Ça clashe, ça s’insulte, ça fait du rififi dans la diaspora congolaise. À la fois distrayants voire captivants, les derniers com¬battants tiennent l’opinion en haleine sur les réseaux sociaux, courant visiblement derrière une sorte de Nobel de l’insulte et de la grossiè¬reté. Aujourd’hui, c’est entre eux-mêmes combattants que ça s’entre-tire-dessus. Que des insultes, des rixes de rue ! L’éclatement, la fin annon¬cée début juin du phénomène combattant par son principal sponsor, l’homme d’affaires congolais installé à Luanda en Angola, Laurent Sokoko, n’est pas sans conséquence. En effet, ses anciens protégés en tête desquels se trouvent le tristement célèbre et chef de file du mouvement com¬battant, «Peuple Mokonzi», l’ancien musicien tradi-mo¬derne Boketshu wa yambo secondé par le nommé com¬mandant Esso, anciens des forces armées zaïroises, se sont désolidarisés de Sokoko à qui ils reprochent d’avoir annoncé unilatéralement le retour des productions musi¬cales d’artistes congolais en Europe en sponsorisant Koffi Olomide dont le spectacle est programmé fin Juin à U-Arena de Paris.
De l’aveu de Sokoko, le phéno¬mène combattant en Europe est composé en majorité d’es¬crocs qui ne comprenaient rien à ce qu’ils voulaient, brandissant des revendica-tions fallacieuses sur fond de chantage, de violences et d’insultes contre les autorités politiques au pouvoir en RDC et les musiciens congolais qui osaient promouvoir la culture congolaise en terre Européenne. «En plus de me réclamer de l’argent que j’ai toujours donné pour pertur¬ber les concerts des musiciens congolais en Europe et orga-niser des manifestations de revendications, la bande de Boketshu a osé me demander des fonds pour acheter des bombes afin de tuer les congolais lors du dernier concert de Fally Ipupa, le 28 Février 2020 en la salle Bercy de Paris. L’objectif visé étant de créer la panique autour des productions de nos artistes en Europe. Faute de bombes, ils ont mis à sac la Gare du Nord et les alentours en brûlant tout sur leur pas¬sage. Je me suis donc vu dans l’obligation de me désolida¬riser des gens comme ça», a avoué Sokoko aux médias la semaine dernière. Un aveu qui rappelle l’interpellation par la justice française dont Boketshu 1er avait fait l’objet, poursuivi pour perturbation de l’ordre public et destruc¬tions méchantes.
De la noblesse des reven¬dications à la déviation
Cependant, à son origine autour des années 2004, le mouvement des combattants congolais de la diaspora était apparu dans l’espace Schen¬gen et à Londres comme une nouvelle réalité de la dias¬pora africaine en Europe . Les «Bana Congo» pour les uns, les «Combattants» pour les autres, revendiquaient, entre autres, le départ du gouvernement de Joseph Kabila, qu’ils jugeaient illé¬gitime et à l’origine de nom¬breux problèmes du Congo. Le mouvement s’élargit rapide¬ment aux autres continents. Justiciers autoproclamés du peuple congolais, les com¬battants agressèrent Léon Lengo wa Dongo en décembre 2011 alors qu’il venait pas¬ser un réveillon de Noël avec sa famille à Paris. L’ancien 1er ministre du Maréchal Mobutu devenu président du Sénat ne sera pas la seule victime des combattants de la diaspora. Le sénateur Léo¬nard She Okitundu (Londres, octobre 2006), l’opposant Vital Kamerhe (Montréal, mai 2011), le général Didier Etumba (Paris, juin 2011), le président de la commis¬sion électorale de l’époque, Daniel Ngoy Mulunda (Le Cap, novembre 2011), subirent chacun le courroux de ces compatriotes émigrés. Sans compter des musiciens jugés pro-Kabila comme Koffi Olo¬midé ou Ngiama Makanda «Werrason», couverts de menaces chaque fois qu’ils ont tenté d’organiser un concert hors des frontières nationales. L’énumération n’est pas exhaustive.
