Du 23 au 24 août 2024 se sont tenus à Lubumbashi, deux jours de colloque autour de l’héritage politique de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, leader katangais plutôt controversé, décédé le 21 août 2021 à Luanda (Angola). L’événement, organisé à l’occasion du 3ème anniversaire de ce décès par «sa famille politique ainsi que quelques notables de la région», le colloque sur la vie politique de Kyungu semble avoir succombé aux tentations de la récupération politicienne. Ainsi que le prouve ces affrontements qui ont opposé deux factions de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC), le parti politique du défunt.
A Lubumbashi, il y a une semaine, celui que l’on appelait affectueusement «Baba wa Katanga» semble, pourtant, avoir réussi l’exploit post-mortem de rassembler une bonne partie de ce que le Grand Katanga compte de leaders politiques. Avaient, en effet, honoré de leurs présences ses assises, Moïse Katumbi Chapwe, le candidat malheureux à la présidentielle de 2023 en RDC, mais également ancien gouverneur du Katanga avec lequel le défunt avait longuement collaboré avant de s’en distancer peu avant sa mort; Mgr Fulgence Muteba, le tout nouveau président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), connu pour ses efforts de réunification de l’élite politique katangaise et son opposition au pouvoir en place ; Protais Lumbu Maloba, un des 13 parlementaires (avec le défunt) qui ont bravé la dictature de Mobutu en créant l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS); les kabilistes Ilunga Ilunkamba, ancien premier ministre.Prince Kaumba Lufunda, sénateur et ancien rapporteur de la chambre haute du parlement a également été aperçu à ce colloque au cours duquel Hervé Diakiese Kyungu, porte-parole de Ensemble pour la République et proche collaborateur de Moïse Katumbi aura ravi la vedette aux autres membres de la famille, biologique et politique, du défunt «Baba wa Katanga».
Au plan politique, le colloque de Lubumbashi semble avoir tenu à éviter d’aborder les questions qui ont fait tâche d’encre dans la vie du célèbre défunt. Ou, tout au moins, à les présenter sous un jour nouveau. «En 1990, Antoine Gabriel Kyungu wa Kumwanza avait lancé le slogan «Debout Katangais» qui était un concept à la fois politique, économique et culturel. Il voulait, sur le plan politique, d’un Katanga fédéral avec un accent particulier sur les intérêts des fils et filles de cette région. Kyungu avait aussi, sur le plan économique, prôné l’existence d’une classe moyenne Katangaise face aux injustices de l’époque de Mobutu. Une province riche avec une population pauvre», avait ainsi déclaré Edmond Kibawa, un professeur d’université qui fut directeur de cabinet du défunt.
Sur ce Katanga fédéral et ce Kyungu fédéraliste, Mgr Fulgence Muteba est aussi revenu avec insistance. Rendant hommage au défunt au cours d’une messe dite pour la circonstance en la Basilique Sainte-Marie de la Kenya, le prélat katangais s’est carrément réclamé de l’héritage que d’aucuns considèrent comme le père du pogrom contre les populations d’origine kasaïenne sous la dictature mobutiste. «Dans l’héritage de Kyungu wa Kumwanza, on peut noter le fédéralisme qu’il a prôné toute sa vie. Je pense qu’il s’agit là d’une des voies cardinales pour le développement du pays. Avec le fédéralisme, il faut créer la compétition entre les provinces. Et même sur le plan économique, on peut bien redresser le pays par cette voie. On ne peut donc pas parler de fédéralisme au pays sans parler de Kyungu wa Kumwanza. À son actif également, l’identité et la dignité des Katangais», a rappelé Mgr Muteba Mugalu. «Aujourd’hui, avec un monde interconnecté et des migrations de tous bords, nous ne pouvons pas vivre notre dignité comme nos aïeux. Nous devons l’adapter en nous affirmant avec fierté», avait-il ajouté.
S’adressant à l’assistance, le professeur Sylvestre Ilunga Ilunkamba, leader katangais et premier ministre honoraire, pouvait ainsi déclarer que «Kyungu wa Kumwanza représentait la force politique du Katanga. Une force qu’il a forgée lui-même. Vous avez hérité de cette force. Vous avez l’obligation de la maintenir. Il ne faut pas transformer l’UNAFEC en parti familial ou clanique. C’est un parti katangais». Selon lui, «dans sa démarche politique, Kyungu wa Kumwanza n’a jamais cherché à s’enrichir. S’il était comme les dirigeants que nous connaissons, c’est ce qu’il aurait fait. L’argent n’était pas son affaire. Son affaire, c’était la politique et le Katanga».
