En 1995, il s’est produit une véritable guerre des fréquences dans la ville de Kinshasa. Le saviez-vous ?
Que s’est-il passé ?
Il vous souviendra qu’en 1988, monsieur Miko Rwahitare (+) avait lancé le premier réseau de téléphonie mobile cellulaire analogique au Zaïre, bien avant plusieurs pays d’Afrique et d’Europe. Il s’agissait de la norme américaine AMPS (Advanced Mobile Phone System). Le portable coûtait 2.500 USD et il fallait avoir deux Parrains ayant de comptes en banque pour obtenir un numéro. La minute de communication internationale revenait à 15 USD et l’abonné était chargé pour les appels entrants et sortants.
En 1993, monsieur Jean-Pierre Bemba décida de créer un deuxième réseau mobile. Il débaucha les ingénieurs Gilbert Nkuli et Dido Libenge du REZATELSAT, et en compagnie d’un troisième ingenieur Bob Nkoy, il les envoya aux États -Unis, en Floride, dans la ville d’Orlando, auprès de la société Astronet, pour apprendre la téléphonie mobile cellulaire analogique et la norme AMPS.
À notre retour au pays, nous demarrâmes l’installation des matériels en 1994, quand monsieur Bemba annonce la création de COMCELL et le lancement d’un deuxième réseau de téléphonie mobile cellulaire, Tétécel s’interpose et déclare que cela n’est pas possible car toutes les fréquences lui ont déjà été vendues attribuées par l’Etat.
En effet, l’ONPTZ, qui gérait le spectre de fréquences pour le compte de l’Etat, avait certainement par ignorance, attribué à Télécel tout le spectre de fréquences allant de 800 MHZ à 1.800 MHZ. Ce qui signifie en clair qu’aucune autre compagnie ne pouvait déployer la téléphonie mobile cellulaire analogique ou numérique en RDC en dehors de Télécel !
Maîtrisant la norme AMPS, nous avons expliqué aux Autorités que la norme a prévu les bandes A et B dans la gamme de 800 MHZ pour permettre la coexistence d’au moins deux réseaux.
Ainsi, à la mi-1994, Comcell par entêtement lance son réseau et Télécel se met immédiatement à le brouiller.
Il se passait ceci: dans la norme AMPS, chaque station de base émet des fréquences de communication et une fréquence de balise. Quand un abonné allume son appareil, celui-ci identifie la fréquence de balise la plus proche et se cale dessus. Quand l’abonné veut effectuer un appel, son appareil envoie une demande de communication par la fréquence de balise. La station de base sollicitée lui affecte une fréquence de communication qui le met en liaison avec le switch. L’abonné peut ainsi effectuer son appel.
Pour brouiller COMCELL, Télécel utilisait expressément toutes les fréquences de balise du réseau Comcell comme fréquences de communication de son réseau. Ainsi tous les appareils mobiles du réseau Comcell n’arrivaient plus à les reconnaître et donc clignotaient en rouge pour signaler l’absence de balise.
Toutes les tentatives des Autorités pour ramener Télécel à la raison sont demeurées infructueuses.
Finalement, les Responsables de COMCELL ont levé l’option de répliquer et répondre à Télécel.
Ils ont donc pour ce faire, commandé des Générateurs hyperfréquences au Canada. A leur arrivée, nous les avons installés aux Galeries Présidentielles et à l’immeuble SNEL.
Ainsi tous les jours, pratiquement de 8h à 18h, il était devenu impossible de passer un appel au centre-ville sur les réseaux Comcell ou Télécel. Les Ingénieurs des deux réseaux étaient rivés devant les Analyseurs de spectres pour repérer les fréquences de balise des autres, les bombarder et vice-versa.
Quand vos fréquences de balise étaient repérées par les adversaires, vous les changiez immédiatement, ce qui donnait à vos abonnés l’occasion d’effectuer quelques appels avant qu’elles ne soient de nouveau repérées et bombardées. La guerre a duré des mois. Chacun était sur ses positions. Aucune médiation n’aboutissait. C’était devenu même dangereux. Des deux côtés on se déplaçait avec des commandos de la DSP dans les voitures.
Un jour, le grand Amiral Mavua, Patron du SNIP décide de sequester PCA, PDG, DG et DT de l’ONPTZ, Comcell et Télécel pour les forcer à trouver un compromis. Nous nous sommes retrouvés dans une pièce du SNIP de 10h à 18h. Il y eut des discussions orageuses entre les Patrons, mais pas de compromis. Monsieur Jo Gatt de TELECEL était catégorique.
Quelques semaines plus tard, je revenais d’une mission à Lagos au Ngéria où Comcell venait d’obtenir une Licence. Nous faisions déjà le survey pour identifier des sites.
À mon arrivée à Kinshasa, on m’informa que les deux DT de Comcell et Tétécel étaient attendus à la deuxième cité de l’OUA , à la DSP.
Je pris alors toute la documentation que je détenais sur la norme AMPS et me rendis à la DSP où je trouvai le collègue Muniakazi, DT de Télécel. Nous fûmes reçus par le Colonel Bushiri. Il posa une seule question: qu’est-ce qui se passe ?
Juste le temps pour nous d’ouvrir nos dossiers pour expliquer, il nous interrompa en disant: je sais ce qui se passe. Le problème est que vous deux, vous ne vous entendez pas. alors je vous arrête pour deux infractions graves: Outrage à la personne du Chef de l’ Etat et Offense à la personne du chef de l’Etat.
Il nous intima l’ordre d’enlever chaussures, chaussettes, ceintures et montres et de monter dans la jeep. C’est ainsi que j’ai passé pour la première fois une nuit dans un cachot, avec mon collègue Muniakazi.
Le lendemain, le colonel revint vers 14h et nous demanda si nous nous étions entendus. Le temps de lui expliquer que nous sommes de simples agents, il nous interrompa encore et demanda qu’on nous transfère au cachot souterrain.
A ce moment Muniakazi craqua et demanda le téléphone pour parler à son Patron, je l’entendis crier sur son Patron. Monsieur Miko demanda de parler au Colonel et lui dit de lui donner deux heures car il était au Burundi. On nous renvoya alors au cachot. Une heure après, le colonel revint et appela le DT de Comcell. Je me présentai devant lui. Il me dit que j’étais libre car il a reçu le rapport que Comcell a cessé de brouiller. Il me prit à bord de sa voiture pour me ramener en ville. Une dame de la DSP m’offrît des babouches appelée <la gomme> car j’étais pieds nus. Le Colonel me déposa devant le restaurant <Chantilly>.
De la je marchai comme un vagabond jusqu’au bureau de Comcell où je trouvai mon épouse entrain de pleurer car elle était sans nouvelles de son mari.
Un jour après ma sortie, on relâcha aussi Muniakazi car Télécel avait aussi de son côté arrêté le brouillage.
C’était en fin, la fin de la guerre des fréquences à Kinshasa., qui eut lieu durant une bonne partie de l’année 1995.
Comme quoi, les télécoms mènent à tou, même au cachot.
Gilbert Nkuli