Entre eux, leurs agresseurs s’appellent des «combattants» et n’hésitent pas à terrori¬ser ceux des Congolais de la diaspora qu’ils jugent trop «tièdes». Les combattants peuvent même se prévaloir d’un martyr : Armand Tun¬gulu. Le 29 septembre 2010 à Kinshasa, ce Congolais de Bruxelles s’en prit au cortège présidentiel à son passage dans les rues d’un quartier populaire de la capitale, lui jetant un projectile. Interpellé par les services de protection du président de la République et emmené au camp Tshat¬shi pour les interrogatoires d’usage, il fut retrouvé mort 3 jours plus tard dans sa cel¬lule. Le défunt est considéré, à tort ou à raison, comme un héros depuis lors.
La situation économique et politique interne de la RDC n’est pourtant pas étrangère à l’émergence du phénomène «Combattant» en Europe. Dans la mesure où on lui doit l’émigration de nombreux compatriotes partis chercher l’Eldorado à l’étranger, sur le vieux continent particulière¬ment. Les différents conflits armés qui se sont succédés au pays de Lumumba depuis la fin de l’époque du Maré¬chal Mobutu et sa cohorte de déplacements internes et externes ont exacerbé la tendance à l’exil européen. De même qu’ils ont fourni un alibi légitime aux manifes¬tations des «Combattants» affichant leur soutien aux victimes des exactions dans leur pays d’origine en même temps qu’ils sensibilisaient l’opinion publique des pays hôtes à la détresse de leurs compatriotes demeurés sur le continent.
Mais en prenant pour cible toute personnalité congolaise jugée «collabo» selon des critères parfois arbitraires et subjectifs, le mouvement amorça une déviation qui allait entraîner sa perte. Depuis 2006, la quasi-totalité d’ar¬tistes musiciens de la RDC ne peuvent plus se produire en Europe en raison de leurs appartenances politiques supposées. Joignant la parole à l’acte, les «combattants» ont perturbé la plupart de leurs concerts par des jets de projectiles et de la casse systématique.
S’adressant à la communauté congolaise de Londres en Janvier 2020, le président de la République, Félix Tshi¬sekedi, un ancien membre de la diaspora congolaise en Europe n’a pas manqué de dénoncer le «phénomène com¬battant» basé sur la violence. «Disons non aux combattants qui battent nos compatriotes. Nous avons été combattants. Nous avons combattu pour la vérité. Si vous battez les gens vous devenez ‘‘Combat Ntaba’’ ou mouton qu’on peut traîner partout», avait mar¬telé le chef de l’État.
Du terrorisme au coeur du phénomène
Le phénomène combattant, de l’aveu de son sponsor So¬koko, est un mouvement aux ramifications essentiellement militaires et politiques qui fait l’apologie du terrorisme. Rien de patriotique ! Il s’agit d’un conglomérat d’aventuriers qui veut amasser argent et pouvoir. «Je me suis désolidarisé d’un mouvement qui organi¬sait un assaut militaire sur Kinshasa depuis Brazzaville et Angola», dénonce aujourd’hui Sokoko au moment où plu¬sieurs associations en Europe menacent de le déférer devant la justice pour financement du terrorisme.
A l’évidence, le «combattisme» s’essouffle faute de raison d’être. Le départ de Joseph Kabila, sa bête noire, du pouvoir lui enlevé son principal prétexte. Et l’obstruction systématique aux productions scéniques congo¬laises en Europe finit par diviser les «Combattants» entre eux. L’interdiction des concerts des musiciens congolais dans la diaspora hostile à l’acharnement sur les artistes musiciens va croissant. Le concert de Fally Ipupa à Bercy, le triomphe de Werrason à Cape-Town en Afrique du Sud en mai dernier après une causerie de réconciliation avec les combattants, mais sur¬tout la production annoncée de Koffi Olomide et son Quartier Latin à U-Arena de Paris de l’artiste avec la bénédiction du désormais ancien sponsor de Boketshu wa yambo du mou¬vement combattant «Peuple Mokonzi» en attestent.
Les signes de la fin ne trompent pas.
A.M
ESSOUFLEMENT DU PHENOMENE COMBATTANT DANS LA DIASPORA CONGOLAISE : Du combat légitime au «combantaba»
