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La récente convocation par le Vice premier ministre, ministre de l’Intérieur des gouverneurs de deux grandes provinces de la RDC, celui du Haut Katanga et de la capitale Kinshasa, alors qu’ils viennent à peine d’être élus, ainsi que l’injonction leur faite de stopper le processus d’investiture devant les assemblées provinciales, est symptomatique d’un malaise au sein de la territoriale qui appelle des observations et nécessite de trouver des pistes de réformes.
La constitution congolaise organise le fonctionnement des provinces et des entités territoriales décentralisées, notamment en son article 3 qui leur confère la libre administration et l’autonomie de gestion de « leurs ressources économiques, financières, techniques et humaines » ; tandis que les articles 195 à 205 définissent leur mode de fonctionnement politique et répartissent les compétences entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux.
Cette architecture, héritée de la Loi fondamentale de 1960, elle-même inspirée du modèle constitutionnel belge de l’époque, est caractéristique d’une volonté du constituant de décentraliser le pouvoir après plusieurs décennies de centralisation à outrance, qui a sclérosé la gestion du pays et pénalisé son développement.
Mais, malgré les attentes des Congolais après la mise en place de cette nouvelle organisation institutionnelle des provinces, qui promettait une gestion plus efficace et un plus grand rapprochement avec les administrés pour booster le développement local et sortir nos provinces de l’abandon dans lequel la plupart stagnent, force est de constater que le remède semble inopérant, et parfois pire que le mal, au point que certains en viennent à clamer leur nostalgie des anciennes grandes provinces sans assemblées provinciales et dirigées par des gouverneurs nommés par le pouvoir politique.
Soyons d’emblée clairs : ce modèle très centralisé et autoritaire a fait son temps et a pénalisé le pays. Les dimensions sous-continentales du Congo et l’importance croissante de sa population nécessitent d’avoir des provinces moins gigantesques et une décentralisation optimisée. Mon intention n’est donc pas question de remettre en question l’architecture constitutionnelle de la territoriale, mais plutôt de tirer les conséquences de ses dysfonctionnements pour la réformer. L’évolution c’est l’adaptation disent les anthropologues…
Il nous faut ainsi poser un diagnostic sur les blocages (qui sont essentiellement politiques) du fonctionnement de nos provinces. Blocages qui annihilent tous les efforts pour placer la bonne gouvernance au cœur de la gestion provinciale et initier le développement local afin d’améliorer autant que possible les conditions de vie de nos populations de l’arrière-pays.
Le fléau de l’exode rural constaté dans les grands centres urbains du pays, en particulier à Kinshasa et dans le Haut Katanga précisément, est une conséquence de l’abandon dans les affres du sous-développement d’un grand nombre de provinces.
Ce phénomène génère des tensions sociales qui menacent la cohésion nationale. D’où l’urgence de saisir le taureau par les cornes pour rechercher des pistes de réformes, car il en va de l’avenir du pays.
La pauvreté et le sous-développement sont sources de conflits et de régressions.
Pour revenir sur le diagnostic, la source des problèmes est éminemment notre personnel politique, dont l’avidité à occuper des positions de pouvoir le dispute à la cupidité financière.
Il n’échappe à personne qu’aujourd’hui, le mandat politique est de plus en plus considéré comme un investissement personnel qui doit être financièrement rentabilisé à travers le monnayage des voix au sein des assemblées provinciales, que ce soit pour l’élection des membres du bureau ou du ticket de l’exécutif de la province (Gouverneur et Vice-gouverneur) ou encore pour le soutien à apporter au gouvernement provincial, sans oublier l’élection des sénateurs qui est également une occasion de faire ses choux gras…
Le chantage est permanent et les exécutifs provinciaux sont constamment à la recherche des moyens pour satisfaire l’insatiable appétit des députés provinciaux et se prémunir contre toute motion pouvant les déchoir. Les finances de la province en sont affectées. Les nombreux autres stratagèmes qui sont imaginés et mis en œuvre à cette fin ne laissent aucune place à une gestion saine et rigoureuse des ressources des provinces, la corruption étant le moyen privilégié pour pouvoir “tenir les troupes”…
C’est manifestement dans cette optique que la rétribution politique a remplacé la répartition constitutionnelle des portefeuilles ministériels dans les gouvernements provinciaux, qui doit, comme dispose la Loi fondamentale, être le reflet de la composition de l’assemblée provinciale, le critère des compétences n’étant pas ignoré.
