Entre Kinshasa et Nairobi, les relations diplomatiques s’étaient sérieusement grippées. Depuis, notamment, que des ressortissants rd congolais avaient choisi le pays de William Ruto pour annoncer la création d’un nouvelle rébellion armée alliée aux terroristes M23, le 15 décembre 2023. Aux protestations véhémentes de Kinshasa, Nairobi avait rétorqué en excipant de libertés d’expression garanties et défendues au Kenya. Depuis lors, les tensions entre les deux pays sont allées crescendo, jusqu’à la suspension des vols de Kenya Airways sur Kinshasa, annoncée le 29 avril 2024. Et à leur reprise, plutôt en fanfare, puisque le vol de la reprise emmenait à Kinshasa, le 9 mai 2024, le 1er ministre et ministre des Affaires étrangères kényan, le Dr Wilfried Musiala Mudavadi, porteur d’un message spécial du président William Ruto à son homologue rd congolais.
Le 9 mai 2024, l’hôte de marque kényan a été reçu en audience par le président Félix Tshisekedi puis, par son homologue rd congolais, Christophe Lutundula avec lequel les entretiens ont tourné autour des relations bilatérales entre les deux pays. «Le Kenya est engagé à respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté de la RDC. Nous allons travailler ensemble pour que ce principe soit appliqué», a déclaré à l’occasion le plénipotentiaire Kényan.
Wilfried Musiala Mudavadi est également revenu sur l’incident qui a mis le feu aux poudres dans les relations diplomatiques entre Kinshasa et Nairobi, en le déplorant. «Lorsqu’il y a eu cette affaire, des gens comme nous étions vraiment attristés. Nous espérons que dans l’avenir, nous n’aurons plus de problèmes pareils», a-t-il assuré.
Kenya Airways, la face visible l’Iceberg
Ça ne s’était pas crié sur tous les toits, mais l’arrestation et la détention de deux employés de Kenya Airways par les renseignements militaires rd congolais, n’ont révélé qu’une face l’iceberg du gel des relations diplomatiques entre Kinshasa et Nairobi. Des sources diplomatiques citées dans la presse kényane, le gouvernement Tshisekedi avait complètement coupé les voies de communication avec le Nairobi. Au moment de l’arrestation des employés de Kenya Airways à Kinshasa, le nouvel ambassadeur du pays de William Ruto, Shem Amadi, n’avait pas encore été autorisé à exercer, faute d’accréditation, et Nairobi ne disposait pas de représentation diplomatique de haut niveau dans la capitale rd congolaise. Le diplomate kényan, un officier de l’armée de l’air à la retraite, était arrivé à Kinshasa depuis décembre 2023.
Le 9 mai, le premier ministre et ministre des Affaires étrangères kényan est revenu sur la question. Musalia Mudavadi s’est déclaré heureux de savoir que la partie rd congolaise, par la bouche du vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, a confirmé que dans les prochains jours la question des lettres de créance du nouvel ambassadeur kényan sera traitée. «Et on va être également très heureux que l’Ambassadeur de la RDC va bientôt rentrer à Nairobi. Bientôt, on va continuer la coopération mixte», a-t-il déclaré.
Wilfried Musalia Mudavadi s’est également prononcé sur l’épineuse question du rétablissement de la paix à l’Est de la RDC. «Je vous ai écouté, je comprends où se trouvent les défis et je vais avoir une conversation ouverte avec le Présjdent (Ruto) à ce sujet. Dans les cas, on vous souhaite le meilleur pour votre pays. On sera très content de jouer ce rôle pour le processus de paix. On doit respecter l’intégrité territoriale de chaque pays. Ça, c’est le message fort qui ressort de votre propos. Si cette situation continue, ça ne va pas aider, et ça ne va pas aider la région. C’est une question très sérieuse qui va être amenée au niveau des chefs d’Etat», a-t-il assuré.
Reçu quelques heures auparavant par le président Félix Tshisekedi au Palais de la Nation, le premier ministre et ministre des Affaires étrangères Kényan avait notamment quasiment montré patte blanche. «Nous rassurons le peuple congolais sur le fait que nous travaillerons avec lui pour la paix et la stabilité dans ce pays», avait-il déclaré en substance.