Au colloque de Lubumbashi, seul Protais Lumbu Maloba semble être resté fidèle à son collègue défunt en relevant la responsabilité des katangais dans les déboires de leurs co-régionnaires.
«Dans le passé, il y a eu Kyungu wa Kumwanza qui dénonçait ces injustices. Et ces derniers temps, j’entends des Katangais dire qu’ils ne profitent pas de leurs richesses, elles profitent aux gens de Kinshasa. Il faut qu’il y ait un autre leader, un autre Kyungu, un véritable intermédiaire. Aujourd’hui, il y a des Katangais qui sont proches du pouvoir, n’ont-ils pas la possibilité de défendre la population comme le faisait Kyungu ?», s’était-il interrogé à voix haute.
Le fin mot du colloque organisé en mémoire de Gabriel Kyungu à Lubumbashi, c’est le katumbiste Hervé Diakiese qui l’a livré. «Par-delà les caricatures, l’image de ce qu’il a été effectivement», tel fut l’objectif des organisateurs. Il s’agissait de faire ressortir «des vérités que beaucoup voulaient étouffer. On l’a présenté comme un sécessionniste, un tribaliste. Nous sommes parvenus à démontrer que Baba était un démocrate avec un ancrage dans son milieu. Il était attaché viscéralement au Katanga, au fédéralisme», a-t-il ainsi conclu. Un peu comme pour excuser la détestation des non-originaires de la province cuprifère, les kasaïens particulièrement, accusés de voler les emplois des autochtones, tués par centaines et chassés par dizaines de milliers du Katanga en 1992.
Du dernier Kyungu wa Kumwanza, celui qui avait fait amende honorable et preuve d’ouverture en se réconciliant avec Etienne Tshisekedi wa Mulumba, son ancien collègue et père biologique de l’actuel président de la République, il n’en a pas beaucoup été question au colloque sur la vie politique du défunt. Pas plus, d’ailleurs, que de ce Gabriel Kyungu devenu bras droit du président Félix Tshisekedi, élu pour la première fois en 2018.
Début février 2019, l’alors président du bureau provisoire de l’Assemblée nationale, il appelait, en effet, la classe politique à une «trêve de querelles politiques. Le combat pour l’alternance a été une lutte de longue haleine de tout un peuple. Cette alternance acquise n’est pas un butin de guerre d’un groupe pour se targuer d’accaparer tout en méprisant les anciens compagnons de lutte(…). Félix Tshisekedi est le président de tout le monde, y compris nous acteurs politiques qui avons eu le privilège de lutter avec lui. L’heure n’est plus aux disputes. L’heure est maintenant au travail autour de nouveaux dirigeants afin qu’ils accomplissent le devoir de tout ce que nous avons fait», déclarait-il en substance alors qu’il faisait partie de l’opposition Lamuka.
Quatre mois plus tard, le 3 juin 2019, Félix Tshisekedi nommait Gabriel Kyungu en qualité de président du Conseil d’administration de la Société Nationale des Chemins de Fer du Congo (SNCC), un des fleurons des entreprises du portefeuille de l’Etat aujourd’hui en phase laborieuse de relance. De cela et de tout ce dont Kyungu wa Kumwanza aura bénéficié des autorités de la République depuis l’ère Mobutu, nul ne s’est avisé de l’évoquer au colloque katangais de Lubumbashi. Et, cela ne semble pas avoir rencontré l’assentiment de tout le monde, y compris dans ce qu’on appelle sa «famille politique».
Car, dimanche 25 août 2025, à la clôture des réflexions consacrées à la vie politique de Baba wa Katanga, deux factions rivales de son parti politique se sont affrontées à la Basilique Sainte-Marie : le groupe de la députée Mireille Masengu Bibi Muloko, ministre honoraire du Genre et épouse du défunt et celui de Jean Ladislas Umba Lungange, député provincial du Haut-Katanga. Selon Héritier Kyungu, un des fils défunt et ministre provincial honoraire, le groupe de Lungange serait responsable des attaques déplorés dimanche dernier.
En réalité, l’UNAFEC est miné par des divisions internes depuis plusieurs mois, rapportent des observateurs. Deux factions se sont formées sous la direction respectivement de Mireille Masangu et de Jean-Ladislas Umba Lungange. Elles revendiquent, l’une, l’attachement à l’Union sacrée de la nation de Félix Tshisekedi au pouvoir, l’autre à l’opposition politique d’obédience katumbiste. Le colloque organisé en mémoire de Gabriel Kyungu n’a pas réussi à rapprocher ces deux factions, l’une reprochant à l’autre la «récupération politique» de l’événement.
J.N. AVEC LE MAXIMUM