Lancées fin novembre dernier dans le Grand Nord-Kivu, les opérations militaires conjointes FARDC-UPDF contre les terroristes ADF et les milices locales ont été prolongées pour la seconde fois, le 26 août 2022 à Fort-Portal, une ville ougandaise du district de Kabarole. A l’issue d’une réunion d’évaluation et de programmation de la troisième phase de cette campagne d’éradication des forces négatives qui écument cette partie de la RDC depuis trois décennies, les armées congolaises et ougandaises ont, en effet, prolongé de 2 mois supplémentaires l’opération « Ushuuja » à Beni (Nord-Kivu), Irumu, Djugu et Mambassa (Ituri), conformément à la volonté des présidents Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni. Objectif de cette nouvelle prolongation : anéantir tous les groupes armés, selon les dires du général FARDC Camille Bombele, coordonnateur des opérations conjointes.
Evaluation optimiste
Evoquant l’évaluation des précédentes étapes de la traque des ADF, l’officier général FARDC a assuré que tous les grands bastions de ces dissidents ougandais avaient été conquis. Seuls quelques groupuscules défaits et éparpillés tentent de se reconstituer à Beni, Irumu et Mambassa. La 4ème phase de l’opération «Ushuuja» programmée à Fort-Portal se traduira donc par la jonction des troupes FARDC (secteur opérationnel Sokola 1 Grand Nord) avec celles du secteur de l’Ituri. Ces forces mutualisées avec celles de l’UPDF s’attacheront à démanteler les poches de résistance qui se forment, particulièrement dans la région de Mambassa et à répliquer à leur stratégie asymétrique grâce à des méthodes anti-terroristes éprouvées. Devant la presse, le 26 août à Port-Fortal, Camille Bombele s’est montré optimiste, estimant que la dernière phase des opérations conjointes FARDC-UPDF pourrait atteindre ses objectifs avant le délai de 2 mois.
En attendant cette échéance, au Nord-Kivu comme en Ituri, la situation sécuritaire s’aggrave.
Mardi 30 août 2022, 11 personnes étaient tuées et 6 terroristes neutralisés par l’armée au cours d’une attaque des ADF à Biakato en territoire de Mambassa.
A Beni (Nord-Kivu), des sources locales font état de l’assassinat de 17 civils en l’espace de 3 jours par ces égorgeurs ougandais dans les agglomérations de Beu-Manyama (5 victimes) et Mutueyi-Siro (12 victimes).
Au total 44 civils auraient ainsi été tués dans la période du 25 au 29 août dans les agglomérations frontalières entre les territoires de Beni et d’Irumu. Le 25 août, 26 civils, dont 7 femmes, avaient été tuées par les ADF sur la rive gauche de la rivière Ituri. Le 28 août, 7 civils ont été massacrés à Mutuei et Isiro, et 6 autres à Katerrain. Le 29 août, les ADF ont tué 5 civils, dont une femme.
Insécurité persistance
Les ADF ne sont pas les seuls à écumer ces régions. Samedi 27 août, 14 personnes dont 12 civils et 2 éléments FARDC, avaient perdu la vie dans une offensive de la milice CODECO à Lodjo, une localité du territoire de Djugu. Le même jour, 12 personnes dans la commune rurale de Mongbwaulu avaient été enlevées par cette milice et emmenées à Mbau-Kadolu, situé à 11 km.
L’optimisme du général Camille Bombele est donc loin d’être partagé par tout le monde au Nord-Kivu et en Ituri.
Le député provincial élu de Beni, Alain Siwako, estime que «les ADF se meuvent et opèrent librement sans qu’aucune force ne les en dissuade. Ni les FARDC, ni les casques bleus, ni même l’armée ougandaise venue en appui à l’armée congolaise».
Tout indique que le contingent ougandais, fort de quelques 17.000 hommes de troupes avant d’être porté à 4.000 éléments selon certaines sources, devrait demeurer beaucoup plus longtemps qu’annoncé dans la région. A la fois pour combattre les ADF, mais aussi et surtout, pour préserver les intérêts de l’Ouganda en RDC, selon un récent rapport de Crisis Group.
La force de l’EAC
Selon le plan opérationnel et d’engagement des troupes de l’EAC appelées à combattre les groupes terroristes étrangers et nationaux qui écument l’Est de la RDC, 6.500 à 12.000 soldats (du Burundi, du Kenya, du Soudan du Sud, de la Tanzanie et de l’Ouganda) sont attendus pour «contenir, vaincre, et éradiquer les forces négatives dans les provinces du Haut-Uélé, de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu». Les Ougandais sont chargés de combattre les ADF au Nord-Kivu et en Ituri, les Kenyans se chargeant de l’éradication des autres groupes armés dans la même région, selon ce plan. Tandis que les troupes burundaises et tanzaniennes devraient opérer au Sud-Kivu. Dans ces conditions, on voit mal Kampala retirer ses troupes endéans deux mois pour les retourner ensuite en RDC dans le cadre de la force d’intervention de l’EAC.
Selon un autre rapport de Crisis Group (mai 2022), l’intervention ougandaise au Nord-Kivu et en Ituri vise la protection d’intérêts économiques plutôt que l’éradication des ADF. Bien que Kampala ait justifié sa nouvelle incursion en RDC par des attaques ADF sur son territoire, Museveni aurait obtenu l’aval de son homologue congolais, Félix Tshisekedi, longtemps avant ces attaques, lorsque les deux Etats avaient conclu des accords de construction d’infrastructures routières, révèle Crisis Group. Selon des experts militaires cités par cette source, l’UPDF ne vise nullement une victoire militaire contre les ADF, ni un déploiement à durée limitée. «Le fait que l’armée ougandaise n’ait utilisé qu’un seul poste frontière pour entrer en RDC, permettant ainsi aux combattants ADF de se disperser vers le Nord-Ouest, semble corroborer cette théorie. Les troupes ougandaises auraient en effet pu acculer le groupe si elles étaient entrées en RDC par plusieurs points de passage simultanément est de nature à corroborer ce point de vue», selon un expert militaire.
Intérêts économiques
Que Yoweri Museveni ait pris prétexte d’attentats commis par les rebelles ougandais sur le territoire de ce pays voisin de la RDC pour couvrir l’aval obtenu de son homologue de la RDC révèle qu’à l’instar de Kigali qui dispose de ses propres FDLR et autres M23, il est possible que Kampala manipule certains ADF. Crisis Group rappelle à cet effet que les deux voisins de la RDC s’accusent mutuellement de soutenir ces sanguinaires rebelles ougandais. La vérité résidant peut-être dans le fait que chacun des deux Etats tient ses rebelles à sa solde : dans la région de Beni, une importante partie de l’opinion est persuadée que les ADF sont en réalité des troupes chargées d’une sorte nettoyage ethnique de la région.
Dans ces conditions, l’insécurité a encore de beaux jours devant elle dans les territoires congolais voisins du Rwanda et de l’Ouganda.
LE MAXIMUM