En RDC, la guerre et sa cohorte de malheurs dure depuis plus de deux décennies dans une indifférence quasitotale de la communauté internationale. Etonnant en ce 21ème siècle où le monde est devenu un village planétaire, plus que jamais interconnecté. Le silence qui entoure le drame que subit la centaine de millions de Congolais ayant perdu plus de 10 millions de leurs compatriotes est pourtant éloquent. Tel n’a pas été le cas alors que le pays de Lumumba aura transité par deux décennies de stupéfaction et d’étonnement devant les affres de la violence qui le submergent. 10 millions de morts directes ou indirectes causées par la guerre déclenchée contre le défunt maréchal Mobutu dans la foulée du tristement célèbre génocide des Tutsi au Rwanda voisin, l’addition est plus que salée. Elle est amère : c’est le nombre de victimes déplorées dans ce pays voisin multiplié par 10 au bas mot.
Près de 30 ans après, l’enfer congolais émerge progressivement des entrailles de son sous-sol et de la profondeur de ses immenses forêts et se laisse appréhender. Y compris par les Congolais eux-mêmes qui, ces dernières semaines, offrent le visage d’un peuple déterminé, décidé à affronter son destin. Un destin dessiné, comme il y a deux siècles par quelques prédateurs rassemblés à Berlin en 1885, à des milliers de km outre Atlantique : faire main basse sur les richesses naturelles de cet immense pays 4 fois plus grand que la France, abandonnées entre des mains considérées comme indignes.
Groupe d’intérêts financiers
La violence meurtrière qui s’est abattue sur la RDC ne remonte pas au déclenchement de la guerre dite de libération de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, ainsi qu’on l’a parfois et longtemps cru. Le déluge de feu qui s’abat sur le pays à partir de ses territoires de l’Est tire son origine de la décision de groupes d’intérêts financiers d’accaparer les richesses minières congolaises par tous les moyens, dès le début de la décennie ’90. Parce qu’ils sont l’objet d’un clientélisme qui, selon ces maîtres du monde, aura eu le défaut d’accroître la puissance du Maréchal défunt sur la scène internationale. L’ancien allié des occidentaux en Afrique centrale était ainsi devenu l’homme à abattre, mais non pas pour des raisons philanthropiques, ainsi que beaucoup le crurent et le firent croire, y compris dans son pays.
Une conjonction de circonstances (hasardeuses ?) parfois entretenues par la gestion dispendieuse du vieux dictateur lui-même devait faciliter la tâche : alors que l’économie nationale dépend de plus en plus de la seule entreprise minière nationale, la Gécamines détenue à 100 % par l’Etat zaïrois, la chute des cours du cuivre et du cobalt dans les années ’90 et surtout l’effondrement en 1990 de mine de Kamoto assènent le coup de grâce à cette poule aux œufs d’or. Au grand ravissement des rapaces de la finance mondiale qui guettaient la première occasion favorable pour foncer sur leur proie. Il faut ouvrir la formidable manne économique du pays, jusque-là gérée par un individu et ses proches, aux marchés internationaux. Les institutions de Brettons Woods se mêlent de la danse et force Mobutu à privatiser la Gécamines. En la vendant en pièces détachées, en réalité.
Entreprises anglo-saxones
Mais en RDC, il n’y a pas que le cuivre et le cobalt. Le sous-sol des territoires de l’Est, entre autres, grouille de richesses dont l’industrie mondiale en évolution constante a besoin. Des idées (de meurtre ?) germent dans les esprits et donnent naissance à des entreprises comme l’américano-canadienne AMFI (American Mineral Fields International), créée en 1995, un an avant le déclenchement de la guerre dite de l’AFDL en septembre 1996. Ses origines semblent des plus douteuses : elle serait d’origine américaine (Arkansas), britannique (Londres), et canadienne (Toronto) à la fois et changea 4 fois de dénomination tout en déménageant son siège social de Vancouver à Londres en passant par le Yukon, révèlent des sources. L’entreprise est «forgée comme un instrument destiné à exécuter en Afrique la volonté de domination économique des financiers occidentaux et particulièrement d’assouvir en RDC les desseins des sociétés américaines dont les dirigeants participent aux grands enjeux stratégiques mondiaux qui relèvent de la science, de la technologie des finances, des industries ou de la politique», écrit le chercheur canadien Alain Deneault au sujet de cette nébuleuse qui a joué un rôle plus que déterminant dans les événements survenus en RDC ses dernières décennies. Les «enjeux stratégiques mondiaux» dont question ne sont rien d’autre qu’un nouvel ordre mondial régi par des financiers occidentaux et qui ne s’encombre pas de considérations de droit international ou humanitaire, encore moins, ainsi qu’on l’a vu, de notions de souveraineté ou d’intangibilité frontalière. Comme en 1885 à Berlin, le monde et surtout l’Afrique est à redessiner de fond en comble et au char d’assaut, s’il le faut. Reste à trouver les acteurs de cette nouvelle campagne de conquête territoriale et de prédation.
