L’état de siège décrété au Nord-Kivu et en Ituri depuis 2021 provoque une levée de boucliers dont on a eu l’illustration pendant et après la récente Table ronde consacrée à ce sujet. La volée de bois vert administrée aux partisans du maintien de cette mesure prise par le pouvoir central sans propositions de solutions palliatives à la chienlit ambiante dans ces deux provinces prend les allures d’une campagne révisionniste et utilitariste d’acteurs politiques et d’opérateurs économiques et sociaux de la région auxquels s’est jointe la MONUSCO.
Il sied de rappeler, en effet, que ce sont les offensives terroristes d’une soixantaine de groupes armés irréguliers dont les plus connus sont, d’une part, l’ADF (ougandaise) ainsi que les FDLR et le M23 – qui servent respectivement de prétexte et de couverture aux innombrables incursions de l’armée rwandaise en territoire congolais – qui avaient, d’une part, conduit les gouvernements congolais et ougandais à mutualiser leurs forces de défense et, d’autre part, justifié l’état de siège. On sait que dès le début de la mise en œuvre de cette mesure exceptionnelle, la MONUSCO, dont l’inefficience avait été mise en exergue en la circonstance, s’y était opposée en estimant qu’il fallait plutôt, selon Mme Leïla Zerougui«s’attaquer aux causes profondes des conflits dans la région» ; une lapalissade retoquée à New York par le Conseil de sécurité qui se félicita au contraire de la coopération militaire entre la RDC et l’Ouganda, ce qui confirme, si besoin en est, le constat de l’inefficience de l’ONU dans la gestion de la crise sécuritaire à l’Est.
Face à ce tableau, affirmer qu’il est possible de stabiliser cet espace par de banales opérations policières relève de la gageure. L’état de siège (substitution de l’armée à l’autorité civile et restriction de quelques libertés fondamentales face à un péril existentiel grave pour la nation) s’imposait donc. Il impacte naturellement les intérêts de certains États voisins et même de quelques autochtones et cela explique la lecture parfois révisionniste tendant à contester systématiquement son efficacité en en minimisant (ou exagérant) les causes et les conséquences pour des raisons idéologiques, politiques ou socioéconomiques.
En fait, ce sont surtout les élus locaux et les fonctionnaires civils en congé des deux provinces qui sont à la pointe de ce révisionnisme. D’aucuns suggèrent à la place un énième dialogue avec les groupes armés, y compris le M23, au motif que l’état de siège ne les a pas éradiqué totalement et qu’il y aurait, selon certaines statistiques, plus de tués au Nord-Kivu et en Ituri après cette mesure qu’avant son entrée en vigueur, ce qui n’est pas démontré avec certitude. Les lieux communs stéréotypés de la communication de la plupart des représentants du pouvoir central ne sont pas de nature à convaincre une opinion littéralement gavée par la désinformation malveillante propre à ce type de conflit asymétrique, caractérisé par des avalanches de trolls et de nouvelles alarmantes de massacres, réels ou fictifs, répandus par les médias et les réseaux sociaux.
Pourtant, les FARDC sont incontestablement montées en puissance (loi de programmation militaire et accroissement subséquent de leurs moyens budgétaires, reconstitution d’une force aérienne, création des unités parachutistes, d’un corps des réservistes, formation de maîtres-chiens et de commandos etc.). Il s’observe malheureusement que sans projeter clairement un projet lisible et efficient de pacification des zones perturbées, les partisans et les critiques de l’état de siège préfèrent s’abîmer dans d’interminables querelles ad hominem.
Hors de cette polémique, quelques-uns proposent soit la limitation de l’état de siège aux seules zones gravement affectées par l’insécurité à l’instar de Beni (Nord-Kivu) et Irumu (Ituri), soit l’instauration de l’état d’urgence, mesure moins contraignante que l’état de siège qui laisse subsister les autorités civiles, sur l’ensemble des deux provinces. En définitive, le seul grief tangible dans ce différend entre thuriféraires et contempteurs de l’état de siège à l’Est, se rapporte à la mise en congé des autorités civiles au profit d’une administration militaire. A l’évidence, les députés provinciaux, gouverneurs, maires, administrateurs, bourgmestres et magistrats civils naguère en poste dans ces entités n’acceptent pas de gaieté de cœur leur remplacement par des militaires. L’agacement qu’ils expriment se fonde certes sur une réelle tragédie humaine mais force est de constater qu’il se radicalise essentiellement du fait d’une frustration due à un sentiment de dépossession de statut. Le leitmotiv d’une illusoire pacification immédiate et presque miraculeuse d’espaces déstabilisés de manière systémique pendant les trois dernières décennies fait peu cas de facteurs essentiels de cette crise sécuritaire exacerbés par le déferlement d’acteurs régionaux ou autres (Rwanda, État Islamique, industriels utilisateurs finaux des ressources économiques pillées par les seigneurs de guerre) qui entretiennent l’ingouvernabilité du pays.
Vu ce qui précède, la suppression pure et simple de l’état de siège dans la situation actuelle ferait sans doute l’affaire de quelques acteurs extérieurs décontenancés par la perte d’une rente de situation et de quelques compatriotes exaspérés par l’attribution de leurs prérogatives aux forces armées. Mais elle n’aurait pas plus d’impact sur la sécurité et la stabilité de l’Est de la RDC que l’action jugée inefficiente de la MONUSCO.
*Député National