Dans la guerre qui lui est imposée à l’Est depuis novembre 2022, la RDC semble avoir prudemment évité de stigmatiser la participation aux combats de l’armée ougandaise. Même si nombre d’observateurs, dont des experts onusiens, avaient fait état de l’intervention de l’UPDF aux côtés des rebelles du M23 soutenus par Kigali dans la chute de Bunagana. Près de deux ans après, alors que les affrontements ne faiblissent pas au Nord-Kivu, taire l’évidence devient de plus en plus compliqué. Au cours d’une plénière de l’Assemblée nationale consacrée à l’investiture du nouveau gouvernement, Vital Kamerhe, le speaker de la chambre basse du parlement a dû, nommément, citer Kampala parmi les agresseurs de son pays. Preuve que l’équation sécuritaire dans les territoires de l’Est de la RDC est loin d’être résolue, même si l’on note un net regain de combativité et de résistance des forces armées loyalistes soutenues par les patriotes résistants Wazalendo.
Ce n’est donc plus qu’un secret de polichinelle. Tout en participant conjointement avec les FARDC à une opération d’éradication des ADF dans une partie des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, l’UPDF ougandais apporte un soutien conséquent aux terroristes M23 soutenus par le RDF rwandais dans les territoires de Rutshuru et de Masisi au Nord-Kivu, selon des sources dans la région.
Un nouveau rapport d’experts onusiens qui a fuité dans les médias reconfirme le soutien de Kampala aux terroristes du M23, par l’entremise d’Andrew Mwenda, un proche du général Kainerugaba, le fils et dauphin putatif de Yoweri Museveni. De même qu’il fait état de l’appui logistique et diplomatique accordé aux leaders du mouvement terroriste, Nangaa Yobeluo et Lawrence Kanyuka, qui résident à Kampala.
Impossible de s’en cacher plus longtemps. Selon Africa Intelligence, le président rd congolais, Félix Tshisekedi, envisagerait même de mettre un terme à l’opération Shuuja entre les armées des deux pays.
Secret de polichinelle
Coté ougandais, Yoweri Museveni semble se préparer à faire face activement à cette échéance. Le 11 juin 2024 au State House d’Entebbe, le raïs ougandais a réuni le haut commandement de son armée pour examiner les opérations militaires étrangères et la sécurité nationale. Parmi les points abordés à l’occasion, les opérations en cours en RDC et en Somalie. La réunion d’Entebbe s’est tenue en présence, notamment, du chef des forces de défense ougandaise, le général Muhoozi Kainerugaba, fils et dauphin putatif de Museveni. Le commandant des forces terrestres de l’UPDF, le lieutenant-général Kayanja Muhanga, celui de la force de réserve, le lieutenant-général Otema Awany, et le commandant de l’armée de l’air de Kampala, le lieutenant-général Charles Okidi, ont également été de la partie. Sans compter des responsables du ministère ougandais de la Défense, dont le ministre Jacob Oboth Oboth, les ministres d’Etat Huda Oleru et Sarah Nyirabashitsi.
Même si rien n’a filtré de cette réunion, les observateurs s’accordent sur le fait que le dossier rd congolais ait accaparé les échanges, notamment du fait de la résilience notable des forces de défense de ce pays autrefois envahi sans poser trop de problèmes aux forces d’agression. Tout comme il est noté que dans cette guerre qui pourrait enregistrer une énième intervention «officielle» des troupes ougandaises sur le territoire de la RDC, Kampala semble bénéficier d’une sérieuse avance stratégique sur son voisin rd congolais.
En effet, tout se passe comme si l’Ouganda avait anticipé de l’évolution de la nouvelle guerre d’agression perpétrée par le Rwanda. En entraînant Kinshasa dans une opération conjointe d’éradication des rebelles ADF dans la région de Beni au Nord-Kivu et en Ituri, Museveni a profité de l’occasion pour se positionner à l’intérieur du territoire de son voisin rd congolais. Dans le cadre de l’opération Shuuja, ce sont près de 4.000 éléments UPDF qui sont engagés dans la traque des ADF, au lieu de 1700 annoncés en novembre 2021, selon des sources.
Une longueur d’avance pour Kampala
Alors que de l’avis d’experts, dont ceux de Crisis Group et de l’ONU, il était évident dès le départ que les troupes de l’UPDF n’avaient pas l’intention de retourner en Ouganda avant longtemps.
Un rapport de Crisis Group daté de mai 2022 estime que l’intervention ougandaise au Nord-Kivu et en Ituri visait davantage la protection d’intérêts économiques ougandais matérialisés par des accords relatifs aux travaux routiers conclus entre les deux pays, plutôt que l’éradication des ADF. Selon des experts militaires cités par l’ONG internationale, l’armée ougandaise n’a jamais visé ni une victoire militaire ni un déploiement à durée limitée en RDC. «Le fait que l’armée ougandaise n’ait utilisé qu’un seul poste frontalier pour entrer en RDC, permettant ainsi aux combattants ADF de se disperser vers le Nord-Ouest, semble corroborer cette théorie. Les troupes ougandaises auraient, en effet, pu acculer le groupe si elles étaient entrées en RDC par plusieurs points de passage simultanément », selon un expert militaire cité par Crisis Group.