Museveni et Kagame
Pour l’invasion, la conquête et l’alignement forcé de la RDC dans ce nouvel ordre mondial mercantile, le président ougandais Yoweri Museveni, son homologue rwandais Paul Kagame, des investisseurs étrangers, notamment Jean- Boulle, un ancien directeur de Beers RDC devenu fondateur et principal actionnaire d’AMFI, soucieux de s’approvisionner en matières premières en RDC, et des chefs d’Etat occidentaux feront l’affaire dans la constitution de cette nouvelle force néocoloniale itinérante. Car, outre sa composante commerciale, AMFI est un carrefour financier politique et militaire regroupant des personnalités politiques occidentales, des seigneurs de guerre africains et des affairistes de tous poils, à l’instar du colonel belge Willy Maillants, connu pour sa participation à la mise à mort de Patrice Lumumba, révèlent des commentateurs. Il est à l’origine des contacts avec les forces rwandaises et ougandaises qui s’attaqueront au maréchal Mobutu, en se faisant passer pour une rébellion congolaise.
Une astuce déjà utilisée dans l’invasion du Rwanda par l’APR de Kagame et de Rwigyema soutenus par Kampala, en présentant Alex Kanyarengwe, un hutu opposé à Juvénal Habyarimana, comme chef de file d’une rébellion. Bill Clinton, Georges Bush Jr et beaucoup d’autres personnalités influentes sont intimement liées à AMFI, selon des sources.
Ce sont donc les Américains qui ont planifié l’invasion et le renversement du maréchal Mobutu en utilisant Kigali et Kampala. Les conseillers militaires américains ont planifié et dirigé les opérations, parfois à partir de Goma où certains étaient installés. Ils ont fourni armes et fonds, y compris pour la désinformation indispensable pour berner l’opinion. Washington, Londres et Pretoria ont servi de centres de commandement des opérations, alors que des entreprises comme la banque d’affaires londoniennes S.G. Warburg, et De Beers et de nombreuses autres accouraient pour négocier des acquisitions. Le Pentagone avait confié certaines de ces opérations militaires à des ONG apparemment indépendantes comme MPRI (Military Professional Ressources, Inc), SAIC (Science Application International Corp), Exectuvie Outcommes, Sandlines ou Dyncorp.
Planification américaine
Selon ce nouvel ordre mondial en gestation, de vastes étendues de terres riches en minerais de la RDC étaient destinées à devenir la propriété exclusive d’entreprises étrangères. Elles comprenaient, selon des sources dans la diaspora ougandaise, entre autres, l’ensemble des provinces du Kasaï, du Katanga, du Nord et du Sud-Kivu ainsi que la zone côtière atlantique en raison de ses ressources pétrolières. A terme, leurs gestions devaient être confiées à des leaders régionaux recrutés dans la classe dirigeante ougandaise et rwandaise. Tels seraient les termes des fameux accords de Lemera maintes fois évoqués mais que peu ont lu jusqu’à ce jour.
Hier comme aujourd’hui, Kigali et Kampala ont justifié la présence de leurs armées sur le territoire de la RDC par la poursuite des génocidaires et rebelles rwandais des FDLR et des rebelles ougandais de l’ADF et de la LRA. Une duperie qui ne tient pas la route compte tenu, notamment, des tracés des incursions et de la préférence stratégique accordée aux villes et régions à forte concentration minière en RDC. En 2002, le groupe d’experts onusiens chargés de la rédaction du Rapport Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la RDC constatait que «toutes les mines de coltan situées dans l’Est de la RDC profitaient soit à un groupe rebelle soit à des armées étrangères. Les preuves démontrant que le Rwanda et l’Ouganda ont financé leurs dépenses militaires grâce aux revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles de la RDC sont abondantes. Pour le Rwanda, selon certaines estimations, ces revenus couvraient en 1999, 80 % de l’ensemble des dépenses de l’APR. L’armée ougandaise a également vu son budget considérablement renforcé grâce aux profits tirés de la RDC, particulièrement des districts de l’Ituri et du Haut-Uélé, de 1998 à 2002».