Sauf que les gouverneurs sont tenus, pour échapper à la fragilisation et à la défenestration, de rétribuer les élus les plus influents de même que les personnalités ayant une certaine “capacité de nuisance” de préférence par un maroquin ministériel afin de s’assurer de leur soutien ou au moins les neutraliser.
Au final, l’action de l’exécutif en pâtit et devient moins performante, budgétivore et constitue dans certains cas un frein au développement de la province. Le déficit de cohésion et les désaccords constants entre les assemblées provinciales et les gouverneurs et conduisent à des renversements répétés de ces derniers et de leurs équipes gouvernements, ce qui entraîne de longs contentieux fin devant les juridictions qui neutralisent, et l’action de l’exécutif, et celle des assemblées provinciales.
Ce jeu permanent du chat et de la souris est l’une des causes principales de l’échec du fonctionnement de nos provinces, mesuré à l’aune de nos espoirs d’une meilleure gouvernance et des attentes du développement local par nos populations.
Une réforme s’impose dans l’urgence. Elle devrait rester dans l’esprit des principes fondamentaux déjà acquis : la démocratie et la décentralisation.
Il me paraît possible d’agir sur les deux sans les dénaturer.
Je pense notamment à l’instauration d’un délai incompressible de “courtoisie”, qui serait par exemple une interdiction de toute motion de censure à l’encontre du gouvernement provincial durant les 18 premiers mois suivant son investiture.
Ou alors une option plus radicale (mais plus onéreuse) qui serait qu’en cas de renversement de l’exécutif provincial, le Président de la République dissolve également l’assemblée provinciale afin que la CENI organise de nouvelles élections des députés provinciaux dans la province qui choisiront un autre gouverneur.
D’aucuns évoquent une réforme qui tendrait à élire le gouverneur au suffrage universel. Mais cette solution présente un inconvénient majeur : le gouverneur ne serait plus responsable devant les députés provinciaux. On serait devant un cas de superposition des légitimités compliquerait la situation.
La solution idéale à cet égard serait un élargissement de l’électorat à tous les détenteurs d’un mandat électif dans la province (conseillers communaux, urbains et de secteurs). Toutefois le mécanisme de contrôle de l’assemblée provinciale devra également être repensé dans cette hypothèse.
Bien entendu, ces réformes ne seraient pas irréversibles, mais elles tendraient d’abord à corriger les dysfonctionnements.
Une autre polémique juridico-politique concerne la taille du gouvernement provincial. La constitution est claire là-dessus : son article 198 limite le nombre des ministres provinciaux à 10, pas plus.
Cependant, certaines provinces sont immenses ou très peuplées, objectivement elles peuvent nécessiter d’avoir une équipe gouvernementale plus étoffée pour pouvoir être efficace. D’où le recours aux commissaires généraux dans certaines d’entre elles, à l’image de Kinshasa et du Haut Katanga, qui sont justement sur la sellette pour avoir dépassé le nombre (toléré jusqu’à présent) de 5 commissaires généraux.
Il est toutefois légitime de penser que ce dépassement, qui a été indexé, est une conséquence des pressions et contraintes subies par le gouverneur élu, comme on l’a vu plus haut…
Quoique les provinces bénéficient constitutionnellement de leur libre administration, le problème réside surtout dans le fait que les commissaires généraux, n’étant pas ministres, ne sont pas responsables devant l’assemblée provinciale. C’est pourquoi, afin de ne pas énerver l’article 198 de la constitution, je proposerais de les nommer “Commissaires délégués auprès du Gouverneur” (en abrégé “Commissaires délégués”)
Ainsi, c’est le gouverneur qui aurait à répondre de leurs actes devant l’assemblée provinciale.
Cette clarification sémantique a le mérite d’éviter le porte-à-faux avec la constitution…
Maître Charles Kabuya