Rentrer dans les bonnes grâces
Reste que nombre d’observateurs à Nairobi même estiment que la partie kényane devrait faire plus pour rentrer dans les bonnes grâces de Kinshasa. Notamment, avec une visite du président Ruto en RDC. Etant donné que la rencontre entre les deux chefs d’Etat, le 26 avril à Dar es Salaam à l’occasion des célébrations du 60ème anniversaire de l’union de la Tanzanie et de Zanzibar, n’avait pas contribué à l’apaisement des tensions qui ont culminé par l’arrestation des employés de Kenya Airways à Kinshasa.
«La méfiance a fait monter les tensions entre Nairobi et Kinshasa. Il s’agit d’un changement radical par rapport à des années de coopération économique et militaire. Les efforts déployés par Musalia Mudavadi sont louables, mais insuffisants. Le président Ruto doit se rendre d’urgence à Kinshasa pour réaffirmer l’engagement du Kenya envers la souveraineté congolaise. Invitez Fatshi pour une visite d’Etat à Nairobi. L’enjeu est important», pouvait-on lire dans la presse à Nairobi, le 12 mai 2024.
A son accession au pouvoir en septembre 2022, les intérêts économiques kényans s’étaient considérablement développés en RDC, avec le soutien manifeste de l’administration Tshisekedi. La banque Equity Bank avait consolidé sa présence dans le pays grâce à une fusion avec la Banque commerciale du Congo pour former Equity BCDC, entre autres, se rappellent les observateurs kényans. Ils notent que l’incident avec les employés de Kenya Airways et la suspension des vols à destination de Kinshasa a plutôt préjudicié la compagnie aérienne internationale, déjà confrontée à une perte de revenus. L’annulation des vols quotidiens entre la capitale rd congolaise et ses hubs en Afrique de l’Est a provoqué la perte d’au moins un tiers des sièges des compagnies aériennes en direction de l’Est. Les passagers dépendant du transit via Addis-Abeba, Entebbe et Nairobi pour atteindre leurs destinations finales ont été particulièrement touchés.
Les indélicatesses de Ruto
Le Kenya doit cette descente aux enfers dans ses relations avec Kinshasa aux indélicatesses, rappelées par les médias kényans, du président William Ruto. En février 2022, l’alors vice-président du Kenya avait suscité de vives critiques en RDC pour des propos de campagne tenus au cours d’un rassemblement populaire à Nyeri. L’homme qui sera élu président de la République quelques mois plus tard encourageait ses compatriotes à investir dans l’élevage afin d’en exporter les produits vers la RDC. «Malgré l’importance de sa population, ce pays manquait de vaches et devait importer du lait», avait-il lancé à la cantonade aux sympathisants venus l’écouter. William Ruto avait également commenté à l’occasion la tenue vestimentaire des Congolais (allusion au port de pantalons taille haute), dont il s’était carrément moqué. En réaction, Kinshasa qui entretenait des relations cordiales avec les prédécesseurs du nouvel homme fort de Nairobi, avait considérablement retardé les félicitations d’usage généralement adressées aux chefs d’Etat nouvellement élus, estime-t-on encore.
La détérioration des relations diplomatiques entre Kinshasa et Nairobi est apparue au grand jour avec l’arrestation et la détention de deux agents de Kenya Airways, le 19 avril 2024. Lydia Mbotela, une kényane chef d’agence à l’aéroport international de Ndjili, et Olivier Lufungula, son collègue rd congolais, avaient été interpellés par les renseignements militaires en raison d’irrégularités dans les documents douaniers sur une cargaison de valeur. Soit, Huit millions USD en billets de banque, impropres à la circulation (selon la TMB), emballés dans des caisses et destinés à l’expédition le 12 avril 2024 à New York. Les deux employés ont été relaxés le 6 mai 2024, 3 jours avant l’arrivée du premier ministre et ministre kényan des Affaires étrangères à Kinshasa.
Les dernières déclarations du président Ruto à nos confrères de Jeune Afrique selon lesquelles le fait que les rebelles du M23 sont des sujets congolais exonèrent le régime rwandais de Paul Kagame qui leur prête une assistance en armes et en troupes ne sont pas pour arranger les choses entre les deux pays.
J.N. AVEC
LE MAXIMUM