55 % des gisements Gécamines
Comparativement aux gains faramineux engrangés par AMFI et les entreprises occidentales grâce à l’invasion de la RDC, les ressources financières des pillages rwandais et ougandais sont naines. Deneault rapporte en effet qu’à la Gécamines, ce sont quelques 55 % des gisements de Kolwezi (Kamoto, Kov, Dima, Diduluwe, Ruwe, etc) d’une valeur estimée à 176 milliards USD qui sont bradés. Auxquels il faut ajouter Tenke Fungurume pour une valeur de 95 milliards USD, sans compter les mines de Likasi, Lubumbashi et Kipushi, d’une valeur estimée à 44 milliards USD. Ainsi que des installations industrielles, des infrastructures, des fonds de commerce techniques, etc.
Les principaux bénéficiaires de cette manne souterraine sont, naturellement AMFI et ses alliés, qui s’en tirent avec trois contrats miniers d’envergure sur des concessions cuprifères et cobaltifères à Kolwezi et Kipushi bien avant la conquête de Kinshasa par les troupes dites de l’AFDL. A Kisangani, l’ADB (American Diamant Buyers) qui obtient le monopole des comptoirs de diamants est une filiale d’AMFI. De nombreuses autres entreprises occidentales finiront ce travail de prédation des ressources minières congolaises en signant des contrats léonins avec le nouveau pouvoir. Notamment, Anvil Mining, Emaxon, First Quantum Mineral, Kinross, Lundin … «En un temps record, le Congo que pillait si allègrement Mobutu deviendra un creuset désormais ouvert à quiconque aura la force d’occuper l’espace», écrit encore Deneault. L’objectif des concepteurs du nouvel ordre mondial était atteint : la RDC redevenait un bien dont le seul maître était le capital occidental. Une nouvelle colonisation avait vu le jour.
Réaction congolaise
Mais elle n’avait pas tenu compte de la réaction des Congolais face à cette nouvelle donne, malgré l’ampleur des atrocités subies. A commencer par l’alors 1er citoyen parmi eux, Laurent-Désiré Kabila, qui s’avéra de moins en moins docile, préférant des entreprises canadiennes concurrentes comme Emaxon à la trop belliqueuse AMFI et allant jusqu’à l’expulsion de ses alliés Rwandais et Ougandais du territoire national. En fait, le Mzee veut renégocier certains contrats miniers, dont ceux qui lient la RDC à Barrick (une entreprise proche d’AMFI). Bis repetita. En 1998, AMFI (qui se rebaptisera Adastra Mining à la fin de la guerre) relance les hostilités, flanqué de ses comparses rwandais et ougandais qui remplacent l’AFDL par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Goma (RCD/Goma) et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba pour maquiller la nouvelle invasion en rébellion. Un des objectifs principaux que se fixera le RCD/Goma sera la restitution des concessions minières à Barrick Gold Inc. du Canada, selon Wayne Madsen.
Par conséquent, les armes, les munitions et les équipements militaires sophistiqués qui ont permis à l’AFDL de remporter la victoire sur les Forces armées zaïroises (FAZ) continueront d’être mis à la disposition du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi par la même société AMFI dans la nouvelle guerre que ces trois pays mènent en RDC, assure-t-on.
AMFI, Barrick Gold
Dans cette énième épopée sanglante en RDC, Barrick Gold apparaît comme une entreprise qu’il ne fallait pas se mettre à dos. Deneault, toujours lui, assure que Georges Bush Jr. et Brian Mulroney y jouent un rôle important dans un conseil d’administration mis sur pied lorsque les projets de conquête de la RDC se précisaient. A eux deux il faut ajouter Howard Baker, un ancien sénateur Américain, Vernon Jordan, l’avocat de Bill Clinton, Karl Otto Pol, l’ex-président de la Banque fédérale d’Allemagne, et d’autres personnalités d’influence planétaire.
10 millions de morts en RDC n’auront donc nullement ému le monde parce que les atrocités commises par les troupes de Kagame et de Museveni et leurs affidés locaux étaient couvertes par une des plus grandes entreprises de prédation qui aient été conçues depuis la colonisation, parrainée par des personnalités du monde politique et de la haute finance internationale de haut vol. 26 ans après la première invasion de la RDC et les atrocités qu’elle a charriées, l’enfer semble s’éterniser. L’histoire se répète dramatiquement puisque le Rwanda attaque de nouveau la RDC par le M23 interposé depuis plusieurs semaines, sous les mêmes prétextes sécuritaires fallacieux qui tournent autour du danger que représenteraient les FDLR pour la sécurité de son territoire.
