de la population».
Dans les réseaux sociaux, les services de communication de Moïse Katumbi ont multiplié les alertes sur la menace qui planerait sur la tête de l’ancien gouverneur en présentant la présence militaire sur l’aéroport de Mulonde comme un prétexte pour accuser le leader politique d’être derrière un projet de déstabilisation du pays.
Le 1er octobre, la cellule de communication du chairman katangais avait déjà largement diffusé «Mulonde ou l’aérodrome par lequel on veut faire taire Katumbi», un audio qui explique que le candidat malheureux à la dernière présidentielle fait face à une dangereuse cabale, parce qu’il a entrepris de réhabiliter une petite piste d’aviation à proximité de l’hôpital en construction à Mulonde. «Mais en parlant de pistes, l’opinion se rappelle les nombreuses autres dont il a été l’auteur : la piste de Kiobo dans le territoire de Mitwaba, la piste de Kasenga, la piste de Pweto, la piste de Kashobwe et même dans le Maniema, la piste de Kibombo. Cela n’a jamais dérangé personne jusqu’à ce jour», explique-t-on.
Aucune autorisation légale
Seulement, il demeure un hic que tout cet argumentaire katumbiste ne parvient pas à occulter : les autorisations nécessaires pour entreprendre des travaux de l’envergure de ceux de Mulonde.
Selon la loi N°10/014 du 31 décembre 2010 relative à l’aviation civile en RDC, opportunément rappelée par les détracteurs de Moïse Katumbi, «est puni d’une servitude pénale de 5 à 10 ans et d’une amende de deux cents millions à cinq cents millions de Francs congolais, quiconque construit, modifie ou exploite un aérodrome sans autorisation préalable du ministre ayant l’aviation civile dans ses attributions». A cet égard, «même Mutombo Dikembe, le basketteur congolais de renommée internationale qui vient de nous quitter, a dû obtenir des autorisations de bâtir avant d’ériger un centre hospitalier ultramoderne à Kinshasa, au coût de 15 millions USD», rappelle au Maximum une source proche du dossier.
Conscient de cette faiblesse de la cuirasse déployée autour des activités réputées humanitaires du chairman katangais, ses services de communication ont largué, le même mardi 2 octobre une correspondance relative aux travaux de Mulonde, adressée au directeur de l’Autorité de l’aéronautique et de l’aviation civile à Kinshasa. Outre que ce courrier qui date du 26 septembre 2024 n’a été réceptionné que le 1er octobre 2024, donc quasiment en même temps que le déclenchement des opérations militaires décriées, le contenu laisse à désirer. «J’ai l’honneur de vous informer que j’ai entrepris la réhabilitation d’une vieille piste qui existait déjà dans les années ’70 à Mulonde, dans le Groupement Kamfwa, Territoire de Pweto», écrit Moïse Katumbi, le signataire de la lettre. Il ne s’agit même pas d’une demande, donc. «C’est une information de type organisation d’une manifestation démocratique et publique qui a été envoyée au directeur de l’Autorité de l’aéronautique et de l’aviation civile», explique encore avec ironie, cette source du Maximum. Qui révèle que les travaux de réhabilitation de cette piste de 1800 m/80 m ne datent pas d’hier, illustrations à l’appui. Ils sont purement et simplement été dissimulés aux autorités. Selon cette source, c’est lorsqu’il a appris qu’une commission d’enquête était diligentée sur les lieux pour s’assurer de l’effectivité de ces travaux pirates que Moïse Katumbi s’est précipité à adresser son courrier à la direction de l’aéronautique civile.
En marge de la légalité
Il est ainsi rappelé qu’en termes de dédain pour les lois en vigueur en RDC, Moïse Katumbi n’en est pas à son premier coup du genre. Dans les années ‘2009, alors qu’il exerçait les fonctions de gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi s’était déjà laissé aller à réquisitionner un officier FARDC pour piloter l’hélicoptère qu’il venait d’acquérir, sans obtenir l’autorisation préalable de sa hiérarchie, ainsi que l’exige les règlements militaires. «Il n’en a jamais fait qu’à sa tête, quitte à arranger lois et règlements en fonction de ses envies», explique un ancien confrère qui avait maille à partir avec le tout puissant gouverneur de l’époque.
S’agissant des soupçons d’atteinte à la sécurité intérieure de la RDC réveillés par les travaux de réhabilitation de cet aéroport situé à vol d’oiseau du territoire zambien dont sa mère est originaire, des sources proches du dossier assurent que c’est dans la suite normal des soupçons de tentatives de déstabilisation du pays qui pèsent sur le candidat malheureux à la dernière présidentielle. On rappelle ainsi, l’interpellation de Salomon Idi Kalonda par les services de renseignements militaires, le 30 mai 2023 à l’aéroport international de Ndjili. Elu sénateur au terme des dernières élections, ce proche collaborateur de Moïse Katumbi n’en demeure pas sous le coup des poursuites de la justice pour des soupçons d’atteinte à la sécurité du pays et de collaboration avec des puissances étrangères.
Selon des sources proches du dossier, presqu’au même moment où Salomon Kalonda était arrêté à Kinshasa, était viré de l’ambassade de la RDC en Afrique du Sud, un attaché militaire soupçonné de manœuvres de recrutements de milices et d’achats d’armements dans le cadre de la formation d’un mouvement armé. Cette information qui pouvait paraître peu crédible à l’époque des faits semble se confirmer avec le communiqué récemment publié par la même ambassade, qui dénonce l’existence d’officine de délivrance de faux visas d’entrée en RDC délivrés à des personnes «mal intentionnées».
Alors que l’Affaire Seth Kikuni, également candidat malheureux à la dernière présidentielle et président d’un petit parti politique congolais, peut, elle aussi, paraître révélatrice à plusieurs égards. Ce proche de Moïse Katumbi, en faveur duquel il s’était désisté lors de la présidentielle, est notamment poursuivi pour incitation à la révolte au cours d’un récent séjour dans le Haut-Katanga.
S’il faut attendre la suite des enquêtes et investigations autour de l’activisme à la limite du légal de l’ancien gouverneur du Katanga, force est de constater que Moïse Katumbi n’a pas son pareil pour se mettre en conflit avec les lois en vigueur en RDC. De là à penser qu’il nourrit de sérieux penchants à leur porter une estocade insurrectionnelle, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésitent plus à franchir.
J.N. AVEC LE MAXIMUM