En réalité, il semble que l’UPDF ait plutôt reçu mission d’affaiblir les rebelles ADF plutôt que de les anéantir et de les éradiquer. A l’occasion de la seconde prolongation du séjour des troupes ougandaises en RDC, le 26 août 2022 à Fort-Portal en Ouganda, le général FARDC Camille Bombele le reconnaissait indirectement en assurant que tous les grands bastions des rebelles ougandais avaient été conquis. Et que seuls quelques groupuscules défaits et éparpillés tentaient de se reconstituer à Beni, Irumu et Mambassa. Plus de deux ans après le lancement de l’opération Shuuja, les ADF courent toujours, élargissant leurs espaces d’interventions dans la Grand Nord-Kivu, entre Beni-Butembo et Kanyabayonga.
Les rebelles ougandais s’approchent ainsi, dangereusement, d’une autre partie de la province du Nord-Kivu où le risque de jonction avec les terroristes du M23, en difficulté face aux FARDC soutenus par les patriotes résistants Wazalendo dans la région de Kanyabayonga, n’est plus à exclure.
Dans un télégramme adressé à l’administrateur militaire du territoire de Lubero, le 12 juin 2024, le chef de secteur de Bapere signale la présence des terroristes ADF dans le village de Mokere.
Massacres commandités
De fait, certains observateurs n’hésitent plus à relier la recrudescence des tueries des civils qui s’observent depuis quelques semaines dans la région de Beni au Nord-Kivu aussi bien à Museveni qu’à Kagame.
Depuis le 4 juin 2024, au moins 82 civils ont été tuées par les rebelles ADF dans des villages du groupement Baswgha-Madive en territoire de Beni, selon un décompte de la société civile locale. La première de ces attaques a été perpétrée mardi 4 juin dans le village de Masawu, et fait 17 morts. Le 5 et le 6 juin, 5 autres corps ont été retrouvés dans les villages de Kabweli et Mamulese. Le même jour, 6 autres corps étaient repêchés de la rivière Loulo (village de Mununze).
Dans ce même secteur de Beni-Mbau, 13 autres personnes ont été retrouvées décapitées. Elles auraient été surprise alors qu’elles effectuaient des travaux communautaires dénommés «Salongo» dans le village de Makobu.
Mais, c’est vendredi 7 juillet que l’attaque la plus meurtrière de la série a été enregistrée dans le village de Masala. 38 personnes, dont 2 agents des services de sécurité avaient été tuées à coups de machettes ou d’armes à feu. Le même jour, 3 autres villageois ont été tués à Mahihi et Mapasana, portant ainsi le nombre des victimes à 82 personnes tuées, selon la société civile.
Kigali et Kampala manipulent les ADF
En novembre 2021, le président Ougandais avait pris prétexte d’attentats supposément commis par les ADF sur le territoire de ce pays voisin de la RDC. Ce qui accrédite l’idée selon laquelle à l’instar de Kigali qui dispose d’une réserve de ses propres FDLR, il est possible que Kampala manipule certains ADF. Crisis Group rappelle à cet effet que les deux voisins de la RDC s’accusent mutuellement de soutenir les rebelles ougandais.
La vérité résidant peut-être dans le fait que chacun des deux Etats tient des rebelles à sa solde.
Cette version des faits a été confirmée le 14 juillet 2022, à la Division des droits de l’homme du Congrès américain par Ida Sawyer de Human Rights Watch (HRW). Invitée pour éclairer les législateurs US sur le travail des enfants et la violation des droits humains dans l’industrie minière en RDC, Sawyer avait expliqué que ces phénomènes étaient secondaires par rapport à l’insécurité consécutive à l’absence d’un Etat de droit qui sévit en RDC. Et donc, à l’insécurité entretenue en permanence par les pays voisins, l’Ouganda et le Rwanda. « Les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe islamiste salafiste armée et dirigé à partir de l’Ouganda et lié à l’Etat Islamique (EI) sont responsables de la plupart des attaques les plus meurtrières perpétrées contre des civils ces dernières années», avait-elle affirmé. L’alors directrice à la division des crises et conflits de HRW établissait ainsi, pour la toute première fois, la responsabilité directe de Kampala et ces prétendus «rebelles ougandais» dont on sait qu’ils ne s’attaquent quasiment plus à leur pays d’origine depuis plusieurs décennies.
Vers une deuxième guerre mondiale africaine
L’intervention officielle plus qu’envisageable de Kampala dans la guerre d’agression qui oppose le Rwanda par terroristes M23 interposés à la RDC fait planer le sceptre du remake de la tristement célèbre guerre mondiale africaine qui sévit entre 1998 et 2002, lorsque le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi s’affrontèrent à la RDC soutenue par ses alliés Zimbabwéens et autres Namibiens
Même si certains observateurs sont d’avis que Museveni, dont le pays a déjà été condamné pour l’invasion de la RDC en 1997, devrait y regarder à plusieurs reprises avant de se lancer dans une nouvelle opération militaire sur le territoire de son voisin rd congolais. Un avis soutenu par le fait que le président ougandais s’est ménagé une seconde corde à son arc dans le conflit de l’Est rd congolais en nommant un ancien chef des services de renseignement, Albert Kandiho, en qualité de conseiller en matière de sécurité. L’homme est connu, notamment, pour avoir démantelé tous les réseaux d’infiltration de Kigali à Kampala, éliminant physiquement à l’occasion des Ougandais et des Rwandais convaincus de collaboration avec Kigali. Au cas où l’évolution de la situation s’avérait trop compromettante pour les intérêts ougandais, Museveni pourrait s’aviser de danser sur une autre de ses jambes, estime-t-on.
J.N. AVEC LE MAXIMUM