L’enfer s’éternise
Preuves de l’implication de Kigali et de la présence d’éléments des forces de défenses rwandaises sur le sol congolais en main, le ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula, a réclamé une condamnation de la nouvelle agression par le Conseil de sécurité. Sans succès. Au terme d’une plénière, mardi 31 mai 2022 au siège des Nations-Unies, les Etats-Unis, la France, la Russie … ont tous préféré exhorter les parties au conflit à privilégier la solution négociée à travers la poursuite du processus de Nairobi. Un processus qui impose des négociations, de nouvelles négociations avec les phalanges armées du pays agresseur. Preuve que les intérêts économiques et financiers qui lient ce petit pays à la haute finance internationale demeurent tenaces.
En 28 ans, beaucoup de sang aura coulé en RDC, beaucoup d’eau sous les ponts aussi. La situation géostratégique et économique a irrémédiablement évolué depuis notamment que certains appétits des entreprises occidentales, notamment américaines, ont été plus ou moins assouvis à travers l’exploitation des richesses minières tant convoitées. Même si l’Est de la RDC demeure une des régions les plus stratégiques du monde dont la stabilité a un impact direct sur les marchés mondiaux des minerais et des technologies associées, selon des analyses. Cette partie du pays dans la violence présente donc des conséquences incalculables pour les courants commerciaux existants. Et cela, nul ne semble vouloir le permettre. Même pas à Paul Kagame.
Equilibres précaires
Faute de pouvoir accaparer des territoires convoités de la RDC, la bien pensante «communauté internationale» derrière laquelle se dissimule les puissances financières occidentales semble ainsi vouloir se contenter de la division de facto des ressources de la région entre les acteurs non gouvernementaux affiliés aux Ougandais, Rwandais et Congolais qui crée un équilibre entre les forces économiques et militaires et procure une stabilité précaire qui préserve les approvisionnements en matières premières précieuses. Ce qui, naturellement, ne fait l’affaire des Congolais. Car, si Kinshasa regagnait la pleine souveraineté sur ses territoires orientaux et leurs richesses naturelles et du sous-sol, le Congo pourrait rapidement s’ériger en puissance économique continentale voire, mondiale. Et ça, beaucoup à travers le monde ne le lui souhaitent à aucun prix.
Il reste Paul Kagame, l’ogre africain selon l’expression heureuse d’un confrère kinois, a beaucoup perdu de sa superbe lui aussi. En raison non seulement de l’insécurité et des atrocités dont il se rend coupable chez son voisin rd congolais mais aussi de la dictature imposée dans son propre pays. Le sort réservé aux opposants au régime en place à Kigali, fait d’emprisonnements et d’éliminations physiques d’opposants, a fini par émouvoir ci et là. Trois décennies d’indulgence avec l’homme fort de Kigali semblent tirer à leur fin, depuis notamment que l’administration Biden a déclaré «injuste» la détention et la condamnation à une vingtaine d’années d’emprisonnement de Paul Rusesabagina, néo-opposant à Kagame.
Kagame perd de sa superbe
La décision américaine a pris en compte l’ensemble des circonstances qui ont entouré le procès de héros du film «Hôtel Rwanda», devenu célèbre pour avoir sauvé des milliers de vies durant le génocide de 1994. Avant de conclure en «l’absence de garanties d’un procès équitable» et de condamner le verdict. Pour l’administration Biden, le laisser-aller à l’égard de Paul Kagame expire et ses agissements seront désormais scrutés à la loupe, assurent des médias américains alors que le président rwandais se prépare à accueillir un important sommet du Commonwealth auquel prendront part, entre autres, le 1er ministre britannique Boris Johnson, le prince des Galles et la princesse des Cornouailles.
C’est, en effet, vers Londres que se tourne de plus en plus Kigali depuis plusieurs mois, ainsi qu’en atteste le projet controversé de la réception et la délocalisation au Rwanda des dizaines des demandeurs d’asile qui traverse la manche annuellement.
Les velléités souverainistes de la RDC, ravivées par la proclamation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri par Félix Tshisekedi auront eu le don, en réveillant le diable qui sommeillait dans ses voisins rwandais et ougandais (dans une moindre mesure jusque-là), de ramener à la surface les enjeux de l’insécurité dans cette partie du pays. Dans ses territoires de l’Est, c’est à une guerre de recolonisation que la RDC fait face. C’est quitte ou double.
J.N