Cela ne s’était jamais vu auparavant à Kinshasa. Que le clergé de l’archidiocèse, c’est-à-dire, les prêtres catholiques de la capitale, adressent une lettre ouverte, pleine de franchise mais plutôt critique, à leur plus haute hiérarchie. Le 4 juillet 2024, l’Assemblée du clergé Kinois (ACKIN) a adressé un «message au cardinal Fridolin Ambongo, archevêque métropolitain de Kinshasa» dans un document de trois pages considéré comme un brûlot dans ces milieux cléricaux.
Le message du clergé kinois, signé par le professeur Abbé Okalema Pashi Placide n’y est pas allé par quatre chemins pour stigmatiser «les malaises toujours persistants et exacerbés» dans l’archidiocèse. Ils tournent autour de la synodalité, c’est-à-dire, la manière de voyager ensemble en tant que peuple de Dieu, d’écouter chacun en tant que membre de l’église, et se résument en 7 points.
Une dénonciation en 7 points
La relation archevêque – prêtre est de plus en plus toxique, caractérisée par l’indifférence (cas de deuils ou de maladie), le manque de confiance et de considération envers les abbés kinois dans la provision des offices, le non- respect des structures établies dans la prise de certaines décisions pastorales ;
Vie spirituelle : les conditions matérielles d’organisation des retraites et des recollections sont de plus en plus déplorables et laissent à désirer en raison d’un financement problématique et de l’inexistence d’animation spirituelle du clergé par l’Archevêque lui-même, notamment ;
Vie économique, matérielle et financière : la définition et l’application d’un statut financier des prêtres de Kinshasa leur permettant d’être à l’abri des besoins deviennent de plus en plus urgentes, selon le message du 4 juillet 2024. «Aujourd’hui, on ne connaît pas la rémunération assurée aux abbés. En cette matière, il y a beaucoup d’inégalités et de discriminations qui ne favorisent pas la fraternité et la cohésion. Tout cela est contraire à la synodalité», déplore le clergé kinois.
Définir le statut financier des prêtres kinois
La politique économique et de gestion de l’archidiocèse est opaque : ce qui favorise un climat de suspicions, de préjugés. Aucune redevance n’est faite. La rétrocession n’existe pas. Le moment serait donc venu de procéder à l’évaluation de la politique financière et économique de l’archidiocèse de Kinshasa, suggère-t-on. Mais aussi que le tout économique, avec la consécration du personnage du conseiller financier, dont l’étendue du pouvoir est sans précédent, risque d’étouffer sensiblement la vie du diocèse et d’hypothéquer l’avenir. «Les paroisses se voient dépouillées de leurs écoles, construites grâce au dur labeur des pauvres fidèles. Cette situation entrave ainsi la promotion de l’autonomie relative des paroisses, principe pourtant consacré dans les Options et directives pastorales de 2020 (cf. n° 95)», déplore encore l’ACKIN.
Paroisses dépouillées de leurs écoles
La prise en charge alimentaire des prêtres et des séminaristes laisse à désirer. Notamment, des cas de santé qui nécessitent une prise en charge immédiate.
La situation des prêtres mis à la disposition du cardinal et celle de ceux qui travaillent dans la périphérie de l’archidiocèse sont une inquiétude majeure, selon le message de l’ACKIN.
Six jours après la publication du brûlot de l’ACKIN, la chancellerie de l’archidiocèse de Kinshasa a donné la réplique à la «lettre prétendument du clergé de Kinshasa», à travers une «mise au point» en 7 points, pour «faire face aux commentaires de certains médias, de nature à nuire intentionnellement à l’honneur de Son Eminence Fridolin cardinal Ambongo, archevêque de Kinshasa».
La mise au point de la chancellerie reconnaît d’emblée que l’Archevêque à l’obligation, «par sollicitude paternelle», de rendre compte du gouvernement ou de l’administration de «son diocèse». Et que c’est dans ce contexte qu’il a présidé, le 4 juillet 2024, la journée du clergé diocésain au cours de laquelle les différents services ont fait leurs rapports au clergé de Kinshasa. Devrait s’en suivre un échange avec l’archevêque qui n’a pas eu lieu en raison du comportement d’un prêtre kinois qui a interrompu la communion et le dialogue, et empêché ses collègues de présenter leurs préoccupations à son éminence. «Après cette interruption, grande était notre surprise de constater que quelques heures plus tard, un document était publié sur les réseaux sociaux. Le silence observé jusqu’à présent à l’archevêché permet de comprendre le mobile de cette action qui n’a pour finalité que de jeter l’opprobre sur l’archevêque», dénonce à son tour la chancellerie. Selon elle, la plupart des prêtres kinois ont désapprouvé le comportement de leur collègue manifestement frondeur.
La chancellerie dénonce un complot
Les rapports présentés au cours de la journée du clergé diocésain démontrent donc que les structures mises en place fonctionnent correctement et sont régulièrement consultées, assure la chancellerie de l’archidiocèse de Kinshasa. «Ils prouvent que la vie économique et financière de l’Archidiocèse repose sur des principes clairs de rigueur, de transparence et d’équité, avec un suivi permanent d’évaluation du budget prévisionnel et du rapport financier».
La chancellerie rappelle ainsi qu’en outre, l’archevêque de Kinshasa exerce sa sollicitude paternelle envers tous, en respectant, comme il est de son devoir, le secret des procédures judiciaires et le secret des rapports médicaux de ses prêtres.
S’agissant des offices ecclésiastiques, la chancellerie soutient que l’Archevêque les confère à tous les fidèles qui l’ont comme ordinaire, qu’ils soient laïcs ou clercs, du clergé séculier ou régulier, diocésain ou non. Il veille à ce que chaque prêtre bénéficie d’un traitement digne et équitable. Même si, selon la chancellerie, «la notion de salaire pour les prêtres n’est pas ecclésiale. Mais ceux-ci perçoivent plutôt une juste rémunération pour vivre non pas dans le luxe, mais dignement».
La notion de salaire n’est pas ecclésiale
Au sujet d’affectation en périphérie de l’Archidiocèse, la réplique de la chancellerie énonce que «travailler à N’Sele, Maluku ou Mbakana, à la suite de Jésus qui n’avait pas où reposer la tête (cf. Mt 8,20), n’est aucunement une punition, mais devrait être source de joie et d’espérance pour les fidèles de ces paroisses périphériques assoiffées de la parole de Dieu».
Pour conclure, la chancellerie de l’archidiocèse de Kinshasa soutient que le signataire du message du 4 juillet 2024 ne peut légitimement engager l’Assemblée des prêtres de Kinshasa, ni parler en leur nom, parce qu’il ne s’est jamais présenté à l’autorité compétente pour sa reconnaissance. «L’Assemblée du clergé de Kinshasa (ACKIN) est une association des fidèles, en l’occurrence des clercs, soumise à la vigilance et au gouvernement de l’Archevêque, auquel il appartient d’avoir soin que l’intégrité de la foi et des mœurs y soit préservée (cf. Canon 305 &1)», rappelle la chancellerie, comme pour remettre à leur place les auteurs du brûlot contre Ambongo.
Ce qui, manifestement, n’enlève rien au fait que parmi les prêtres de l’archidiocèse de Kinshasa règne un climat suffisamment malsain puisqu’il est porté à la connaissance du commun des mortels et soumis à leur appréciation. Ça s’est rarement vu dans ces milieux où la discrétion est généralement reine.
J.N. AVEC LE MAXIMUM