L’affaire défraie la chronique depuis quelques jours, en même temps qu’elle révèle à quel point l’inversion des valeurs et la perte des repères moraux ravage jusqu’à l’élite politique en RDC. Dans les installations sportives du Stade des Martyrs de Kinshasa s’érigeait, au vu et au su de tous jusqu’à il y a quelques jours, une station-service. Un véritable scandale, eu égard au danger que représentent le stockage et la manipulation de produits hautement inflammables en ces lieux fréquentés par des dizaines de milliers de personnes à la fois.
C’est Didier Budimbu, le nouveau ministre des Sports, qui a révélé le pot-aux-roses lundi 12 août 2024, à en juger par une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. Au cours d’une visite des installations de l’antre du football congolais, le nouveau patron des sports s’est retrouvé en présence de travaux de construction d’une station de vente de carburants dans une des emprises du stade. Sur le chantier, le personnel ouvrier interrogé assure ne rien savoir sur le propriétaire de l’ouvrage. Pas plus que l’ingénieur chargé des travaux, qui ignore tout de son employeur, selon ses dires. Aussi, Didier Budimbu a-t-il été obligé d’arrêtter dans l’immédiat les travaux de construction sur ce site, en tout cas, inadmissibles à cet endroit ainsi que l’interpellation du conducteur des travaux. «Cette spoliation est audacieuse puisque les règlements de la FIFA et de la CAF n’autorisent pas ce genre de construction dans un stade de football, au risque d’encourir la suspension et la non-homologation du stade pour les rencontres internationales», a-t-il estimé.
Un contrat de location pour 15 ans
Mais le mystère de la station-service du Stade des Martyrs ne tarde pas à être élucidé. Selon des documents, largement diffusés sur les réseaux sociaux, c’est Serge NKonde Chembo, ancien ministre des Sports, qui a spolié l’emprise du Stade des Martyrs. Un contrat signé le 30 novembre 2021 le lie à un certain Bernard Mulumba Lumu, qui stipule que les parties ont convenu de la location des lieux pour une durée de 15 ans au coût de 6.000 USD/mois. Et de la confidentialité de l’entente.
Informé des accusations qui pèsent sur sa personne, le ministre honoraire Serge Nkonde n’a pas tardé à réagir dans les médias. «Il ne s’agit nullement d’une spoliation mais plutôt d’une mise en location, comme c’est le cas avec le stade Tata Raphaël, par exemple», se défend-il avant d’ajouter qu’il n’avait fait «qu’approuver le deal, toute la responsabilité contractuelle reposant sur le gestionnaire du Stade». Pour cet ancien ministre, la location de cette emprise du Stade des Martyrs s’inscrit dans le cadre des mécanismes mis en place afin de permettre, notamment, l’entretien de ces infrastructures. «Même au stade Tata Raphaël, il y a des activités commerciales, notamment la Station Total et un super marché qui sont locataires du ministère des Sports … cela n’a rien à voir avec l’homologation CAF ou FIFA», se justifie-t-il.
Dans les milieux kinois du football, l’argumentaire développé par l’ancien ministre des sports fait scandale et ridiculise. Particulièrement, parce qu’un responsable au niveau gouvernemental semble très peu au fait des conditions sécuritaires requises autour d’installations sportives qui accueillent des dizaines de milliers de personnes à la fois. Il est clair qu’en cas d’incendie, une probabilité rendue plus possible en raison du nombre et de l’impossibilité à contrôler les mouvements de foules dans ces circonstances, de nombreuses vies seraient fauchées. «Même sans prescription de la CAF ou de la FIFA, un responsable ne peut approuver la construction de ce type de commerce dans un stade de football», peste cet habitué des stades de football kinois.
L’ancien ministre a tout faux
Pire dans cet argumentaire de Serge Nkonde, la comparaison entre les stades Tata Raphaël et des Martyrs ne tient pas la route. D’abord, parce que même au Stade Tata Raphaël, l’érection de la Station Total fut une forfaiture à dénoncer. Placée non loin d’une voie de sortie du public, cette station de vente de carburant représente un danger réel, effectivement, heureusement minimisé par la faible fréquentation des lieux depuis l’ouverture du Stade des Martyrs. Ensuite, fermé aux rencontres internationales de la CAF et de la FIFA en raison des conditions sécuritaires défectueuses (nombre insuffisant des voies d’évacuation du public de l’intérieur du stade en cas de problème, notamment), le Stade Tata Raphaël n’est plus soumis aux mêmes rigueurs des règlements depuis des lustres. On ne peut donc pas appliquer les conditions sécuritaires précaires qui y prévalent tant bien que mal à celles de l’antre des Martyrs.
Enfin, l’ancien ministre Nkonde ne pouvait ignorer l’existence d’un plan d’aménagement du complexe des Martyrs, qui existe depuis 1991. Il ne prévoit aucune érection de station de vente de produits inflammables, logiquement et conformément aux principes qui régissent l’aménagement des zones sportives à travers la planète. Une proposition d’affectation des 12 terrains (espaces ou emprises) annexes au stade des Martyrs accompagne ce plan.
J.N. AVEC LE MAXIMUM